Menaces sur le mouvement associatif
Six mois pour se conformer à la nouvelle loi
Menaces sur le mouvement associatif
El Watan, 8 juin 2013
Les associations peinent à satisfaire les conditions édictées par la nouvelle loi qui régit leur existence et leur activité, plus d’une année après sa promulgation. Certaines ONG étrangères menacent de quitter le pays en raison des restrictions imposées et des acteurs associatifs appellent à une riposte pour amener le ministère de l’Intérieur à revoir sa copie.
Branle-bas de combat au sein de la société civile. Les associations et autres organisations non gouvernementales n’ont plus que six mois – janvier 2014 – pour se conformer à la nouvelle loi organique régissant la vie associative. Statuts, assemblées constitutives, ou encore membres fondateurs, l’on se plie, bon gré mal gré, aux exigences de cette nouvelle réglementation et aux changements introduits. «Notre ONG sera rebaptisée ‘Association SOS villages d’enfants internationale en Algérie’. Cette loi a du bon : nous allons être reconnus comme association étrangère en Algérie, qui pourra avoir un président étranger en règle avec la loi du travail et de la résidence», se réjouit Gérard Aïssa Ruot, représentant de SOS Kinderdorf en Algérie, l’un des rares à se dire satisfaits par ce texte.
Car entre des textes alambiqués, un dossier constitutif d’une lourdeur dissuasive et de réelles appréhensions quant à leur survie, les associations n’en finissent pas de décrier une loi taillée sur mesure pour bâillonner une société civile balbutiante. «C’est la croix et la bannière ! Imaginez que pour une simple association communale, un comité de quartier par exemple, il est exigé pas moins de dix membres fondateurs, dont il faut fournir casiers judiciaires et autres», s’étonne Hassina Oussedik, représentante en Algérie de l’ONG Amnesty International. Cette dernière devra ainsi se plier, en plus des dispositions inhérentes à son statut d’ONG étrangère, à l’obligation de présenter 25 membres fondateurs issus d’au moins 12 wilayas.
Les agréments ne suffisent pas
De même, d’un système déclaratif, il est question aujourd’hui, pour la création d’une association, d’un système d’agrément, ce qui laisse à l’administration une marge de décision plus que significative. Et si ce nouveau système est dissuasif «en amont», il l’est encore plus «en aval». «Nous avons obtenu notre agrément fin 2012, après de nombreuses difficultés. Pourtant, le plus dur reste à venir, tant nous ne savons pas comment les restrictions et autres musellements vont se concrétiser sur le terrain. Nous sommes tous en stand-by», souligne Mouloud Salhi, président de l’Etoile culturelle d’Akbou. C’est peu dire que les associations ne savent pas de quoi leur avenir sera fait.
«Nous attendons de voir. Nous allons évidemment nous conformer à la loi, mais la suite dépendra entièrement de la bonne foi de l’administration», explique maître Nouredine Benissad, président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH). Cela à plusieurs égards. «Nous ne savons pas si l’agrément nous sera donné.
De même, les dispositions de cette loi sont tellement vagues et arbitraires qu’organiser un séminaire sur par exemple la peine de mort, ou alors dénoncer les atteintes aux libertés individuelles sera-t-il considéré comme une ingérence dans les affaires internes du pays ?», s’indigne-t-il. «C’est une épée de Damoclès !», s’inquiète quant à elle Mme Oussedik. «Les articles sont tellement vagues que le discrétionnaire de l’administration peut mener à la dissolution pour n’importe quel motif», poursuit-elle. «Il est évident que tout a été pensé pour éliminer les récalcitrants et récompenser les autres», assène Nacéra Dutour, présidente de SOS disparus. Les membres de ce collectif risqueront ainsi d’écoper de trois à six mois de prison car, pour l’heure, ils n’envisagent pas de d’introduire une demande d’agrément et ainsi continuer à activer sans existence «légale».
