Affaire des Moines: l’opportun silence de Bouteflika

l’opportun silence de Bouteflika

Algérie. Le Président pourrait s’arranger des accusations françaises pour affaiblir l’armée.

Par RYMA ACHOURA Alger, correspondance, Libération, 11 juillet 2009

Les médias algériens dénoncent avec véhémence «l’humiliation» faite à l’Algérie par les propos de Nicolas Sarkozy concernant l’assassinat des moines de Tibéhirine en 1996, mais les autorités, elles, restent d’un silence de marbre. Ni le ministère de la Défense ni la présidence n’ont fourni la moindre réaction. Seul le porte-parole du parti du Rassemblement national démocratique du Premier ministre Ahmed Ouyahia a dénoncé une «provocation». Un bien léger commentaire contre un président français qui accuse l’Algérie de «mensonge», tels que ses propos ont été interprétés ici.

Aubaine.Alors pourquoi ce silence ? Certains se demandent si ce rebondissement de l’affaire et la mise en cause des militaires algériens dans la mort des religieux n’arrangeraient pas le président algérien, Abdelaziz Bouteflika. Pour Nicolas Sarkozy, la possibilité d’une enquête sur les circonstances exactes de l’assassinat à partir du nouveau témoignage du général français Buchwalter, ancien attaché de défense à Alger, impliquerait son prédécesseur à l’Elysée et les anciens collaborateurs de ce dernier. A Alger, les développements d’une telle enquête impliqueraient nécessairement Liamine Zeroual et la clique des généraux qui tenaient les rênes du pouvoir en 1996. Une aubaine pour l’actuel résident d’El Mouradia qui, depuis son arrivée au pouvoir en 1999, n’a eu de cesse de vouloir réduire l’influence de l’armée et des services de renseignements sur la présidence.

«Il y a une certaine alliance objective dans les intérêts intérieurs de Bouteflika et de Sarkozy. Dans le cas algérien, Abdelaziz Bouteflika veut poursuivre ses changements dans l’institution militaire, mais il n’y arrivait pas totalement jusqu’à présent parce qu’il était face à une opposition interne. Le président français a réveillé la thèse du « qui tue qui », qui a par le passé fait beaucoup de mal dans les rangs des généraux de l’armée de libération nationale, et cela donne une occasion au président algérien d’asseoir sa domination sur les militaires», analyse un politologue algérien. Bouteflika mise sur les règlements de comptes franco-français pour que l’enquête aille à son terme sans qu’il n’ait besoin de mettre de l’huile sur le feu. Télévision, radio et journaux publics ont purement et simplement ignoré l’affaire ces derniers jours. Pas un mot, pas une ligne ne l’évoquent.

A l’inverse, la presse privée, prompte à critiquer les clans au pouvoir, fait cette fois bloc pour défendre l’armée et les services de renseignements. En cela, elle reflète en partie l’opinion de la rue, pour qui le moindre soubresaut dans les relations franco-algériennes fait émerger une paranoïa contre la France, accusée de vouloir montrer qu’elle contrôle encore le sort d’Alger et qu’elle n’entend pas y lâcher ses intérêts.

Intervention. Mais les médias auront du mal à entretenir l’idée d’une crise diplomatique si les autorités continuent d’ignorer publiquement le dossier. D’autant que ces dernières semaines, plusieurs signes et gestes de part et d’autre de la Méditerranée plaident pour un réchauffement des relations entre Alger et Paris. En effet, si Cheb Mami est venu en France pour être jugé – il a été condamné à cinq ans de prison pour sa complicité dans la tentative d’avortement forcé sur son ex-compagne -, c’est sur le conseil qui lui a été donné en haut lieu à Alger. Le chanteur est un proche de Bouteflika. Autre exemple : le dénouement, la semaine dernière, de l’affaire Sophie Scharbook – petite fille enlevée à son père français par sa belle-famille algérienne -, qui a finalement été rendue à son père au bout de quatre ans de procédure grâce à l’intervention directe de Sarkozy auprès de son homologue algérien. Le président français a d’ailleurs remercié publiquement et chaleureusement Bouteflika pour son action dans ce dossier.

Selon les milieux diplomatiques, ces deux affaires en suspens étaient à l’origine du report de la visite officielle du président algérien en France, prévue le mois dernier. Etonnamment, dans le contexte de ces révélations sur l’assassinat des moines de Tibéhirine, personne en Algérie ne parle d’une remise en cause de cette visite prévue désormais à l’automne.