BCIA: A l’origine, il y avait le sucre

BCIA

A l’origine, il y avait le sucre

Le Quotidien d’Oran, 29 janvier 2007

Le procès de la BCIA s’est poursuivi hier avec l’audition des accusés. Adda Larbi, l’ex-directeur de l’agence «Yougoslavie» de la BEA sise à Oran, était le premier à comparaître au box des accusés.

Ce choix du tribunal n’est pas fortuit car c’est cette agence bancaire qui avait escompté 41 traites suspectes avalisées par la BCIA, d’un montant global de 4,2 milliards de dinars, ainsi que des bons de caisse de plusieurs millions de dinars. La BEA n’a pas recouvré cet argent versé à des commerçants importateurs à ce jour. «Quelle était votre fonction au sein de la BEA ?», demande le juge. «J’étais le directeur de l’agence 74 de la BEA Médioni depuis septembre 2000. J’ai été promu à ce poste après 35 ans de service», répond Adda, accusé de dilapidation de deniers publics. «Qu’avez-vous à dire sur les faits qui vous sont reprochés ?». «Les traites que notre agence a escomptées étaient garanties par la BCIA. La circulaire 131/96 me donnait les prérogatives d’escompter une traite à concurrence de 20% du chiffre d’affaires du client bénéficiaire. Mais avant toute chose, permettez-moi de vous signaler un point essentiel. Toute cette affaire est due à un retard volontaire dans l’envoi par l’agence centrale BEA «Emir Abdelkader» (Oran) de ces effets de commerce (les 41 traites) au service de la compensation de la Banque d’Algérie. Si ces traites avaient été acheminées à temps, nous n’en serions pas là», déclare Adda Larbi. Le juge: «Pouvez-vous être plus clair ?». «Ces traites, dont l’échéance était le 30 avril 2003, ont été avalisées et émises par la BCIA au profit de ses 6 clients: Sarl Sotrapla, Fouatih et Nbia, qui se taillent la part du lion, LAAT, Algérie Aluminum et Al-Pharm. Mon agence BEA a reçu ces traites durant la première semaine du mois d’avril 2003 et les a envoyées à l’agence régionale BEA «Emir Abdelkader» le 29 du même mois», explique Adda Larbi. Le juge intervient: «Mais pourquoi avez-vous attendu jusqu’au 29 avril pour envoyer ces traites, soit un jour avant leur date d’échéance. N’est-ce pas un gros risque là, d’autant qu’il s’agit d’une valeur importante ?». «Un jour, c’était suffisant pour le traitement de ces effets de commerce, c’est une opération très simple», répond l’accusé. Et d’ajouter: «C’est l’agence BEA Emir Abdelkader qui a pris beaucoup de temps, et donc autant de risque, en n’envoyant ces traites à la Banque d’Algérie pour la compensation que plusieurs jours plus tard. C’est pourquoi le délai a été dépassé et, de ce fait, la BCIA a refusé d’honorer ces traites au profit de la BEA. La lenteur, c’était exprès pour nuire à quelqu’un». Le juge réplique: «Et vous, pourquoi vous avez envoyé si tardivement ces 41 traites?». «Je suis le gestionnaire d’une agence de banque, une administration structurée et hiérarchisée, il y a des agents, des chefs de service… Chacun a une tâche à remplir. Ils veulent me faire tout endosser, comme avec Khalifa. La BEA n’est pas Adda Bank !». Eclats de rire dans la salle. Le juge poursuit son interrogatoire: «Pourquoi vous n’avez pas vérifié si l’état financier des clients en question (leurs chiffres d’affaires) permettait de couvrir les montants escomptés ? C’était facile à faire». L’accusé répond: «Je n’avais pas besoin de le faire. Je suis un banquier, ces effets sont garantis par une banque qui possède un agrément (la BCIA) et ma banque peut en tirer un bénéfice sûr». «Sûr, dites-vous ! C’est pourquoi la BEA n’a pas recouvert son argent déboursé à ce jour», ironise le juge. «Le patron de Sotrapla, Addou Samir, avait un crédit BEA de 130 milliards de centimes à l’époque. Or, vous lui avez escompté des traites d’une valeur 6 ou 7 fois supérieure. La loi vous autorise-t-elle à escompter à un client dont le crédit ne couvre pas le montant demandé ?», interroge encore le président du tribunal. «Addou Samir était un client bien connu, tout comme le Groupe Fouatih qui possédait des supermarchés et autres biens de garantie», répond Adda Larbi. Et le juge de continuer: «D’un côté, vous avez apposé votre avis défavorable sur la demande de Ahmed Fouatih pour relever son crédit BEA et, du coup, le plafond de l’autorisation d’escompte à plus de 800 millions de dinars. Mais d’un autre côté, vous avez continué à lui escompter des lettres de change de montants bien supérieurs. Comment expliquez-vous cette contradiction ?». Et l’accusé de s’étaler dans des explications techniques. La «circulaire 131/96» revenait comme un leitmotiv dans les arguments de l’ex-chef d’agence BEA, Adda Larbi. Il s’en sert une nouvelle fois pour justifier le «paradoxe», relevé par le juge, en affirmant qu’il usait de son droit légal d’escompter des «traites brûlantes» (c’est-à-dire des traites à brève échéance) à concurrence de 20% du chiffre d’affaires annuel du client.

