Entretien avec Me Khaled Bourayou : dépénalisation de l’acte de gestion, prérogatives du DRS…

Entretien avec Me Khaled Bourayou : dépénalisation de l’acte de gestion, prérogatives du DRS…

Hadjer Guenanfa, TSA 16 août 2015

Que pensez-vous des nouveaux amendements du Code de procédure pénale ?

D’abord, la question est de savoir de quelle philosophie procède le système judiciaire. Aujourd’hui, on constate que c’est l’Exécutif qui modifie et complète, par ordonnance, un Code de procédure pénale qui aurait dû, à mon avis, être soumis au débat à l’Assemblée nationale car je suis persuadé qu’il y aurait eu plus d’avancées. Ceci étant, cette ordonnance apporte plusieurs amendements importants dont la réglementation de l’interdiction de sortie du territoire qui se faisait auparavant sans aucune base légale. Elle renforce également le pouvoir du juge d’instruction. Lorsque ce dernier ordonne la liberté provisoire, le prévenu est désormais immédiatement libéré sans être obligé d’attendre l’appel du ministère public (conformément à l’article 28, alinéa 3).

Le nouveau texte met aussi en place de nouvelles procédures telles que la médiation, la comparution immédiate en substitution de la procédure du flagrant délit. Dans l’ensemble, cette ordonnance essaie d’actualiser un Code de procédure pénale qui est très ancien (1966) et d’établir de nouvelles règles qui vont permettre à l’appareil judiciaire de mieux fonctionner. Mais cela va demander beaucoup d’efforts et de moyens.

Est-ce que l’ordonnance, qui vous accorde désormais le droit de visite de vos clients lors de la garde à vue, facilitera votre travail en tant qu’avocat ?

L’avocat n’est pas un agent du protocole mais un auxiliaire de la justice qui devrait avoir des prérogatives lui permettant de participer à l’enquête préliminaire effectuée par la police judiciaire. L’extension du droit de la défense à la garde à vue est une grande orientation de la commission nationale de la réforme de la justice du professeur Issad instituée en 1999 qui n’est toujours pas prise en charge dans cette ordonnance. Cette extension reste donc purement protocolaire. Il s’agit d’un leurre. La présence de l’avocat lors des interrogatoires permettrait pourtant de mettre le justiciable à l’abri de toute pression, intimidation ou actes de torture pour l’extorsion d’aveux.

Y-t-il eu des changements dans les prérogatives de la police judiciaire du DRS ?

Dans les anciens textes, on parlait des officiers de la sécurité militaire. Dans l’ordonnance, on parle des officiers des services militaires de sécurité. Concrètement, cela veut dire que ce n’est plus les services du DRS mais de l’armée qui ont la qualité de police judiciaire et qui peuvent donc mener des enquêtes. Dans cette ordonnance, il est précisé que la garde à vue ne peut avoir lieu que dans les locaux destinés à cet effet, préalablement connus du ministère Public et garantissant le respect de la dignité humaine. Le Procureur territorialement compétent est informé des lieux de gardes à vue qu’il peut visiter à tout moment.

Cette rédaction maladroite fait clairement allusion aux gardes à vue pratiquées dans les locaux de la police judiciaire de la sécurité militaire. On a également ajouté un point important. Le Procureur peut désormais désigner d’office ou suite à une requête d’un membre de la famille du prévenu un médecin qui examinera ce dernier à n’importe quel moment des délais prévus.

Pensez-vous qu’un procureur pourrait visiter les locaux de garde à vue placés sous la tutelle de la Défense ?

Selon le texte, le procureur pourra visiter l’ensemble des lieux où est pratiquée une garde à vue. Cependant, la pratique nous démontrera si cette prérogative pourrait être réellement exercée.

Y-a-t-il vraiment dépénalisation de l’acte de gestion comme l’a affirmé le ministre de la Justice ?

Pas du tout ! Il n’y a pas de dépénalisation de l’acte de gestion. Ce texte apporte un amendement en ce qui concerne les attributions du Parquet, relatives à la mise en œuvre de l’action publique désormais soumise à une plainte préalable des organes sociaux de l’entreprise économique. Cet amendement assimilé à une dépénalisation de l’acte de gestion n’est en fait qu’un remake du dispositif introduit par la loi du 26 juin 2001 au niveau de l’article 119 du Code pénal avant que cette disposition ne soit abrogée en 2006. La dépénalisation, c’est d’enlever à l’infraction son caractère privatif de liberté. Ce qui n’est pas le cas.

Est-ce que ce texte pourrait être considéré comme étant une avancée ?

On constate que c’est l’Exécutif qui préside toujours à l’orientation du système judiciaire national. On s’interroge alors sur cette démarche normative qui aurait dû revenir en temps normal aux prérogatives du pouvoir Législatif pour soumettre l’apport de ce texte au débat parlementaire et à la participation de la représentation de l’Ordre des avocats ainsi qu’à celle des Hommes de loi et tous ceux qui s’intéressent aux libertés et à l’organisation des affaires de la cité. Il est clair que l’apport de ce texte répond beaucoup plus à une exigence de mise à niveau du Code de procédure avec les standards internationaux en la matière qu’à une volonté d’émanciper le pouvoir judiciaire de la tutelle de l’Exécutif. Un pouvoir judiciaire qui reste un instrument de l’Exécutif.
Quels enseignements peut-on tirer des grands procès qui ont eu lieu cette année ?

L’année judiciaire reste marquée par ces trois procès, l’autoroute Est-Ouest, khalifa et Sonatrach, dont la programmation était presque simultanée. Ces dossiers aussi pesants sur la gouvernance actuelle, qui touchent à de grands scandales financiers qu’à l’occurrence de certaines personnalités politiques, ont constitué une opération de blanchiment judiciaire.