Le président annonce sa décision d’amender la loi fondamentale

Le président annonce sa décision d’amender la loi fondamentale

Bouteflika veut sa Constitution

El Watan, 5 juillet 2006

Le faux suspense savamment entretenu sur la révision de la Constitution a pris fin hier. Désormais, le président de la République revendique publiquement la paternité de ce projet soutenu tactiquement jusque-là par son parti, le FLN.

La partition était déjà bien réglée avant, mais il fallait écouter l’interprétation de l’orchestre de l’ex-parti unique avant que n’intervienne la voix du chef. Sans surprise, Abdelaziz Bouteflika a repris l’essentiel du répertoire de l’exposé des motifs élaboré par le FLN pour justifier le « bien-fondé » de l’amendement de la loi fondamentale. L’option était évidemment tranchée depuis quelques mois, puisque le FLN a repris subrepticement sa première vocation de parti-Etat en faisant plancher ses structures sur ce projet de révision constitutionnelle ; prérogative qui revient, théoriquement, au seul président de la République. Il ne faut pas être un clerc pour deviner que le départ forcé de Ahmed Ouyahia de la chefferie du gouvernement a été précipité surtout par cet insoutenable duel au sommet de l’Etat entre lui et Belkhadem à propos de l’opportunité de ce projet. En tranchant définitivement en faveur de son poulain du FLN, Bouteflika n’a laissé aucun choix au patron du RND, qui a dit tout le « bien » qu’il pensait de la révision de la Constitution. Ce dernier a finalement compris que Bouteflika avait déjà choisi son camp et ficelé sa feuille de route dans laquelle lui se retrouvait hors jeu par avance. Avec la désignation de Belkhadem à la tête du gouvernement, le pouvoir a retrouvé son osmose lui permettant de lancer l’idée qui fait déjà les choux gras de la presse nationale, qui en a disséqués les contours et les implications. Soucieux du strict respect du timing dans ce partage savant des rôles, le pouvoir de Bouteflika s’est attaqué aux formes pour sauver le fond. Comme par enchantement, Abdelaziz Belkhadem a réussi l’incroyable prouesse de réaliser en un mois ce que Ouyahia n’a pas fait en trois ans ! Usant du populisme à souhait, le chef de l’Etat a consenti facilement à délier les cordons de la bourse pour augmenter les salaires des Algériens, relever le SNMG et promettre de promulguer le fameux statut de la Fonction publique. Pour Belkhadem, cela est évidement du pain béni pour quelqu’un qui tire d’immenses dividendes politiques à travers des mesures dont il n’est pas l’initiateur. Le message de Bouteflika aux Algériens est clair : Belkhadem a réussi là ou Ouyahia a lamentablement échoué ! En ce sens, les mesures sociales annoncées, pour légitimes qu’elles soient, n’en cachent pas moins un calcul politique qui peut être assimilé à une sorte de vente concomitante. Cette soudaine « générosité » présidentielle est destinée à fourguer justement cette révision constitutionnelle, dont le gain politique à moyen et long termes compense très largement les quelques poignées de dinars versés dans l’escarcelle trouée de l’Algérien, plutôt de l’électeur. Décision inédite pour un président qui, longtemps, a divorcé avec la famille de la presse, Bouteflika a accordé une grâce pour tous les journalistes condamnés à des peines d’emprisonnement ou d’amendes après avoir tenté un acte manqué le 3 mai dernier à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté d’expression. Pas étonnant. Il fallait bien tenter un rapprochement avec les journalistes pour éventuellement, espère-t-il, au mieux obtenir un soutien médiatique au projet et au pire la modération de la critique. Après tout , la presse a toujours le pouvoir de façonner l’opinion, ou du moins une partie. Le président de la République a cru également devoir jouer sur le registre du patriotisme, en annonçant le projet qui lui est cher à la veille de la Fête de l’indépendance. Comme si les amendements annoncés devaient projeter l’Algérie sur des lendemains qui chantent pour la démocratie et les libertés. C’est dire que rien n’a été laissé au hasard et tout le monde semble avoir bien joué son rôle pour mieux faire passer la pilule. La révision de la Constitution est conçue par le FLN et certainement au bénéfice du FLN et de son patron.