Place maintenant aux questions des avocats de la partie civile (la BEA) adressées à l’accusé par le biais du tribunal. «Cette fameuse circulaire, que vous ne cessez de faire valoir comme argument, concerne exclusivement les chèques et non pas les traites», déclare un des avocats de la partie civile. L’accusé: «Pour moi, une traite brûlante vaut un chèque. La circulaire 131/96 est applicable dans les deux cas». «Mais le texte fait expressément mention de chèque, c’est précisé !», réplique le juge. «Disons que c’est une jurisprudence de ma part», lâche l’accusé, provocant un rire dans la salle. Le juge interroge alors l’accusé sur deux bons de caisse escomptés par son agence au profit de deux clients titulaires de comptes à la BCIA, Sahraoui et Bounab, eux-mêmes des accusés. Moyennant un de ces bons de caisse, l’un des deux accusés a pu importer 3.000 tonnes de sucre sans qu’il ait ni l’endossement de la BEA ni son aide de garantie. Le juge: «Cette marchandise, le sucre, est en principe la propriété de la banque tant qu’elle n’a pas été payée par l’opérateur, n’est-ce pas ?», interroge le juge. «Oui, la marchandise doit dans ce cas ‘voyager’ au nom de la banque», confirme l’accusé. «Alors comment expliquez-vous que le concerné a pu procéder à l’enlèvement et au chargement de la marchandise sans obtenir l’autorisation de la banque pour cela ?», revient à la charge le juge. Là encore, la réponse de l’accusé était «trop» technique.

Le juge revient à l’histoire des 41 traites impayées, en demandant à l’accusé: «Qu’est-ce vous avez fait pour régler ce problème en votre qualité de directeur de l’agence ayant escompté ces traites ?». «Le 18 mai, le jour où ces traites rejetées par la BCIA sont retournées à mon agence, le staff régional de la BEA, composé du directeur régional, son adjoint, le directeur du marketing et moi-même, sommes allés à la BCIA pour régler ce problème à l’amiable avec ses responsables. Kharoubi Chakib, le fils du P-DG de la BCIA, qui est le directeur adjoint responsable des service des contentieux, nous a alors rassurés que la BEA aura tout son argent des 41 traites dans quelques jours, excepté les traites de Addou Samir, car ce dernier est en situation irrégulière vis-à-vis la BCIA. La promesse n’ayant pas été tenue, nous sommes revenus quelques jours plus tard et c’est Kharoubi Ahmed qui nous a reçus cette fois-ci. Ce dernier nous a dit qu’il ne traitera ce contentieux qu’en présence de Addou Samir. Nous avons fait venir celui-ci de France et nous sommes revenus chez Kharoubi Ahmed, en espérant que l’affaire sera enfin réglée. Mais la discussion entre Kharoubi et Addou Samir a vite dégénéré et les deux hommes en sont venus aux mains. La BCIA a bloqué le compte de Addou Samir et la BEA n’a pu à ce jour récupérer son agent», relate l’accusé. Le procureur intervient à son tour pour questionner Adda Larbi. «Vous dites que la grande partie des 41 traites étaient au profit de Sotrapla et du groupe Fouatih. Quelles ont été garanties présentées par ces deux clients à votre banque pour que vous leur donniez sans retenue ?», interroge le représentant du ministère public. L’accusé: «Ils ont présenté des garanties à la BCIA, qui a avalisé leurs traites, pas à nous. Le problème se pose entre la BCIA et ces deux hommes. Nous, à la BEA, nous ne cherchions pas à comprendre». «Vous avez découvert grâce à vos agents que les chiffres d’affaires d’un nombre de clients étaient gonflés (fausse déclaration), six fois plus que le chiffre réel, mais vous avez continué à traiter avec eux sans même en informer votre hiérarchie. Il y a plusieurs témoignages contre vous disant que vous avez caché des dossiers et des vérités à votre hiérarchie. Que répondez-vous ?», interroge le procureur général. «Toutes les données sont informatisées, les cacher est impossible ! Ils veulent me faire porter le chapeau, voilà tout !», répond l’accusé.

La séance est levée par le président du tribunal. Le procès reprendra demain avec l’audition d’autres accusés.

H. Saaïdia