«Le nerf de la guerre»
Et ce sont d’ailleurs les associations qui activent réellement sur le terrain qui pâtiront le plus de cette loi. «Les subventions à elles seules ne suffisent pas à assurer le fonctionnement lorsque l’association a un plan de charge important, avec la mise en œuvre de sérieux projets de développement», explique M. Salhi. Pour tout financement ou sponsoring dit «extérieur», donc non étatique, la loi stipule qu’une autorisation du ministère de l’Intérieur est obligatoire. «Mais nous savons comment fonctionne l’administration algérienne ! Avec la bureaucratie et ses lenteurs, cela prendra des mois sans obtenir aucune réponse, ce qui arrive déjà d’ailleurs !», s’écrie le président de l’Etoile culturelle d’Akbou.
Des miliers d’associations ont déjà abdiqué
De même, cette nouvelle loi impose une stricte restriction des financements et autres subventions, tout particulièrement les dons et legs d’organisations internationales. Pourtant, rares sont les associations qui ont pu bénéficier de subventions étatiques. «Si ce n’est la prime à la scolarité versée aux enfants de notre village, nous n’avons jamais reçu la moindre aide de la part du gouvernement», affirme ainsi M. Ruot, de SOS Kinderdorf Algérie. «A l’entrée en vigueur de cette loi et dès lors que SOS village d’enfants est reconnu d’utilité publique, il est prévu que nous recevions une subvention dont le montant doit être défini par les ministères concernés. Ce qui pourra, je l’espère, pallier les restrictions à venir», positive-t-il.
Les dons et autres partenariats ne sont évidemment pas strictement interdits, cependant ils sont soumis à «approbation» des autorités compétentes : ministère de l’Intérieur, en sus du ministère des Affaires étrangères lorsque cela concerne une part étrangère. «Nous nous sommes adressés au ministère des Affaires étrangères pour avoir plus d’éclaircissements sur cet ‘avis’ qu’il doit rendre et sur quelles bases il est pris. Personne n’a pu nous renseigner tant ils ne savent pas de quoi il retourne», s’étonne la responsable d’Amnesty International. «Il faut aussi qu’il existe des conventions dans ce domaine entre l’Algérie et le pays dont il est question. Notre siège est à Londres et des accords ont été signés entre l’Algérie et la Grande-Bretagne. Mais pour le reste, c’est très ambigu, contraignant et laissé à l’interprétation de l’administration», ajoute-t-elle.
De tels accords n’existent pas entre l’Algérie et l’Allemagne, au grand dam de Klaus Treydte. «Il n’y a aucun accord de coopération entre les deux pays, juste des accords ministériels et une déclaration d’amitié. De la bonne volonté qui n’a pas été suivi d’actes. La Friedrich Ebert Stiftung ne peut donc pas être agréée en tant qu’ONG étrangère», déplore-t-il. Mais il ne s’avoue pas vaincu pour autant : «Nous avons deux scénarios. La fondation en est à la dernière ligne droite dans la constitution du lourd dossier exigé. L’agrément demandé est donc pour une association algérienne, ‘l’association algérienne des amis de Friedrich Ebert’ qui tient plus de l’amicale, avec un président algérien et des fondateurs locaux, et un assistant civil allemand rattaché à la Fondation.
Si nous obtenons cet agrément, rien ne changera dans nos activités.» Et dans le cas contraire ? «Si à la fin novembre nous n’avons aucune réponse, le bureau et l’association seront dissous et la fondation quittera l’Algérie», peste-t-il. Et de rejoindre ainsi les milliers d’associations qui ont d’ores et déjà disparu.
L’application de cette nouvelle loi aura certainement le mérite de séparer le bon grain de l’ivraie dans les quelque 92 000 diverses associations locales recensées à fin 2011, dont la plupart n’ont aucune réelle activité. Mais à quel prix ?
Les articles de la loi contestés :
Article 6 : «Les membres fondateurs sont au minimum au nombre de :
• 10 pour les associations communales ;
• 15 pour les associations de wilaya, issus de deux communes au moins ;
• 21 pour les associations interwilayas, issus de trois wilayas au moins ;
• 25 pour les associations nationales, issus de 12 wilayas au moins.»
Article 22 : «Les associations agréées peuvent, dans le respect des valeurs et des constantes nationales et des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, adhérer, à des associations étrangères poursuivant les mêmes buts ou des buts similaires. Le ministre chargé de l’intérieur est préalablement informé de cette adhésion. Celui-ci requiert, au préalable, l’avis du ministre chargé des Affaires étrangères.»
