Ralliement des étudiants à la Révolution algérienne

Ralliement des étudiants à la Révolution algérienne

L’histoire d’une grève

Par : Ali mebtouche, Liberté, 19 mai 2009

Ce fut en pleine guerre de Libération, en juillet 1955, que des étudiants créèrent l’Ugema pour mobiliser ses membres autour de l’objectif fondamental de la Révolution, l’indépendance nationale. Ce qui attire immédiatement sur les adhérents les foudres de l’appareil répressif colonial.

Al’université d’Alger, les étudiants algériens, au nombre de 500 contre 4 500 européens, étudiants soumis en permanence aux provocations alors que dans les centres universitaires de France, l’attitude était généralement hostile. Il y a eu toute une série d’arrestations, d’enlèvements, de tortures et même d’assassinats de dirigeants et de membres de l’Ugema. Le cas le plus dramatique fut celui de Kacem Zeddour, mort après avoir été sauvagement torturé. La police française a ensuite jeté à la mer son cadavre ficelé dans un sac lesté de 70 kg de plomb. Mais, trois semaines plus tard, le corps s’échoua sur le rivage et l’affaire a fait la une de la presse française. La septième Conférence internationale des étudiants a, alors, déploré “les atteintes à la liberté de l’enseignement” et “dénonce l’usage de la torture à l’encontre des étudiants algériens”. Elle a exprimé l’espoir de voir l’aboutissement d’un règlement “équitable et rapide” du problème algérien, grâce à la reconnaissance de l’indépendance nationale, “condition première pour un enseignement libre et démocratique en Algérie”. L’année universitaire 1957/58 a débuté sur une note de détente, l’Ugema ayant annoncé qu’elle allait cesser de boycotter les cours et les examens. La grève, qui durait depuis mai 56, avait été décidée à l’origine par la section d’Alger de l’Ugema qui demanda à ses adhérents de rejoindre leurs frères dans les rangs de l’ALN. Le comité exécutif de l’union devait étendre ensuite l’ordre de grève à toutes les universités de France, en signe de solidarité avec la lutte du peuple algérien et de loyauté et d’attachement des jeunes intellectuels algériens envers leur peuple, démonstration destinée à réfuter les allégations françaises selon lesquelles la Révolution algérienne était l’œuvre d’agitateurs non soutenus par la majorité.
L’ordre de grève a été suivi par la grande majorité des étudiants algériens qui cessèrent d’assister aux cours et boycottèrent les examens de juin 1956.
Le 13 décembre 1956, le comité exécutif avait étudié la possibilité de mettre fin au mouvement, mais il a estimé que le moment n’était pas propice, considérant, d’après Mouloud Belahouane qui était alors président du comité, que “rien de nouveau, bien au contraire, ne s’était produit en Algérie”.
Cette grève a imposé de lourds sacrifices aux étudiants algériens et sa prolongation, en 1957/58, aurait pu avoir pour conséquences de leur ôter définitivement le statut d’étudiant dans les universités françaises. De plus, la chute catastrophique du nombre d’élèves sortant de l’enseignement secondaire avec leur bac, chute due aux malheurs de la guerre, signifiait que le pays était menacé de paralysie par manque de cadres qualifiés à même d’assumer des responsabilités une fois l’indépendance acquise. Ce nombre était, d’après l’union, descendu à moins de 250 par an, soit moins du tiers du chiffre antérieur à 1954.
C’est pourquoi l’Ugema annoncera, le 14 octobre 1957, lors d’une conférence de presse à Paris, que l’ordre de grève était levé, sauf à l’université d’Alger dont l’esprit colonialiste n’est plus à démontrer. L’union affirmera à cette occasion que la grève avait atteint son objectif premier qui est celui d’attirer l’attention de l’opinion internationale sur la “volonté de l’Ugema de s’engager pleinement dans le combat libérateur”.
La conférence se terminait par cette déclaration : “Confiant dans l’issue finale du combat libérateur et conscient des lourdes charges qu’il aura à assumer pour édifier un État nouveau et en assurer un fonctionnement harmonieux, l’étudiant doit se préparer à faire face à ses nouvelles responsabilités. Investi de cette nouvelle mission par son peuple, il apporte la preuve de sa foi en l’avenir en préparant, en pleine guerre, les lendemains de la victoire, en donnant à l’Algérie indépendante les cadres solides, éprouvés et dignes de l’esprit révolutionnaire de son peuple.”
Il serait certainement erroné de voir dans la fin de la grève un changement quelconque d’orientation de l’union et des étudiants algériens, mais plutôt, comme l’indique la déclaration, la fin d’une phase.

