Contribution : Cour pénale internationale

Contribution : Cour pénale internationale

Va-t-on jeter le bébé avec l’eau du bain ?

Par Zineddine Sekfali, Le Soir d’Algérie, 11 janvier 2014

Il a beaucoup été question ces derniers mois de la Cour pénale internationale (CPI). On a même lancé sur internet une pétition réclamant ni plus ni moins que le retrait de cette juridiction des 34 pays africains qui ont signé et ratifié le Statut de Rome, document international qui l’a créée et fixé ses attributions, son organisation et son fonctionnement.

On va, dans cette pétition, jusqu’à accuser cette Cour de n’être, en définitive, qu’une «machine infernale» inventée par l’Occident et lancée contre le Tiers-Monde pour l’achever ; en tout cas, une sorte de tribunal politique qui persécuterait les élites africaines, afin de faire oublier les scandaleuses immunités et impunités dont jouissent les criminels de guerre, les auteurs de crimes contre l’humanité et les génocidaires occidentaux, européens et américains. Tout cela mérite qu’on regarde les choses d’un peu plus près et de façon objective et sereine. C’est seulement ainsi que l’on pourra se forger une opinion. Tel est l’objet de cette courte contribution. Le document international de base régissant la CPI est le Statut de Rome, approuvé le 17/07/1998 par la conférence diplomatique qui s’était tenue dans la ville de Rome. Ce Statut est entré en vigueur en juillet 2002 et la CPI a été installée le 01/03/2004. Son siège est à La Haye (Pays-Bas).

Les Etats-Parties, et les autres

Les Etats Parties à la CPI — on dit aussi Etats adhérents — sont ceux qui, après avoir signé le Statut de Rome, l’ont ensuite ratifié. En 2013, leur nombre s’élevait à 122 dont 34 pays africains sur 54 et 2 pays arabes sur 21. Il convient de noter que l’Algérie, qui a signé le Statut mais ne l’a pas encore ratifié, n’est pas partie ou membre de la CPI. Il faut indiquer que les deux seuls pays arabes qui sont actuellement membres de la CPI sont la Jordanie et la Tunisie, non pas de Ben Ali, mais celle de la Révolution du jasmin.
La Palestine, depuis qu’elle a été admise à l’ONU le 29/11/2012 en qualité d’«Etat observateur non membre», a le droit de signer et ratifier le Statut de la CPI. Si elle le fait, elle sera recevable à porter plainte devant cette juridiction contre les auteurs israéliens de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de crime de génocide commis sur des Palestiniens.

Or, à ce jour, l’Autorité palestinienne n’a pas formalisé sa demande de signature et de ratification… Ne reprochons donc pas à la CPI de ne pas engager des poursuites contre des responsables politiques, militaires ou policiers d’Israël, quand ce sont les responsables palestiniens qui hésitent à porter plainte contre ces derniers ! Parmi les Etats qui, comme l’Algérie, ont signé le Statut, mais ne l’ont pas ratifié, il faut citer les USA, la Russie et Israël… Il faut bien admettre que c’est là un compagnonnage assez surprenant. Il est vrai que certains Etats franchement hostiles au principe même de l’existence de la CPI ont adopté une position encore plus radicale : ils ont refusé de signer le Statut. Parmi ces pays, on citera notamment la Chine et l’Inde, et cela me laisse personnellement perplexe. Ces Etats invoquent, pour se justifier, la sacro-sainte souveraineté de l’Etat et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. En fait d’arguments, il ne s’agit là à y bien regarder, que de tours de passe-passe politiques et d’arguties juridiques.

Composition et fonctionnement de la CPI

La CPI est formée de trois chambres :
– Une chambre préliminaire : elle est chargée du contrôle des enquêtes et instructions pilotées ou menées par le procureur ; c’est elle qui décide du renvoi des prévenus et accusés devant la formation de jugement.
– Une chambre de première instance : c’est une formation collégiale qui juge les affaires dont l’instruction est validée par la chambre préliminaire.
– Une chambre des appels contre les arrêts rendus par la chambre de première instance.
L’appel, voie de recours ordinaire, est donc ouvert contre les arrêts de la CPI. Il est important de le remarquer, car tel n’est pas le cas des arrêts rendus par les tribunaux criminels dans certains pays, comme l’Algérie par exemple. Signalons par ailleurs que la CPI ne peut condamner à la peine de mort et que les peines privatives de liberté qu’elle prononce se purgent dans une prison située aux Pays-Bas. S’agissant des magistrats de la CPI, qu’il s’agisse de ceux du siège comme ceux du parquet, précisons qu’ils sont proposés par les Etats Parties et nommés par le Conseil de sécurité de l’ONU, pour une période déterminée, non renouvelable. On ne s’incruste pas à la CPI.
On imagine par ailleurs sans peine que les dossiers des candidats sont soigneusement étudiés par le Conseil de sécurité et le secrétaire général de l’ONU, avant de donner leur aval. Un tel «casting» rend aléatoire, je pense, toute tentative de passe-droit et autre piston.

Saisine de la CPI

La CPI peut être saisie de trois façons :

– Par les Etats Parties :
Il en a été ainsi dans les procédures diligentées contre des politiques ou des militaires de l’Ouganda, de la République démocratique du Congo et de la République de Centrafrique. Ce sont en effet les gouvernements de ces pays qui ont décidé de traduire en justice quelques grands criminels et ont, en conséquence, déclenché des poursuites contre eux devant la CPI. Cela est la vérité et que d’aucuns y voient une ruse occidentale n’y changera rien.