Article 23 : «Les associations peuvent coopérer dans un cadre de partenariat avec des associations étrangères et organisations non gouvernementales internationales, poursuivant les mêmes buts, dans le respect des valeurs et des constantes nationales et des dispositions législatives et règlementaires en vigueur.
Cette coopération entre parties concernées est subordonnée à l’accord préalable des autorités compétentes.»
Article 30 : «Sous réserve des dispositions de l’article 23 ci-dessus, en dehors des relations de coopération dûment établies, il est interdit à toute association de recevoir des fonds provenant des légations et organisations non gouvernementales étrangères. Ce financement est soumis à l’accord préalable de l’autorité compétente.»
Article 39 : «Il est procédé à la suspension d’activité de l’association ou à sa dissolution en cas d’ingérence dans les affaires internes du pays ou d’atteinte à la souveraineté nationale.»
Article 63 : «(…) la demande d’agrément d’une association étrangère doit avoir pour objet la mise en oeuvre de dispositions contenues dans un accord entre le Gouvernement et le Gouvernement du pays d’origine de l’association étrangère, pour la promotion de relations d’amitié et de fraternité entre le peuple algérien et le peuple de l’association étrangère.»
Article 65 : «(…) l’agrément accordé à une association étrangère est suspendu ou retiré par décision du ministre chargé de l’intérieur, lorsque cette dernière exerce des activités autres que celles prévues par ses statuts ou se livre à une ingérence caractérisée dans les affaires du pays hôte ou que son activité est de nature à porter atteinte :
– à la souveraineté nationale ;
– à l’ordre institutionnel établi ;
– à l’unité nationale ou à l’intégrité du territoire national ;
– à l’ordre public et aux bonnes mœurs ;
– aux valeurs civilisationnelles du peuple algérien.»
Ghania Lassal
Saïd Salhi. Organisateur d’un colloque sur la loi sur les associations
«Cette loi a déjà mené à la disparition de centaines d’ONG»
L’union fait la force. Saïd Salhi, défenseur des droits de l’homme et membre, entre autres, de la LADDH, estime que l’unique voie de recours face à cette loi liberticide est la synergie des acteurs de la société civile. Pour ce faire, il organise des cycles de formation et des séminaires afin de faire en sorte que les associations et ONG prennent conscience qu’elles ne doivent pas payer de leur existence pour leur liberté et leur autonomie.
– Malgré les vives protestations soulevées par la société civile, la nouvelle loi organique sur les associations a été adoptée en 2012. Les associations en activité ont jusqu’à janvier 2014 pour se conformer à cette réglementation. Quelles sont les dispositions qui posent et poseront le plus de problèmes aux acteurs de la société civile ?
La loi a été promulguée sans consultation de la société civile autonome, elle est entrée en vigueur alors que la société civile a affiché tout son mécontentement, mais sans aucune voie de recours ou de saisine. Elle a été adoptée par le Parlement et validée par le Conseil constitutionnel alors même qu’elle est anticonstitutionnelle et en violation des engagements internationaux de l’Algérie, notamment des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies. Cette loi porte atteinte à la liberté d’association, de réunion et d’organisation.
Il faut dire que la loi 12/06 est en nette régression par apport à la loi 90/31, au moment où la société civile revendique plus de libertés. L’administration a déjà commencé à procéder à la dissolution d’associations, comme c’est le cas à Oran où plus de 1000 associations ont été dissoutes. L’ancienne loi 90/31 disposait que seule la justice peut prononcer la dissolution d’une association.
Le seul avantage de cette loi est l’obligation de remise par l’administration d’un récépissé au dépôt du dossier de création d’une association. Sinon, cette loi est truffée d’ambiguïtés et d’aberrations. L’administration peut prononcer la dissolution d’une association (art 39) «pour ingérence dans les affaires internes du pays». L’essence même des associations est justement de s’ingérer dans ces affaires ! Cette disposition vague octroie à l’administration le pouvoir d’interprétation. Du coup, le pouvoir d’exercer du chantage sur les associations.
– Comment cette mise en conformité se passe-t-elle sur le terrain ?