A. M.


Liste des étudiants victimes de la répression depuis septembre 1957

Par :Rédaction de Liberte

À la Conférence internationale extraordinaire du Cosec à Londres, l’Ugema a présenté une liste de ses membres victimes de la répression depuis 1955.
Voici les cas qui se sont produits depuis septembre 1957, tels que rapportés par la commission :

Septembre 1957
Siamour Mouhoub, président de la section de Besançon de l’Ugema, tué dans un prétendu “accident de voiture” près de Charleville (France). Malgré la demande l’Ugema, les autorités françaises refusèrent l’autopsie et la restitution du corps.
Hakimi, étudiant en médecine à Grenoble, marié, père d’un enfant, a été arrêté le 17 septembre.
Keramane Sadek a été enlevé et dirigé vers une destination inconnue. Ensuite, on l’a transféré à la prison civile de Barberousse.

Octobre 1957
Senaadji Mouloud, 20 ans, étudiant à l’École de commerce de Clermond-Ferrand, a été assassiné. Ses meurtriers n’ont jamais été retrouvés.
Bouabdellah Mokhtar, 27 ans, étudiant à la faculté de droit de Grenoble, a été arrêté, maintenu en prison pendant plus de deux mois et relâché après non-lieu.

Novembre 1957
Mohammed Khemisti, secrétaire général de l’Ugema, étudiant en médecine à l’université de Montpellier, a été arrêté à son domicile le 12 novembre et transféré à Alger.
Baali Allam, étudiant en droit, président de la section de Lyon, et Belhadj Marzoug Mustapha, étudiant en sciences, furent arrêtés à leur domicile à Lyon et transférés immédiatement à Alger.
Cherid Mohammed, étudiant en médecine, président de la section de Reims, a été arrêté à Douai sous l’inculpation d’atteinte à la sûreté extérieur de l’État.

Décembre 1957
Le 19 : perquisition du bureau national de l’Ugema par la DST et détention pendant 24 heures du secrétaire général adjoint, Taleb Chaib ; saisie de nombreux dossiers.
Sidhoum Kamel, étudiant en médecine, ne pouvant s’inscrire à la faculté de médecine de Paris, ni à celle de Nancy, décida de se rendre à Bruxelles pour poursuivre ses études. Arrêté à la frontière, il fut interrogé, maltraité et, finalement, incarcéré pendant trois semaines à la prison de la Santé de Paris.
Belarbi Mohammed, étudiant en sciences politiques, ancien secrétaire général de l’Ugema, ancien secrétaire général de l’AEMNA et du Comité de liaison, a été arrêté et incarcéré à la prison civile de Barberousse.

Janvier 1958
Aït Chaalal Messaoud, président, Taleb Chaib, Aoufi Mahfoud, président de la section parisienne de l’Ugema et une cinquantaine d’autres dirigeants et membres ont été arrêtés le 28 janvier à l’occasion de la dissolution de l’Ugema.
Aït Chaalal, Taleb et Aoufi ont été inculpés de “menace à la sûreté extérieur de l’État” mais ils ont été libérés sur parole et les 50 autres relâchés après interrogatoire.
Azzi Areski, étudiant en médecine à Grenoble, a été condamné à 18 mois de prison pour “menace à la sûreté extérieur de l’État”.

