Il y a cinquante ans, la semaine des barricades

Il y a cinquante ans, la semaine des barricades

Par Ait Benali Boubekeur, 28 janvier 2010

« Compte tenu de toutes les données, algériennes, nationales et internationales, je considère comme nécessaire que ce recours à l’autodétermination soit, dés aujourd’hui, proclamé », extrait du discours du général de Gaulle du 16 septembre 1959.

Dans ce fameux discours, le général a proposé trois solutions possibles. Il pouvait y avoir, selon lui, ou la sécession ou la francisation complète ou le gouvernement des Algériens par des Algériens, appuyés sur l’aide de la France et en union étroite avec elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense et les relations extérieures. En tout cas, le choix du président français penchait sans ambages pour la troisième alternative. Mais, en sachant que le peuple algérien allait rejeter tout maintien sous tutelle, la bataille politique, dirigé substantiellement par les ultras, a commencé. D’ailleurs, la controverse sur l’autodétermination a touché même le parti gaulliste, l’UNR (Union pour la Nouvelle République). Benjamin Stora, auteur de « Le mystère de Gaulle : son choix pour l’Algérie », a écrit à ce propos : « Neuf députés gaullistes quittent la formation en octobre 1959. Quelques jours auparavant, le 19 septembre, Georges Bidault et Roger Duchet ont créé le Rassemblement pour l’Algérie française. » En Algérie, l’effervescence a été manifestée par les organisations des ultras de l’Algérie française. Ainsi, dés le 17 septembre, le MP13 (Mouvement populaire du 13 mai) a vilipendé la politique gaullienne en criant au complot. Par conséquent, de conciliabules en conciliabules, les activistes, à leurs têtes certains colonels, ont songé à rééditer les manifestations du 13 mai 1958, ayant permis le retour du général de Gaulle aux responsabilités, afin de contraindre l’Elysée à revenir sur l’autodétermination. Tous les moyens, estimaient-ils, étaient bons pour y parvenir. Le rendez-vous a été pris pour le 24 janvier 1960. Pendant une semaine, Alger et Oran ont été le théâtre de manifestations, connue sous le nom de la « semaine des barricades ».

Cependant, dans cette bataille franco-française, l’engagement des colonels aux côtés des insurgés a compliqué la tâche au général de Gaulle. En effet, certains colonels, comme Gardes et Argoud, ont été intiment convaincus que, pour sauver l’Algérie française, il fallait faire revenir de Gaulle sur sa décision d’autodétermination. Selon Yves Courrière : « Ces colonels sont persuadés que le 13 mai est revenu. Et qu’ils vont gagner. » Car, le retour du général de Gaulle au pouvoir n’avait été possible que grâce aux manifestations du 13 mai où les colonels avaient joué un rôle prépondérant. En effet, le comité de vigilance, présidé à ce moment-là par le Général Massu, avait exigé la formation d’un gouvernement de salut public dirigé par le général de Gaulle. Et sans ces durs de l’Algérie française, le général ne serait jamais revenu aux affaires. Pour preuve, voila ce qu’a écrit l’historien, Christophe Nick, dans son livre intitulé Résurrection: « Au soir du 2 janvier 1956, date du deuxième tour des législatives, les gaullistes disparaissaient du paysage politique français. Les républicains sociaux ne recueillent que 585764voix, soit 2,7% de suffrages exprimés. »

Par ailleurs, bien que le général de Gaulle ait mené une politique militaire répressive en Algérie depuis son retour au pouvoir, les colonialistes en demandaient davantage. Au début de l’année 1960, la question qui taraudait les politiques, à leur tête de Gaulle, était de savoir si l’armée dans tous ses segments allait basculer, comme en 1958, du côté des insurgés ? Les données ont bien sûr changé depuis. En effet, si les généraux étaient réservés voire opposés, les colonels étaient prolixes. Le ton employé, par certains d’entres-eux, frôlait la menace de pronunciamiento. Du coup, l’inquiétude commençait à peser sur la haute hiérarchie militaire. En effet, le général Gracieux, successeur du général Massu, a informé personnellement le délégué général, Paul Delouvrier, de son désarroi : « Que de Gaulle fasse vite savoir qu’il renonce à l’autodétermination. Autrement, les troupes sous mes ordres risquent de m’échapper. » Dans le même ordre d’idée, Pierre-Albert Lambert a expliqué cette collusion entre la population « pied-noir » et les paras de la 10eme DP en reprenant les propos du général Gracieux au général Challe, chef des armées en Algérie : « Les hommes de Broizat, de Dufour, de Bonnigal ne marcheront pas. Ils refuseront de se lancer à l’assaut du réduit d’Ortiz et de Lagaillarde. » Du coup, le scénario du 13 mai apparaissait, pour beaucoup, plausible. Et les pieds-noirs se rendaient par milliers aux barricades pour soutenir leurs héros.

