Contraint de signer un PV sans le lire

Contraint de signer un PV sans le lire*

Témoignage N°9, in Comité national contre la torture , Cahier noir d’octobre , Entreprise nationale des arts graphiques, Alger, 1989, publié par Algeria-Watch, 5 octobre 2008

Je soussigné, x, né le 28-12-68, demeurant à Ain Benian, déclare que la journée du samedi 8-10-88 à 14h 30 je me rendais en compagnie d’un ami vers un quartier du centre ville au Casino quand 3 agents en civil m’ont demandé de leur remettre mes papiers; mais quand je leur ai remis ma carte scolaire, ceux-ci m’ont demandé de leur fournir des noms de ceux qui avaient fait acte de vandalisme et de pillage. Devant mon refus, vu que je n’avais rien avoir dans cette affaire, 2 des agents m’ont autorisé à partir, mais le 3ème (un certain Brahimi du commissariat de Aïn Benian) m’a demandé de les suivre. Tout en braquant sur moi leurs armes, ils m’ont ensuite mis les menottes, tordu l’avant-bras, et ont à pieds, pendant 500 mètres jusqu’au commissariat de police, tout en m’insultant et en m’humiliant (fils de putain etc…).

A l’arrivée au poste il a déclaré à ses collègues qu’il avait emmené un nouveau, et comme ils étaient tous armés de nerfs de bœuf, manches de pelle, etc…, ils se sont mis à me battre, jusqu’au bureau situé au 1er étage. Ils m’ont inculpé d’outrage à agent, cela sans m’enlever les menottes; ensuite ils m’ont soumis à un interrogatoire en règle, et cela pendant près d’une heure, tout en continuant a me rouer ce coups.

Devant mon obstination à nier les faits ils m’ont mis dans une autre salle et là ils m’ont fait coucher sur le dos, toujours menotté; ils m’ont mis une chaise sur les pieds, un chiffon sur le visage, et, pendant qu’un agent me bouchait le nez, l’autre me versait de l’eau sur le chiffon; et ils m’ont dit que quand je déciderais d’avouer, il fallait que je lève la main. Ce que je faisais chaque fois que je risquais d’étouffer mais dès que je reprenais mon souffle, je ne pouvais avouer ce que n’avais pas fait; et cela jusqu’à ce que je vomisse. Ils m’ont ensuite enlevé les menottes, et ils me frappaient avec sur la tête.

Ensuite ils m’ont mis dans une cellule tout en continuant à me battre; ils m’ont enlevé les chaussures et tout ce que j’avais sur moi. Dans la cellule, j’ai trouvé 15 personnes. J’y suis resté pendant l heure 30; puis ils m’ont appelé et m’ont fait remonter dans un bureau où ils voulaient me coller sur le dos que j’étais meneur et instigateur des émeutes du 5-10-88. Ensuite ils m’ont remis dans la cellule où je suis resté encore pendant 2 heures. ils m’ont appelé encore une fois pour me remettre dans une espèce de geôle où nous avons passé la nuit.

Le lendemain matin, on nous a obligé a faire la corvée au commissariat. Depuis notre arrestation, nous n’avons eu ni à manger ni à boire. Puis on nous a remis dans la cellule jusqu’a 16 heures et des agents de Cheraga sont venus; ils ont formé des haies et nous obligeaient à passer entre eux afin qu’ils puissent nous donner des coups de bâton jusqu’à rembarquement dans un fourgon dans lequel on nous a obligés à nous mettre à plat ventre et ils nous ont emmenés vers une destination inconnue; c’est à l’arrivee que nous nous sommes rendus compte que nous étions a Cheraga, et ce fut le même scénario, à savoir la bastonnade.

On nous a mis ensuite dans une cellule et ils se mis à nous interroger, l’un après l’autre, jusqu’à minuit. Après, ils nous ont appelés un par un, et ils nous ont dit qu’ils nous emmenaient chez les commandos afin qu’ils nous torturent.
De là, ils nous ont mis dans un fourgon où se trouvaient 2 parachutistes qui nous ont obligés à monter à coups de crosse.

Nous avons roulé durant 20 minutes et nous nous sommes arrêtés dans un endroit que je ne connaissais pas. On nous a déshabillés en nous laissant seulement en slip et en nous enlevant notre argent. On nous a obligé à ramper durant des mètres, mouillés et à genoux, sous une pluie de coups de pieds et de bâtons, sur toutes les parties du corps; ensuite ils nous ont fait aller, debout, les mains en l’air, jusqu’à une salle où on nous a mis contre le mur, à genoux, les mains toujours en l’air. Puis on nous a autorisé à nous asseoir, jusqu’à l’arrivée d’agents en civil, qui nous questionnaient et nous donnaient des gifles afin de nous obliger à avouer ce que nous n’avions pas fait. Ca a duré pendant 2 jours. Nous étions uniquement en slip, sous les coups des paras. Ensuite ils nous ont donné du linge au hasard et nous sortîmes de la salle par groupes, et il a fallu les supplier pour avoir un morceau de pain dur. Puis on nous a obligés à astiquer la cuisine de la caserne et à faire un grand nettoyage. Quand on a fini le nettoyage, on nous a mis dans une espèce de cave ou s’écoulaient des égouts : nous étions 500 personnes dans une pièce de 15 m2 et 1 m 50 de hauteur et nous y sommes restés une nuit; le lendemain on nous a emmenés dans une salle dite de torture où nous avons eu droit à une coupe de cheveux à la façon des militaires; puis on nous a appelés, un par un pour subir des tortures. Beaucoup de gens sont passés par la salle de torture; quant a moi j’ai eu de la chance de ne pas passer par là car il faut voir pour croire, dans quel état redescendaient ceux qui montaient dans la salle en question.

A notre retour, on m’a demandé de signer sous la force 7 feuilles dont j’ignorais contenu. J’ai su plus tard que c’était mon PV, vu que je n’ai jamais eu affaire a la justice. Après notre signature, on nous a remis dans la cave et jeudi 13-10-88 à 7 heures, on nous a emmenés au tribunal de Cheraga où le procureur nous a posé des questions. Quand on a fini, il était 16 heures et on nous a emmenés à la maison d’arrêt d’El Harrach où je suis resté jusqu’au 2-11-88, date à laquelle nous avons été mis en liberté provisoire sur ordre du Président de la République. je tiens à souligner que je passerai en justice le 7-11-88

Ce témoignage a été recueilli par Ait Hatrit Ramdane en présence de Aichoune Mohamed

* Titre d’Algeria-Watch