Affaire des moines de Tibéhirine: Deux ministres français de la Défense rétablissent les faits

Affaire de l’assassinat des moines de Tibéhirine

Deux ministres français de la Défense rétablissent les faits

El Watan, 15 juillet 2009

Aucune trace de la fameuse note qu’aurait rédigée l’ancien attaché militaire français à Alger, François Buchwalter, à l’adresse de ses supérieurs, relative au sort tragique des moines de Tibéhirine. C’est ce qu’a révélé hier le ministre français de la Défense, Hervé Morin, sur les ondes de la chaîne de radio RTL : « J’ai eu une note hier (lundi) disant qu’on n’a toujours pas retrouvé cette note, puisqu’elle date d’une bonne douzaine d’années. C’est une note qui n’a pas été transmise au Quai d’Orsay (le ministère français des Affaires étrangères) qui a été transmise à la Direction du renseignement militaire (…). J’ai demandé aux services d’essayer de retrouver cette note. » Pour rappel, après les allégations du général Buchwalter devant le juge antiterroriste, Marc Tredivic, chargé de l’enquête sur l’affaire des moines, le président français, Nicolas Sarkozy, a ordonné la levée du secret-défense afin de mettre tous les dossiers classés « confidentiel » entre les mains de la justice.

Aussi, les assertions du général Buchwalter que ce dernier affirme avoir transmises par écrit à sa hiérarchie sont censées être archivées. Elles faisaient notamment état de témoignages recueillis auprès d’un militaire algérien dont le frère était pilote dans l’armée algérienne et qui parlaient d’une « bavure » des forces de l’ANP qui auraient mitraillé un bivouac où étaient détenus les moines enlevés au monastère de Tibéhirine. Jusqu’à présent, la thèse qui avait toujours prévalu, d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, était celle qui imputait leur assassinat au GIA. Voilà donc que le ministre français de la Défense annonce que cette note vieille de treize ans est pour le moment introuvable, ce qui pourrait compliquer davantage la tâche de la justice française dans cette affaire. « Il n’y a aucune raison qu’on aille cacher une analyse faite par un attaché de défense qui était en poste en Algérie », a souligné M. Morin comme pour anticiper sur les soupçons de ceux qui penchent pour l’hypothèse de la « raison d’Etat » dans cette tragédie.

En filigrane, cette déclaration d’Hervé Morin nous apprend que la levée du secret-défense, telle qu’exigée par Sarkozy, est d’ores et déjà en acte. Pour autant, faut-il s’attendre à quelque découverte décisive ou quelque autre révélation fracassante dans ce dossier ? Le fait qu’un rapport aussi crucial que celui du général Buchwalter, alors personnage fort de l’organigramme de l’ambassade de France à Alger, soit « égaré » avec une telle désinvolture ou, à tout le moins, rangé négligemment dans les archives du Renseignement militaire français, pourrait être symptomatique du peu de crédit accordé à une note fondée sur du « ouï-dire ». Auquel cas cela pourrait être le signe de quelque « infructuosité annoncée » de ce complément d’enquête. Sauf à éplucher l’ensemble des pièces relatives à cette affaire et cumulées par les autorités françaises. Il est principalement attendu, en l’occurrence, le passage au crible de tout le « matériau » relatif aux échanges entre l’organisation de Djamel Zitouni, chef du GIA au moment des faits, et les services français. Un matériau – comportant des missives, des enregistrements sonores et autres – qui gagnerait à être minutieusement expertisé. L’opinion publique pourrait ainsi être édifiée sur la teneur des tractations entre le Renseignement français et l’émissaire du GIA qui aurait été dépêché par Zitouni.

Cela afin que les pistes évoquées jusqu’à présent dans l’affaire des moines, et qui semblent se contredire – à savoir celle d’une opération 100% GIA et celle d’un coup tordu des services secrets des deux côtés – soient traitées avec la même rigueur, sous la seule autorité de la justice et indépendamment de toute interférence politicienne, idéologique ou diplomatique. De son côté, l’ancien ministre de la Défense, Charles Million, est sorti de sa réserve pour déclarer qu’il n’a « jamais été informé » de l’existence de cette note, rapporte le site lexpress.fr repris par l’AFP. « Je n’ai jamais été informé de l’existence d’une note de l’attaché militaire de l’ambassade de France à Alger concernant le sort des moines », a-t-il notamment assuré, avant d’ajouter : « Je ne connais pas le général Buchwalter, dont le nom même m’est inconnu. S’il a fait un rapport, il n’est jamais remonté jusqu’à moi. (…) On ne m’a jamais parlé d’une « bavure » de l’armée algérienne et je ne comprends pas bien pourquoi cette affaire ressort maintenant… »

Par M. B.