Dans l’ouest algérien, à Oran, la mobilisation battait aussi son plein. La manifestation a été organisée par l’animateur du MP13, Villeneuve, conseiller général. Dans leur premier tract, les initiateurs du mouvement des barricades à Oran ont appelé la population « pied-noir » à se solidariser avec les Algérois qui venaient de dresser leurs premières barricades. Une grève générale illimitée a été décidée pour le 25 janvier 1960. Le rendez-vous a été également pris pour se retrouver, dés 7heures du matin, au Forum. Ce jour-là, les badauds pouvaient lire, à la place des Victoires, des inscriptions du genre : « De Gaulle ASSASSIN ». Et plusieurs animateurs du 13 mai ont adhéré rapidement au mouvement. Sous la direction du docteur Laborde, conseiller général lui aussi, un comité de vigilance a été créé. A la différence du 13 mai, cette fois-ci les éléments gaullistes ont été tout bonnement exclus. Selon le journaliste, Léo Palacio, cet organisme « va prendre la situation en main et créer sur le Forum, une « zone insurrectionnelle » où, pendant une semaine, prés de deux cent mille Oranais viendront régulièrement entendre, pendant douze heures d’affilée, des orateurs plus au moins habiles. » Toutefois, ces insurgés ont eu plus d’assurance après qu’ils ont reçu le soutien indéfectible à leur cause du colonel Bigeard, en poste à Mécheria, dans le Sud oranais.

Cependant, face à cette violence, il était difficile au pouvoir politique de poser sereinement le problème de l’autodétermination face à des activistes sans scrupules. Car l’histoire de la colonisation avait toujours une seule orientation, la domination par la violence. Et celui qui essayait d’améliorer, ne serait ce que d’un iota, la situation des Algériens était considéré comme un ennemi à neutraliser. Cette vision des colonialistes n’a pas évolué, hélas, durant toute la présence française en Algérie. Car, pour eux, Il ne fallait pas qu’il y ait une autre solution en Algérie que celle de la violence et de l’affrontement permanent. Ainsi, lorsque l’Elysée envisageait une solution politique au conflit, les paras et les insurgés se coalisaient pour se payer la tête du chef de l’Etat français. Par ailleurs, c’est dans ce climat insurrectionnel que de Gaulle s’apprêtait à prononcer son discours du 29 janvier 1960. Et malgré le compte rendu alarmant de Michel Debré, premier ministre, après son retour d’un voyage de 48 heures à Alger, le général de Gaulle a décidé de maintenir le cap de sa politique. Ce jour-là, à 20 heures, il a insisté sur la nécessité d’organiser ultérieurement un référendum d’autodétermination en Algérie. Il a ensuite rappelé aux militaires, sans doute aux colonels d’Algérie, que leur devoir était de servir leur pays sous s’immiscer des affaires politiques.

Pour conclure, il va de soi que l’épreuve de force, enclenchée à Alger et à Oran, n’a pas forcé de Gaulle à se résigner. En effet, la semaine des barricades s’est terminée le 1 février 1960 sans que les insurgés aient pu imposer leur choix. Ainsi, Joseph Ortiz a abandonné les barricades au lever du jour, conseillé par le député de l’extrême droite, Jean Maurice Demarquet, de quitter le réduit des facultés. Quant à Lagaillarde, il s’est certes rendu, mais il a été autorisé à marcher avec ses troupes jusqu’au centre ville. A Oran, la révolte s’est terminée par une marche réunissant les pieds-noirs et les militaires. Pour Léo Palacio : « cette manifestation devait se dérouler dans la plus grande dignité en présence de toutes les troupes de la garnison. Les unités territoriales étaient présentes, en tenue de treillis, autour de leur chef, le commandant Carlin. » Ainsi, dans la résolution de la crise, le discours du général de Gaulle a été décisif. Quarante-huit après son allocution, la crise a été dénouée. Toutefois, cette première grave crise, surmontée avec brio, a été le début d’une série de coups assénés au général de Gaulle. De la tentative de son assassinat en décembre 1960 à l’attaque des Colombey-les-deux-Eglises en passant par le putsch du 21 avril 1961, chacun des ces coups a été perpétré contre sa politique et sa personne.

Par Ait Benali Boubekeur