Mai 1958
Armi, étudiant en médecine à Grenoble, a été arrêté le 7 mai et immédiatement transféré à Alger, dans des circonstances qui rappellent l’affaire Khemisti. Il était parmi les 50 arrêtés en janvier et il avait été relâché sur parole après inculpation de “menace à la sûreté extérieur de l’État”.

Décembre 1958
Nouvelle vague d’arrestations dans toute la France, plus de 30 étudiants algériens emprisonnés pour avoir “reconstitué une ligue dissoute”, c’est-à-dire pour avoir soi-disant réformé une section clandestine de l’Ugema en France. Parmi ceux qui ont été arrêtés, ont été identifiés :
À Paris : Mlles Bensmaia Zakia, Bendissari Fatma-Zohra, Kherbi Djamila, Francis Mustapha, Kara Ali et Mustapha, Kebaili Moussa, Boumaza Chérif, Boussalah Ahmed, Illes Salah, Batata Abderrahmane, Belhadj Abdelkader, Choughi Abdlhafid, Fzeri Ahcène, Kandil, Zerrouki, Cheriet Mohmoud, Harbi Ali.
À Lyon : Aguercif Meziane, Abbas Mahmoud et Abdelkader, Mansouri Rachid.
À Montpellier : Belhocine Saad, Yaker, Zebra Mohamed.
À Nancy : Boutemène Larbi, Sidhoum Kamal.
à Caen : Ghezali Ameziane.
À Marseille : Benhamla Hocine, Sadek Nadir et Mustapha, Mentalechta.
à Aix-en-Provence : Benikous.
à Tours : Belkhelil Ahmed.

Sources : Etat Major ALN


Message du colonel Amirouche aux étudiants

Par :Rédaction de Liberte

Du maquis, le colonel Amirouche adressa, le 8 mars 1958, un message “aux frères de l’Ugema”, dans lequel il invite les étudiants algériens à se préparer à assurer la gestion des affaires de l’Algérie. Cet hommage appuyé aux étudiants est comme une reconnaissance de la trop grande importance qu’il a accordée au complot dit des “bleus”, erreur qui le poussa à se méfier des jeunes citadins diplômés et à en exécuter une partie.
“Servir la patrie, écrit le colonel Amirouche, est la seule devise de tous les Algériens. Vous qui êtes dans les villes, dans les universités, dans les lycées, chaque chose autour de vous sent la révolution qui vous incite à penser à tous les instants à votre devoir. Votre travail, c’est l’attention soutenue qui ne doit jamais vous éloigner de la cause algérienne. Partout, votre conduite, vos gestes doivent vous désigner comme des combattants. Au même moment, des frères, des étudiants comme vous luttent dans le maquis. Vous aussi, vous luttez pour votre pays. Lutter, c’est servir son pays de n’importe quelle façon. Mais l’intention demeure seule valable, surtout pour des étudiants qui ne peuvent ne pas être conscients de leur existence d’Algériens. L’Algérie a besoin de tous ses fils pour achever la révolution politique qui libérera le peuple du colonialisme. Pour continuer la révolution, elle aura besoin d’éléments conscients de l’intérêt supérieur de l’Algérie, elle aura besoin de patriotes.
En mémoire de tous ceux qui sont tombés dans le maquis pour notre peuple encore courbé sous le poids de l’injustice et de lâches répressions, vous, étudiants algériens, vous devez plus que jamais prouver au monde que vos actions, qui ne se séparent pas de la révolution, ne sont pas négligeables.
Pour une Algérie libre et démocratique, tous les Algériens uniront leurs sentiments et leurs énergies dans un même élan de sacrifice.”

 


19 mai 1956

L’appel d’Alger

Par : Laadi Flici (*)

Que peut-on dire aujourd’hui du 19 mai 1956 ? Pour bien comprendre toute la signification de cette importante date dans l’épopée de notre ultime combat libérateur, il faut la restituer avec précision dans la conjoncture révolutionnaire de l’époque. Cette date, qui est devenue tout naturellement la Journée nationale de l’étudiant, doit être appréhendée dans son riche contexte socio-historique et politique.