Hassan Moali

 


Ce qui fait courir Bouteflika

Il est difficile de croire que le Front de libération nationale ait pris, seul, l’initiative d’élaborer un projet de révision constitutionnelle. Il est tout aussi impossible d’imaginer que ce projet, tel qu’il a été concocté, soit entièrement l’œuvre du FLN. Derrière cette initiative, il y aurait un seul homme : Abdelaziz Bouteflika.

Il est également évident que des constitutionnalistes proches du Président aient mis la main à la pâte. Partant, il est fort probable que le chef de l’Etat agrée, sinon la totalité, du moins les principaux amendements proposés par la fameuse « commission de révision constitutionnelle », installée au siège de l’ancien parti unique. Il s’agirait, en résumé, de la suppression de la clause limitant le nombre de mandats, l’élargissement des pouvoirs présidentiels, la création d’un poste de vice-président de la République et la révision (suppression ?) du pouvoir de censure sur le gouvernement. Première cible : l’article 74 de la Constitution adoptée en novembre 1996 en vertu duquel la durée du mandat présidentiel est fixée à cinq ans et le président de la République n’est rééligible qu’une seule fois. L’Algérie ne risque-t-elle pas d’être en net recul par rapport même à la Constitution de 1989, en permettant au chef de l’Etat une rééligibilité indéfinie ? Les architectes du projet ne voient pas les choses sous cet angle. « La limitation d’un mandat du président de la République (…) même si elle est perçue par certains comme étant une évolution importante qui permet l’alternance pacifique au pouvoir, il reste que d’autres estiment que les exigences de la stabilité politique et institutionnelle, notamment dans les pays qui sont récemment sortis d’une crise multiforme, imposent de ne mettre aucun lien sur le renouvellement des mandats », lit-on dans le document publié par le FLN. Les tenants de la révision constitutionnelle ont également émis des propositions allant dans le sens du renforcement des pouvoirs présidentiels. « Le pouvoir exécutif doit être concentré dans une seule main », ont-ils estimé, sans donner plus de détails. On parle aussi de la création d’un poste ou de plusieurs postes de vice-présidents. « Il est possible de donner au président de la République la possibilité de nommer un vice-président ou un groupe de vice-présidents. Il a aussi l’entière prérogative de les charger de missions qu’il aura à fixer », est-il suggéré. Quelles seront les missions de vice-président ? « En cas de vacance du poste de président de la République pour tout motif énoncé dans la Constitution, c’est au vice-président d’assumer la fonction de président de l’Etat, mais il n’a pas le droit, dans ce cas de figure, de se présenter à l’élection présidentielle », est-il précisé dans le même document. Cependant, le vice-président de la République (ou les vices-présidents), le Premier ministre et les ministres seraient, suivant ce projet, considérés comme des collaborateurs du président de la République. Partant, ils seraient responsables devant le chef de l’Etat qui disposerait, dans ce cas, du droit de mettre fin à leurs fonctions. A bien lire ce texte, on croit comprendre que les initiateurs du projet entendent mettre fin à la fonction de chef de gouvernement au profit d’un Premier ministre qui tiendrait ses pouvoirs exclusivement du Président. Dans le chapitre lié à la relation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, il est suggéré la révision –ou la suppression– du pouvoir de censure sur le gouvernement. « Il faut revoir la motion de censure énoncée dans l’actuelle Constitution (…), la question du retrait de confiance de n’importe quel ministre ou du Premier ministre lui-même ne doit pas être liée à la déclaration de politique générale. Il faut supprimer toute allusion à cette question dans la révision constitutionnelle proposée. » Comment le Parlement pourra-t-il, le cas échéant, contrôler l’action de l’Exécutif ? « Les amendements proposés dans ce domaine aspirent à renforcer le rôle du Parlement dans les domaines du contrôle sur les membres de l’Exécutif », est-il indiqué. Quant aux moyens traditionnels de contrôle, ils sont maintenus dans le document du FLN. Il s’agit des question écrites et orales, des interpellations et des commissions d’enquête.

