Les 7 jours qui ébranlèrent le système

Les évènements ont duré une semaine

Les 7 jours qui ébranlèrent le système

Par :Rédaction de Liberté, 5 octobre 2008

L’explosion populaire d’Octobre 1988 a été précédée pendant tout l’été 1988 de mouvements de colère de la population dans plusieurs villes du pays (Tazmalt, Mostaganem, Béjaïa, Sétif…), mais aussi par des mouvements de grève dans plusieurs entreprises du pays (SNVI Rouiba et zone industrielle d’Alger). Ces signes avant-coureurs ont culminé dès la fin du mois de septembre par le mot d’ordre de grève générale pour le 5 octobre 1988.

Mardi 4 octobre – Dès le début de la journée, une angoisse palpable règne sur Alger. En fin de matinée, les lycéens d’El-Harrach sortent dans la rue et sont violemment réprimés par les forces de l’ordre.
Dans la soirée, des manifestations éclatent dans les quartiers de Bab El-Oued, Chevalley, Fougeroux, Climat-de-France ainsi qu’à Bachdjarrah. Cette nuit, la première barricade a été dressée à Bab El-Oued avec un camion du service de nettoiement.
Les heurts avec les forces de l’ordre sont très violents (utilisation de gaz lacrymogènes) et durent jusqu’à l’aube. C’est au cours de cette journée que les premières arrestations sont opérées.

Mercredi 5 octobre – Le mouvement s’étend à d’autres quartiers de la capitale (El-Biar, Bouzaréah, Ben Aknoun, Alger-Centre, 1er-Mai, Belcourt, Hussein Dey, El-Harrach, Kouba) et à plusieurs villages de l’Algérois (Dély-Ibrahim, Boufarik, Blida, Aïn Taya, Bordj El-Bahri, Chéraga, Aïn Benian, Staouéli… ).
Les manifestants détruisent sur leur passage tout ce qui symbolise l’État, la répression, l’arbitraire, les pénuries et le luxe (ministère de
l’Éducation nationale, ministère
de la Jeunesse et des Sports, commissariats de police, kasmas, Souks El-Fellah, Galeries, Riad El-Feth ainsi que certains magasins privés de luxe). Ce jour-là, les premiers morts de l’intifadha sont signalés.

Jeudi 6 octobre – De grosses manifestations et de violents accrochages ont lieu vers 10h dans le centre-ville (Didouche-Mourad, Mohammed-V) et vers 12h à Belcourt et à la place du 1er-Mai. La police (commissariat de la rue Robertseau), et des francs-tireurs (rue Ferhat-Boussaâd) tirent sur les manifestants.
Devant l’ampleur de l’intifadha, l’état de siège est instauré dans Alger et l’Algérois, et l’armée encercle les quartiers populaires et protège les quartiers résidentiels dès le début de l’après-midi. À El-Biar, vers 17h, un char tombe en panne et les soldats tirent sur les manifestants : 2 morts sont dénombrés et le bilan s’alourdit d’heure en heure dans tous les quartiers de la ville. En effet, l’armée tire sur la foule qui tente d’incendier le magasin Districh de la place des Martyrs.

Vendredi 7 octobre – La première nuit d’état de siège a été relativement calme et le couvre-feu relativement respecté. L’armée en profite pour se déployer dans toute la ville.
Après la prière du vendredi, partent de Bab-El-Oued et de Belcourt deux marches silencieuses vers l’hôpital pour réclamer les corps des victimes. Elles sont bloquées à proximité de l’hôpital. Après avoir parlementé avec les soldats, l’imam de Bab El-Oued, organisateur de la marche, demande aux manifestants de se disperser, évitant ainsi le pire.
Dans l’après-midi, l’intifadha s’étend à d’autres régions du pays (Oran, Annaba, Mostaganem, Tiaret, Guelma, Chlef, Médéa, Djelfa… ).
Dans certaines villes, l’armée intervient sans que l’état de siège soit élargi à l’ensemble du territoire national. À Alger, le couvre-feu est avancé à 22h et l’armée se déploie à l’intérieur du quartier de Bab El-Oued.

Samedi 8 octobre – Un calme relatif règne durant toute la journée, mais des manifestations éclatent à Kouba, Bachdjarrah, 1er-Mai, Didouche-Mourad et Mohammed-V. L’armée riposte violemment, et des observateurs notent la recrudescence des francs-tireurs. Vers 23h, le ministre de l’Intérieur intervient et reconnaît explicitement l’ampleur de l’explosion populaire.

Dimanche 9 octobre – Les arrestations continuent, les médias annoncent que le Président s’adressera à la nation le lendemain, lundi 10 octobre à 20h.

Lundi 10 octobre – À l’appel d’Ali Benhadj, des milliers de citoyens (jeunes, vieux, femmes) se rassemblent à Belcourt, les jeunes des quartiers nord-ouest (Casbah, Bab El-Oued, Bologhine, Soustara) entreprennent une marche silencieuse et pacifique vers Bab El-Oued. Au niveau
du siège de la DGSN, un franc-tireur ouvre le feu, l’armée riposte en mitraillant la foule, bilan : 36 morts. À 20h, les Algérois, encore sous le choc du massacre, écoutent le discours du Président. L’appel au calme semble être entendu par les manifestants et la situation revient peu à peu à la normale. L’état de siège est levé le 12 octobre. Vient ensuite l’heure des bilans : 179 morts sont dénombrés officiellement, plus de 500 d’après les Algérois, des milliers d’arrestations et les personnes libérées témoignent des tortures subies.
Le soulèvement par lequel le peuple a manifesté sa colère n’a pu trouver, en l’absence de cadre crédible d’expression et de débat, que la rue comme lieu d’expression de son malaise, son désarroi et sa révolte. Il trouve son origine dans :

– les inégalités sociales criantes, en particulier le contraste existant entre les privilèges, le confort indécent et le luxe d’une classe liée au régime et la dégradation des conditions sociales de la majorité du peuple algérien ;

– la baisse du pouvoir d’achat, l’envol du prix des produits de première nécessité et la stagnation des salaires, pour la majorité insignifiants ;

– la pénurie de produits de première nécessité (aliments et médicaments) ;

– les problèmes de la vie quotidienne (logement, eau, transport) ;

– la faillite du système éducatif qui jette chaque année des milliers de jeunes à la rue, sans travail ni qualification ;

– une politique de compression de personnel et de non-création d’emplois qui se traduit par un chômage endémique et laisse notre jeunesse sans perspectives ;

– l’abolition d’acquis sociaux tels que la médecine gratuite, la sécurité sociale et le soutien des prix ;

– mais aussi, il traduit un désir profond de changement du système politique et une crise profonde de confiance entre le peuple et l’État représenté par le parti, les autorités locales et les organisations de masse.

Source : bulletin du Comité de coordination interuniversitaire