L’affaire des massacres de Bentalha et Raïs devant la justice

DES PEINES DE PERPETUITE ET CINQ ANS DE PRISON REQUIS

L’affaire des massacres de Bentalha et Raïs devant la justice

Le Quotidien d’Oran, 2 août 2004

Hier, au tribunal de Abane Ramdane, neuf personnes dont une femme ont répondu aux membres du jury du tribunal criminel sur des questions relatives aux massacres perpétrés dans les régions de Raïs et de Bentalha. A en croire les neuf accusés, ils sont tous innocents et leur présence à ce tribunal n’est qu’une «grossière erreur».

10h00. Les neuf accusés sont là. Fort bien mis, ils profitent de leur présence au tribunal pour adresser quelques mots à leurs familles qu’ils n’ont pas vues depuis longtemps, aux amis et autres «ouled el houma». A la lecture des griefs reprochés aux inculpés, les accusés semblent quelque peu ennuyés par le temps que prend cette opération. Il est frappant de voir qu’au moment où l’on expose des faits de «séquestration, viols, vols à main armée, provocation d’insécurité au sein de la population», les neuf accusés, eux, discutent, rigolent, s’ennuient.

Le premier à être interrogé est Boulamia Fouad, un inculpé jugé et condamné à la prison à vie dans une affaire de meurtre du responsable de l’ex-FIS, Abdelkader Hachani. D’emblée, M. Boulamia se dit «choqué» par les faits qui lui sont imputés. «J’ai toujours été un garçon timide, je n’oserai jamais regarder une femme en face, comment pouvez-vous m’accuser de séquestration et de viol ? Dès que je vois une femme, je deviens tout rouge. Non monsieur le président, je ne pourrais jamais faire ce genre de choses», implore-t-il. Il poursuit en disant qu’il «est vrai qu’il a appartenu à un groupe armé qu’il avait rejoint aux débuts de l’année 94». Sa mission, explique-t-il, consistait dans «l’information». «Je n’étais qu’un intermédiaire, mon travail consistait à arpenter les maquis pour informer les groupes des dangers et des emplacements des éléments de sécurité. Je n’ai jamais participé aux tueries ni aux viols, je n’ai même jamais touché à une femme», insiste-t-il. Le président du tribunal l’interrompt en lui disant que lors de sa déposition à la police, M. Boulamia «avait pourtant reconnu ces faits». M. Boulamia, lui, soutient qu’à cette époque, il pouvait reconnaître n’importe quoi pourvu que l’on arrête les mauvais traitements qu’il subissait à la centrale. «Aujourd’hui, affirme-t-il, je ne sais plus ce que j’ai dit à la police». Ainsi, M. Boulamia ne se souvient plus d’avoir reconnu avoir déposé une bombe dans un café de Birkhadem, ni un vol à main armée au square d’Alger et encore moins avoir participé aux massacres de Bentalha. «Tout ce que je peux vous dire, a-t-il clamé, c’est que durant cette période, j’étais dans les parages et je souffrais de blessures par balles». M. Boulamia n’en dira pas plus.

Le deuxième accusé est Chemlel Youcef. Le juge lui reproche d’avoir acheminé des armes à feu. «Mis à part la falsification des papiers, je n’ai rien fait ! Je n’ai jamais reconnu que j’appartenais à un groupe terroriste même sous les menaces de la police et ils l’on quand même mis sur mon dossier», plaide-t-il. Fort bavard, Chemlel Youcef glisse en affirmant qu’il a une bonne connaissance des armes «grâce à des magazines spécialisés» qu’il «aurait lus à la prison». Cette «gaffe» ne fera que semer le doute sur lui. Il tentera de se rattraper en disant que ayant un niveau de troisième année universitaire, il est très curieux et il lit tout ce qui lui tombe sous la main. En plus, ajoute-t-il, «ces armes n’existent pas en Algérie». Néanmoins, estime le juge, «vous avez quand même transmis des munitions à Bouraoui (lui aussi présent au box des accusés, ndlr)». «Non M. le président, s’emporte M. Chemlel, n’ayant pas de place chez moi, je lui ai laissé un fourneau !!!». Les juges, les avocats, les journalistes et les curieux en sont restés cois.

Ce sera ensuite au tour de Bouraoui Nabil de répondre aux questions du juge. Il explique qu’il avait reçu un fourneau de la part de son ami d’enfance qu’il avait laissé chez sa cousine. «Mais puisqu’il s’agit d’un simple fourneau, pourquoi aviez-vous besoin de le cacher chez votre cousine ?», interroge le juge. M. Bouraoui ne répond pas. La cousine dont il s’agit, Mme Khouchène Wahiba, impliquée dans une autre affaire d’appartenance à un groupe armé, abonde dans le même sens. Elle assure qu’elle a reçu une boîte sur laquelle était écrit «fourneau» mais qu’elle ne l’avait pas ouverte. Lorsque les éléments de la police entrent chez elle, ils trouvent toute une gamme de munitions et d’armes à feu à l’intérieur de la boîte. Cette histoire de «fourneau» ne fait qu’embrouiller les jurys.

Les autres inculpés sont accusés d’avoir «encouragé les actions terroristes», aucun d’entre eux n’avouera les faits mis à part M. Debah, appelé communément «Ami Amar». Ancien moudjahid, âgé de 70 ans, il a reconnu avoir hébergé Fouad Boualamia en 1999 car il pensait que «Fouad allait se rendre».

18h00. Le tribunal de Abane Ramdane s’est vidé et les avocats continuent de plaider la cause de leurs clients. Le procureur général a requis la prison à vie pour Boulamia, Chemlel et Bouraoui, et cinq ans de prison pour Khounèche Wahiba.

Hier tard dans la soirée, le verdict n’était pas encore tombé.

Amel Blidi