Farid Bedjaoui visé par la justice française

Après les mandats d’arrêt d’Alger et de Milan

Farid Bedjaoui visé par la justice française

El Watan, 20 décembre 2014

Farid Bedjaoui — bras financier de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil — est dans le collimateur de la justice française. Le parquet national financier (institution spécialisée dans les affaires de corruption et de grande fraude fiscale) a ouvert une information judiciaire visant Farid Bedjaoui, suspecté pour une affaire de blanchiment d’argent. L’affaire a été lancée depuis quelques mois déjà suite à une enquête menée par la police française.

Deux juges – et pas des moindres, Renaud Van Ruymbeke et Sophie Clément – sont chargés par le parquet financier de se pencher sur le cas de celui qui est réclamé par les justices algérienne et italienne, car il fait objet d’un mandat d’arrêt international pour «association de malfaiteurs» dans le scandale de corruption de Sonatrach. Selon nos informations, les biens immobiliers et un bateau appartenant à Farid Bedjaoui et à son associé ont été saisis par le parquet national financier. Ses avoirs en France sont également gelés.

Le montant de ces biens s’élèverait à plusieurs millions d’euros. Nous sources, proches du dossier, indiquent également que pour l’instant, les deux juges ont engagé une procédure de mise en examen de Farid Bedjaoui et de son associé. Agé de 44 ans, détenteur des nationalités algérienne, canadienne et française, proche parent de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, Farid Bedjaoui est en cavale depuis qu’il a été accusé d’être mêlé au scandale de corruption lié à des contrats signés entre la compagnie pétrolière italienne Saipem et Sonatrach. Le parquet national financier mis en place par le président François Hollande, au début de l’année en cours, s’intéresse aux «affaires sensibles».

Le champ d’action du parquet est large : il a compétence spécifique pour les délits boursiers et a une compétence concurrente pour les délits de corruption d’agents publics étrangers, de corruption privée et de toutes les atteintes à la probité, prise illégale d’intérêts, escroquerie à la TVA, fraude fiscale et blanchiment.

La nomination d’un magistrat, célèbre pour avoir instruit des affaires qui ont irrité le pouvoir politique en France, pour prendre en charge cette nouvelle affaire qui épingle Farid Bedjaoui est signe qu’il s’agit d’un dossier lourd. Renaud van Ruymbeke, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un juge rompu aux affaires financières particulièrement sensibles qui ont déstabilisé de hauts dirigeants politiques parisiens.

Il a longtemps occupé la scène politico-judiciaire, notamment sur les affaires Elf, Kerviel et surtout des frégates de Taïwan. En 2010, il secoue également le monde politique en décidant d’enquêter sur une plainte des familles de victimes de l’attentat de Karachi en 2002, dénonçant un financement illicite de la campagne d’Edouard Balladur avec le produit de rétrocommissions sur la vente de sous-marins au Pakistan.

Avec le cas Farid Bedjaoui, Renaud van Ruymbeke ajoute à son palmarès judiciaire une autre affaire aux ramifications internationales impliquant plusieurs dirigeants de groupes pétroliers et des hommes politiques, notamment en Algérie.
Farid Bedjaoui est considéré comme l’homme de main de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, lui aussi sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par le parquet d’Alger.

Ce dernier, qui a dans un premier temps affiché sa «volonté» d’aller au bout de cette affaire pour faire éclater la vérité, a fini par se murer dans un silence aussi intrigant qu’incompréhensible. Cette affaire aux implications politiques, qui a fortement déstabilisé le clan présidentiel, risque d’être étouffée. Sinon comment expliquer que Chakib Khelil et son acolyte Farid Bedjaoui coulent des jours tranquilles, le premier aux Etats-Unis, le second aux Emirats arabes unis ?

Pour rappel, Farid Bedjaoui avait riposté en menaçant de «tout déballer» dans le cas où il serait «rattrapé par la justice algérienne». Un chantage à peine voilé fait aux dignitaires du régime qui seraient mêlés au scandale de corruption qui a dynamité la compagnie pétrolière nationale. Un accusé gênant, que certains puissants du régime ne souhaiteraient pas voir dans le box des accusés. L’ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi, en poste lors l’émission du mandat d’arrêt contre Khelil et Bedjaoui, avait révélé, à la veille de l’élection présidentielle d’avril 2014, comment le patron du FLN, Amar Saadani, lui a été envoyé pour «sortir Khelil du dossier».
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