– Par le Conseil de sécurité de l’ONU :
Il en a été ainsi dans le cas du président Al Bachir du Soudan pour des faits qui se sont produits au Darfour (région du Soudan), et dans le cas des responsables politiques du Kenya. On est en droit d’être solidaire avec un pays arabe ou africain, mais pas au prix de sa dignité et de son honneur.

– Par le procureur de la CPI :
Ce magistrat a jusqu’à présent engagé de sa propre initiative deux procédures, l’une contre des responsables de la Côte d’Ivoire, l’autre contre Seïf El Islam, le fils de feu le «Grand Guide», et contre Abdallah Senoussi, l’ex-chef des services de renseignement de l’ex-«Jamahiriya libyenne». Observons que les poursuites ont été autorisées par la Chambre préliminaire de la CPI, et que Seïf El Islam comme Senoussi font tout ce qu’ils peuvent pour éviter d’être jugés par des juridictions libyennes et n’ont de cesse d’activer pour être transférés à La Haye. Comme on les comprend ! Je conçois aussi fort bien qu’on déplore qu’aucune action pénale n’ait été engagée devant la CPI contre un quelconque responsable civil ou militaire israélien pour des crimes commis contre des Arabes. Observons cependant que les responsables africains — et demain peut-être des Arabes — traduits devant la CPI le sont toujours pour des crimes commis par eux contre leurs compatriotes et leurs coreligionnaires… Par contre, je ne connais pas de cas de crime de guerre ou de crime contre l’humanité commis par des Israéliens contre des Israéliens ou plus généralement contre des juifs ! Il ne faudrait pas que l’impunité, sans doute scandaleuse, de sharon bénéficie aux criminels et génocidaires africains ou arabes !

Compétence de la CPI

Il faut savoir que :
– La CPI n’est pas une juridiction concurrentielle aux juridictions nationales. Sa compétence est dite «subsidiaire ou complémentaire», en ce sens qu’elle n’intervient que quand les juridictions nationales ne sont pas saisies par les autorités compétentes, ne veulent pas ou ne peuvent pas se saisir ou ne sont pas en mesure de juger, selon les normes du Droit… C’est apparemment pour cette raison que la défense de Seïf El Islam persiste à réclamer de la CPI qu’elle se saisisse de son affaire et le fasse échapper à la justice libyenne.
– La CPI juge les personnes mais non les Etats. Si on veut condamner le colonialisme, ce n’est pas à cette Cour qu’il faut s’adresser.
– La CPI ne peut connaître que des crimes commis après sa création : sa compétence n’est pas rétroactive.
– «Ratione materiae», la CPI connaît trois catégories de crimes ; ces crimes sont :

1 – Les crimes contre l’humanité :

Il s’agit d’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : meurtre ; torture ; déportation ; viol, ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ; disparitions forcées de personnes, et autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

2 – Les crimes de guerre :

Ils sont nombreux et variés, on peut citer :
– L’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ; la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ; le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou une personne protégée à servir dans les forces d’une puissance ennemie ; le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ; la déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ; la prise d’otages ; les attaques contre la population civile ; les attaques contre des biens de caractère civil, qui ne sont pas des objectifs militaires ; les attaques contre le personnel, les installations, le matériel, d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix ; les attaques et bombardements des villes, villages, ou bâtiments qui ne sont pas des objectifs militaires ; le fait de tuer ou de blesser un combattant qui s’est rendu ; le fait de déclarer qu’on va exterminer l’ennemi ; le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut ; le fait d’employer du poison ; le fait d’employer des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires ; le fait d’utiliser des munitions à fragmentation ; les atteintes à la dignité de la personne, les traitements humiliants et dégradants ; le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle ; le fait d’utiliser comme bouclier humain des civils ; le fait d’affamer des civils et de les priver de biens indispensables à leur survie ; le fait de procéder à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer à des hostilités…

3- Le crime de génocide

On entend par crime de génocide toute action volontaire tendant à l’extermination totale ou partielle d’un groupe humain ou d’une collectivité humaine, à raison de sa nationalité ou de son ethnie ou de sa religion. Ce sont là des crimes très lourds. Enfin, il semblerait, dit-on, qu’il a été proposé, il y a quelque temps, d’ajouter à cette liste de crimes graves le crime d’apartheid et celui de colonialisme.
Mais s’agissant de l’apartheid, c’est l’Afrique du Sud, avec sa commission Vérité et Justice qui a réglé à tout jamais les comptes de l’apartheid. S’agissant du colonialisme, on dira tout simplement que tous les individus qui ont été, d’une manière ou d’une autre, des colonialistes sont aujourd’hui décédés : l’action publique est en ce qui les concerne éteinte.
On pourrait s’amuser à la réactiver : mais à quoi bon ? Et puis, nulle part on ne juge ni condamne des morts ! Par contre, il serait plus pertinent et plus judicieux pour nos pays englués dans la corruption, les razzias et le pillage des ressources nationales d’ajouter à la liste infernale des crimes relevant de la CPI les crimes économiques et financiers commis par les grands prédateurs à cols blancs, au préjudice de l’économie et des finances publiques. Ce serait une excellente manière de resserrer les mailles du filet et rendre vaine la fuite à l’étranger des grands prédateurs de l’économie nationale.
Z. S.