Benchabane A.

 


Une loi pour chaque chef d’État

La première Constitution de l’Algérie a été approuvée par référendum en septembre 1963 lorsque Ben Bella a été élu président de la République. Cette Constitution prévoyait un régime présidentiel ayant le FLN comme parti unique.

Dix ans après son règne, en juin 1975, Boumediene, qui avait renversé en 1965 par un coup d’Etat Ben Bella, annonça une série de mesures tendant à instaurer un système socialiste, maintenant l’Islam comme religion d’Etat et prévoyant une nouvelle Constitution. Une charte nationale fut adoptée par référendum, en juin 1976, par 98,5% des électeurs. En novembre, la nouvelle Constitution, reprenant les principes de la Charte, a été approuvée par voie de référendum et un mois après Boumediene aété élu président par 99,38% des votants. Après la mort du président Boumediene en décembre 1978, le colonel Chadli Bendjedid, commandant de la région militaire d’Oran, lui a succédé. Dans les deux années qui ont suivi, le président Chadli et son gouvernement ont progressivement renoncé à la politique économique socialiste suivie par son prédécesseur. Après sa réélection en 1984, le deuxième mandat de Chadli a été marqué par des périodes de troubles, particulièrement en 1986 et en 1988. Le rythme de la libéralisation de l’économie et de la refonte de l’appareil d’Etat s’est accéléré au cours de la période qui a suivi l’effondrement des cours du pétrole en 1985/86. Confronté à ces troubles, le président Chadli a proposé un certain nombre d’amendements à la Constitution visant à permettre à des candidats n’appartenant pas au FLN de se présenter aux élections. Ces réformes ont été approuvées en novembre 1988. En février 1989, une nouvelle Constitution consacrant la fin de l’Etat socialiste à parti unique a été approuvée par référendum, ce qui a permis la naissance du pluralisme politique. Le pays a néanmoins sombré dans le chaos après l’entrée du Front islamique du salut (FIS) dans la gestion des municipalités. Ainsi commencèrent des flambées sporadiques de violence et de terrorisme. Chadli, dépassé par l’ampleur des événements, a dû démissionner par la suite. Le HCE géra les affaires courantes de l’Etat et fit appel à Boudiaf qui fut assassiné par la suite. A l’issue de « la conférence nationale de consensus en 1994 », le général Zeroual s’est retrouvé, en sa qualité de ministre de la Défense, chef de l’Etat. Une fois élu président en novembre 1995, Zeroual organisa une années après un référendum sur la révision de la Constitution. Une Constitution qui accordait des pouvoirs très étendus au chef de l’Etat et qui est rejetée par l’opposition démocratique.

R. Bel

 


Une Constitution pour un homme ou pour un peuple ?

En quarante ans, l’Algérie a consommé quatre Constitutions, alors que la cinquième naîtra probablement avant la fin de l’année. Aucune de ces lois fondamentales n’a survécu à son promoteur, ce qui fait dire à Khalfa Mameri, ancien professeur de droit : « Le pays cherche encore, souvent dans le trouble et la douleur, toujours dans le secret, celle qui doit survivre aux dirigeants et aux événements et prendre en charge les aspirations du peuple. »

