A 500 dans une cave

A 500 dans une cave*

Témoignage n°2, in Comité national contre la torture , Cahier noir d’octobre , Entreprise nationale des arts graphiques, Alger, 1989, publié par Algeria-Watch, 5 octobre 2008

Né le 8-7-1940 a Toudja (W.Bejai’a)

Je soussigné, x, né le 8-7-1940 à Toudja (w.Bejaïa) déclare faire le témoignage suivant: le vendredi 7-10-88 à environ 13 h 30 (heure de sortie de la prière du vendredi) je cherchais mes enfants qui n’étaient pas rentrés à la maison de toute la matinée.

Arrivé à hauteur du portail du dépôt de police je fus appréhendé par quatre personnes qui ont sorti des revolvers et m’ont ordonné de lever les mains en l’air; il y avait avec moi Mahmoud Iguechtal qui a aussi été appréhendé. J’ai essayé de m’expliquer en leur disant que je cherchais mes enfants; je leur ai demandé de me laisser les reprendre à la maison et que je me rendrais ensuite au commissariat. Le fourgon de police est arrivé presque aussitôt. ils nous emmenèrent au commissariat de police puis nous firent monter aux bureaux. II y avait là un agent en civil, assis derrière un bureau, nous étions assis par terre liés par des menottes. Il me posa la question suivante : « qu’est ce qui t’a amené ici ? », suivi de grossièretés à mon encontre puis me flanqua un coup de poing. Moi, je répondis que cherchant mes enfants, je n’avais rien à me reprocher. Il reprit me disant qu’il faut que je lui donne des noms d’au moins quatre personnes avec adresse, etc., me menaçant de me faire emprisonner si je ne le faisais pas. Je répondis que je n’avais rien à lui dire ni rien à me reprocher. Une heure après ou moins que ça, un policier en civil, court de taille, un peu épais, teint brun, âgé d’environ 40 a 45 ans est rentré dans le bureau et a commencé à nous battre tous les deux (nous étions par terre liés l’un à l’autre). Il m’a pris par les cheveux, me frappant la tête contre le mur puis me jeta, nous entraînant par terre. Il continuait de nous battre à coup de pieds sur la tête et au hasard tout en vociférant des insultes puis il sortit. Ils nous laissèrent là, sur le tapis, surveillés par quatre gardiens. Ils nous emmenèrent, toujours lies l’un a l’autre, en cellule.

La cellule était humide, les toilettes étaient bouchées, et l’eau dégoulinait entraînant les excréments dans son cheminement. II y avait un robinet cassé ou plutôt il n’y avait pas de robinet du tout, l’eau s’écoulait librement; nous appelâmes les policiers pour fermer l’eau mais rien n’y fit; nous fûmes obligés de boucher le tuyau nous mêmes.
D’autres personnes arrivèrent, nous étions toujours liés mon compagnon d’infortune et moi, par les menottes. Plus tard, on nous délia; on apprit qu’il avait oublié les clefs des menottes à la maison où il s’était rendu pour dîner. Le samedi matin, on nous sortit de la cellule a coup de pieds pour nous faire monter dans le fourgon cellulaire. J’ai chuté, me suis relevé et suis monté dans le fourgon cellulaire qui démarra; nous étions couchés à l’interieur sur le plancher, vers une destination inconnue; après un certain temps, nous arrivâmes. Ils demandèrent de sortir, nous passâmes à travers une haie de policiers et qui du pied, qui du poing ou du casse-tête abattirent sur nous une pluie de coups; direction la cellule ou nous trouvâmes des citoyens de Cheraga. Ils appelèrent Badjou Ayache, plus tard ils le ramenèrent par les pieds et les mains et le jetèrent au cachot.

Vers 22 heures, plusieurs policiers vinrent nous sortir: ils firent l’appel; un par un nous sortîmes et ils nous firent monter dans un fourgon cellulaire grillage, nous étions allongés à plat ventre sur le plancher l’un à côte de l’autre. Le fourgon était plein, nouvelle direction inconnue; arrivés à destination on nous intima l’ordre de nous déshabiller complètement, sauf ceux qui avaient des slips, puis ils nous mirent à genoux. Les paras étaient nombreux, une file de chaque côté, et ils nous firent marcher à genoux jusqu’au bout puis ils nous aspergèrent d’eau et ils nous battirent aux tuyaux, coups de rangers, coups de crosse, sans merci, et cela sur une distance de près de cinq cent mètres.
Arrivés au bout, nous trouvâmes des habits, ils nous intimèrent l’ordre de nous habiller, nous nous habillâmes avec du linge qui ne nous appartenait pas, c’était du linge d’autres détenus.

On nous jeta dans une cave spacieuse mais basse, elle contenait près de cinq cent personnes, nous passâmes la nuit du samedi 8-10-88 puis nous passâmes les journées et les nuits du dimanche, lundi, mardi puis le mercredi matin, des officiers et des soldats vinrent avec une liste : ils appelèrent environ 15 a 20 personnes tous âges confondus originaires de Staoueli, Bouchaoui, Ain-Benian, Cheraga qu’ils casèrent dans une salle. J’en faisais partie. Je me rappelle que plusieurs personnes qui suffoquaient en raison des tuyauteries cassées d’où émanait des odeurs pestilentielles, furent sorties pour respirer un peu.

Le mardi, on nous avait fait signer des feuilles dont nous ne connaissions pas le contenu, 8 feuilles en tout, ceux qui refusaient de signer étaient emmenés dans une pièce située en haut.
Jeudi matin vers 7h des militaires paras, accompagnés de civils, vinrent faire l’appel et nous firent sortir pour nous faire monter dans un fourgon cellulaire dans les mêmes conditions que précédemment; ils nous présentèrent au procureur. Ils firent l’appel, puis s’ensuivit un interrogatoire; enfin ils nous firent rentrer de nouveau dans le fourgon qui nous emmena, nous le constatâmes à l’arrivée, à la maison d’arrêt d’El Harrach. Il faisait nuit; on ne nous servit rien a manger; on nous présenta dans un bureau pour y de poser nos objets personnels; on nous donna une couverture chacun, puis on nous emmena dans une salle commune pouvant contenir 240 personnes. Au bout de sept jours, on nous emmena dans un fourgon cellulaire en direction de Cheraga. Nous étions debout cette fois-ci puis juges en présence de juge. On nous ramena a El Harrach. Nous fumes libérés provisoirement dans les conditions que tout le monde connaît.

Fait à Ain Benian le 6-11-88
Ce témoignage a été fait en présence de:
Kalouf Abderrahmane, Ait Idir Hamid, Bouderoua Hakim

* Titre d’Algeria-Watch