Durant la «décennie noire», des milliers de «méprises» ont été recensées

Salah Hannoun. Avocat et défenseur militant des droits humains

Durant la «décennie noire», des milliers de «méprises» ont été recensées

El Watan, 1er juillet 2011

Bavure ou méprise, quel que soit le vocable, l’ouvrier Mustapha Dial, 42 ans, a été tué par des militaires, jeudi dernier à Azazga, dans la wilaya de Tizi Ouzou, suite à un attentat terroriste causant six blessés parmi les rangs de l’armée. Le lendemain, la grande muette se montre prolixe pour expliquer qu’«un citoyen avait été atteint par méprise», durant «la riposte du détachement et la poursuite du groupe terroriste» après l’explosion d’une bombe. Me Salah Hannoun nous explique les suites qui devraient être données après cet épisode tragique.

-Comment définissez-vous exactement une bavure, une méprise militaire ?

Une bavure militaire est une action des forces armées, notamment durant ses opérations de maintien de l’ordre (conformément notamment au décret présidentiel n° 91-488 du 21 décembre 1991 amendé relatif à la participation de l’armée à des missions de sauvegarde de l’ordre public en dehors des situations d’exception) qui découle d’une erreur pratique qui peut être intentionnelle ou accidentelle. Quant à la méprise, il est question d’un acte volontaire et assumé ayant une qualification pénale, mais dont l’erreur porte sur le sujet ayant subi l’acte, donc la victime. Pour différencier les deux, il est important de mettre l’accent sur l’intention délictuelle et l’acte matériel. C’est sur cette base qu’on peut identifier les éléments constitutifs de l’infraction commise par les militaires. Dans les deux cas, il s’agit d’une pirouette juridique des responsables militaires tendant à éviter une qualification pénale de l’acte répréhensible et échapper à la condamnation pénale y afférente. Car en coupant le lien entre l’acte matériel et l’intention délictuelle, l’infraction (crime ou délit) n’est plus constituée.

-Les auteurs d’une méprise militaire risquent-ils d’être traduits devant la justice ?

Sur la base de la loi pénale, les crimes et délits contre les personnes sont passibles de poursuites pénales. Cette même loi prévoit aussi des excuses légales qui, tout en substituant l’infraction et la responsabilité, assure l’impunité (excuses absolutoires) ou une modération de la peine (atténuantes). Le droit de mettre en mouvement l’action publique appartient, par un ordre de poursuites, au ministre de la Défense nationale qui peut le déléguer, sous son autorité, au procureur militaire de la République. Celui-ci ordonne l’ouverture d’une instruction préparatoire au moyen d’un ordre d’informer, en cas de qualification criminelle, ou ordonne la traduction directe de l’auteur de l’infraction devant le tribunal, si la qualification est correctionnelle ou si l’affaire est en état d’être jugée.

-Les auteurs (militaires) d’une méprise sont-ils jugés par un tribunal civil ou militaire ?

Il est utile de préciser que les tribunaux militaires permanents ne statuent que sur l’action publique. Dès lors que l’infraction est commise dans le service, la compétence d’attribution leur est dévolue, conformément au chapitre 2 du code de justice militaire.

-Y a-t-il eu, en Algérie, des cas de méprises jugées, sanctionnées ?

Devant les tribunaux militaires permanents, il est plus question de bavures que de méprises. L’exemple le plus criant est inhérent au jugement de l’assassin de Massinissa Guermah. Malheureusement, durant la «décennie noire», des centaines pour ne pas dire des milliers de «méprises» ont été recensées. Compte tenu de la situation sécuritaire vécue par le pays, ces cas sont mis sur le compte de la «lutte antiterroriste» n’appelant ni enquêtes ni poursuites judiciaires.
Lamia Tagzout