Les associations rencontrent beaucoup de difficultés pour le renouvellement de leurs agréments. Parmi les difficultés relevées à l’occasion de la mise en application de la loi, on note la domiciliation qui est un vrai casse-tête. Les associations doivent croiser le fer pour avoir un siège, souvent octroyé par l’administration locale et les mairies, et ce, selon les affinités et les circonstances. Il est exigé le renouvellement des décisions d’octroi pour celles qui disposent déjà de siège et une justification pour les autres. Ce problème se pose plus pour les nouvelles associations car pour avoir un siège et contracter un bail de location, il faut avoir la qualité juridique d’association et donc être agréé. Mais pour avoir un agrément, il faut disposer d’un siège !
De même, des contraintes quant aux partenariats avec les ONG étrangères sont signalées par quelques associations qui ont sollicité un accord de l’administration pour le financement extérieur, qui exige d’eux un contrat de partenariat entre le gouvernement et le pays de ladite ONG.
Les ONG internationales présentes en Algérie souffrent des mêmes difficultés. Le pouvoir en place a compris que les subventions ‘à la carte’ ne suffisent pas pour domestiquer la société civile, alors la parade est de tenter de tarir les financements extérieurs pour étouffer toutes les associations réellement autonomes. Pour éviter tout amalgame, la société civile algérienne n’a jamais refusé le contrôle de l’administration sur ses fonds et sa comptabilité. D’ailleurs, les bailleurs de fonds exigent une comptabilité rigoureuse et des auditions par des commissaires aux comptes et des audites externes. L’Etat est dans son droit de contrôler les financements, leur utilisation et leur origine. D’ailleurs, les «subventions» ne sont pas un droit pour les associations, elles sont octroyées à la tête du client. Et personne ne parle des milliards dispensés aux «associations de soutien» à l’occasion des shows politiques et des zerdas de nos responsables.
– Est-il trop tard pour les associations ? De quels recours dispose la société civile ?
La société civile algérienne est relativement jeune. Elle ne compte qu’une dizaine d’années d’existence. Elle est donc relativement faible. Preuve en est qu’à l’adoption de cette loi, la société civile était pratiquement absente alors que son sort était en train d’être scellé. Rares ont été les initiatives pour protester contre cette loi ; à part la pétition lancée à partir d’Oran, la voix de la société civile a été inaudible et n’a d’ailleurs pas pesé. C’est maintenant qu’elle commence à travailler sa visibilité en réseau, en lobby, et à construire des plaidoyers pour sa reconnaissance comme partenaire à part entière. Les projets de renforcement des capacités de la société civile en matière de gestion, de montage de projets, de plaidoyer et de lobbying mis en place par plusieurs associations, et ce, grâce à l’appui financier et technique des ONG et des bailleurs de fonds étrangers, commencent à donner leurs fruits. L’enjeu, aujourd’hui, est que cette loi doit impérativement changer. La société civile a beaucoup à faire. L’occasion de la révision de la Constitution ne doit pas être ratée, le droit associatif doit clairement énoncé et garanti. Car à part son amendement par l’APN actuelle, ce qui est improbable, il ne reste que l’espoir du changement de la Loi fondamentale ; la loi sur les associations devra suivre pour se conformer à la prochaine Constitution.
– Un séminaire national sur les associations sera organisé par la LADDH cette semaine à Oran. Quels seront les thèmes abordés lors de ces rencontres ?
Ce colloque est prévu pour les 14 et 15 juin 2013 en partenariat avec l’association Le petit lecteur d’Oran pour la région ouest du pays. Il traitera de la nouvelle loi sur les associations. Des analyses seront faites par des experts, juristes et universitaires. Nous avons opté pour Oran parce qu’elle recèle une dynamique associative assez importante et innovatrice. C’est d’ailleurs à partir d’Oran que la pétition contre cette loi a été lancée. Nous avons choisi de revenir sur ce sujet car nous espérons créer un déclic et remobiliser la société civile, pour ne pas seulement subir cette loi, mais tenter de rouvrir le débat et répertorier toutes les contraintes et, pourquoi pas, à travers les témoignages et les échanges avec les associations présentes, construire un plaidoyer pour le changement de cette loi.
Ghania Lassal