Cet ancien professeur de droit a déclaré, dans une contribution récente à El Watan, que l’important aujourd’hui est de savoir si la prochaine Constitution sera, une fois de plus, celle d’un homme, faite par lui et pour lui, ou bien celle de tout un peuple enfin décidé à gérer ses propres affaires et à tracer pour les générations futures la route de la liberté et du progrès. « Pour que l’Algérie puisse avoir une Constitution enfin valable, inattaquable et acceptable, il faudrait qu’un système de garanties soit érigé pour corriger les défauts de ces Constitutions qui se suivent et se ressemblent sur l’essentiel. D’où que toute nouvelle Constitution devrait comporter des garanties sur les éléments fondamentaux qu’on doit présenter brièvement. » M. Mameri a estimé que, depuis son indépendance, l’Algérie a souffert le plus de l’absence de pluralisme, de libertés, de séparation des pouvoirs, de légitimité et de contrôle, ces paramètres qui reflètent le niveau de démocratie d’un pays. Selon lui, « le pluralisme n’est pas uniquement réservé aux partis (…), il doit s’étendre aux associations et aux syndicats sans aucune restriction (…). Plus qu’une question d’institution, le pluralisme est un état d’esprit qui rejette l’enfermement, l’uniformité et le sectarisme (…) ». Il s’est même demandé, à ce titre, jusqu’à quand nos législateurs et gouvernants vont enfin comprendre que l’association est à la démocratie ce que l’école est à la République.

Des libertés sous surveillance

M. Mameri a expliqué qu’il ne sert à rien d’inscrire le bloc des libertés dans une Constitution si celles-ci doivent être soumises à des restrictions, à des atteintes, voire à des interdictions répétées comme c’est le cas en Algérie. « A quel horizon l’Algérie pourrait-elle adopter des interdictions absolues aux atteintes aux libertés comme il s’en trouve dans la Constitution allemande, où celle-ci dispose en termes simples : “la censure est interdite” ou dans le premier amendement de 1791 à la constitution des Etats Unis ? Aucune loi ne peut y déroger alors que chez nous des codes pénaux bis sont vite élaborés à chaque fois que le pouvoir veut restreindre les libertés. » A propos de la séparation des pouvoirs, M. Mameri a déclaré que la confusion politique a trop marqué le pouvoir algérien pour être reconduite. Selon lui, « il n’est plus possible que le chef de l’Etat s’arroge en droit et en fait tous les pouvoirs. C’est pourquoi le maintien de la fonction de Premier ministre peut contribuer, à condition de mieux définir ses compétences et de les respecter, à limiter le pouvoir à tendance hégémonique du chef de l’Etat. De plus tout le monde sait que le Premier ministre joue la fonction de fusible, évitant d’exposer directement le premier magistrat du pays pour ne pas fragiliser les jeunes nations sans fortes traditions démocratiques. La limitation à deux mandats présidentiels est, elle aussi, une manière d’éviter des présidents à vie comme c’est le cas dans la plupart des pays arabes. En direction du parlement, la création du Conseil de la nation ne semble avoir été imposée qu’en raison de la bizarrerie du tiers présidentiel, dit tiers bloquant, pour empêcher un coup d’Etat législatif islamiste. Cette bizarrerie renseigne plus sur la peur ou la panique qui s’est emparée des sphères dirigeantes face à l’islamisme menaçant que sur une quelconque utilité parlementaire encore moins vertu démocratique ». Il a expliqué qu’en général, les chambres hautes ne sont qu’une survivance de la noblesse qui fut pendant de longs siècles, la classe politique dominante ou une solution de compromis pour instaurer un système fédéral. M. Mameri a conclu en disant qu’une économie de moyens ajoutée à la double nécessité d’efficacité et de renforcement du pouvoir législatif ne plaide pas pour le maintien du Conseil de la nation. Abordant la question de légitimité, l’ancien professeur a déclaré : « Il n’y a point de légitimité en dehors des urnes. » Bien sûr, a-t-il noté, à condition que les élections soient irréprochables dans leur préparation, leur déroulement et leur proclamation. « La meilleure Constitution ne peut donner le gouvernement le plus légitime, si la fraude électorale n’est pas rendue impossible. Il n’y a pas de démocratie là où le gouvernement assure sa reconduite répétée par des élections truquées (…). La fraude électorale constituant la source du mal algérien. » Il a conclu : « Aucune Constitution n’est neutre. En fondant un régime politique dans sa nature comme dans son fonctionnement, elle décide, en fait, du sort quotidien de chaque citoyen »

Salima Tlemçani