Je rappelle brièvement quelques faits : le 1er congrès de l’Ugema a eu lieu les 13 et 14 juillet 1955.
Le 2e congrès a eu lieu à Paris du 20 au 30 mars 1956.
Entre ces deux congrès, ont eu lieu bien sûr des évènements importants. J’en citerai deux : le 20 janvier 1956, a eu lieu une grève de 24 heures de la faim et des cours “pour affirmer la participation des étudiants algériens à la lutte de leur peuple”.
Le 21 février à Paris à la Mutualité, lors d’un meeting de la journée anticolonialiste, Ahmed Taleb Ibrahimi a dit cette phrase historique : “Nous sommes tous des rebelles.”
Les résolutions de ce 2e congrès qui a eu lieu à Paris du 20 au 30 mars 1956 furent importantes. Trois points importants : d’abord, le colonialisme est accusé et condamné comme source de misère et d’analphabétisme, ensuite, la lutte du peuple algérien est présentée comme juste et, enfin, il est demandé la proclamation de l’indépendance, la libération de tous les patriotes emprisonnés et des négociations avec le FLN.
Qu’elle était, d’une manière générale, la situation politique à la veille du 19 mai 1956 ?
Quelques faits peuvent la résumer : après le renversement du cabinet du président Edgar Faure et la dissolution de l’Assemblée nationale française, des élections ont eu lieu et le 2 janvier 1956, c’est la victoire du Front républicain et le 1er février 1956 l’investiture du gouvernement du président socialiste Guy Mollet.
Ensuite, les évènements se sont précipités et le 1er février départ de Jacques Soustelle d’Alger dans une ambiance d’hystérie générale.
Le 6 février, Guy Mollet est conspué à Alger et reçu à coups de tomates.
Le 9 février, Robert Lacoste est nommé ministre-résident.
Le 12 mars, se produit quelque chose de très grave, le vote par l’Assemblée nationale française des pouvoirs spéciaux.
Le 22 avril, Ferhat Abbas rallie officiellement le FLN et rappelons que les élus de l’UDMA le 23 décembre 1955 ont démissionné de leurs mandats et demandé la création de la République algérienne.
Le 24 mai, ont eu lieu l’arrestation et l’expulsion du professeur Mandouze.
Le 31 mai, l’Assemblée nationale française débat sur l’Algérie.
Entre ces deux congrès, il y a eu la création de l’UGTA, un vendredi 24 février au 6, place Lavigerie, à côté de la Cathédrale d’Alger, devenue après 1962 mosquée Ketchaoua.
Un syndicat authentiquement FLN et ALN pour mettre un terme aux agissements néfastes de l’USTA ou Union syndicale des travailleurs algériens d’obédience messaliste, de la CGT (Confédération générale des travailleurs d’obédience PCF), (Force ouvrière qui existe toujours en France), de l’USTA-CGT d’obédience PCA.
Les organisations syndicales estudiantines importantes étaient à l’époque au nombre de quatre : tout d’abord la section d’Alger de l’Ugema, puis le CAV ou Comité d’action universitaire, ensuite l’AGEA ou Association générale des étudiants d’Algérie et, enfin, l’Union libérale des étudiants d’Alger de tendance bien sûr libérale et surtout chrétienne.
Pour avoir une idée sur la répartition des étudiants, il y avait à l’époque 4 467 étudiants français pour 503 étudiants musulmans. Cette information a été donnée à l’époque par Robert Lacoste lui-même, alors ministre-résident.
Chacun de ces faits rappelés brièvement aura une importance capitale sur le déroulement de la guerre d’Algérie. Toujours en rapport avec le syndicalisme étudiant, d’autres évènements importants et déterminants vont avoir lieu.
Début mai, une grève des étudiants du CAV (soutenu par l’AGEA) pour protester contre le décret Lacoste qui prévoit l’accession des musulmans à la fonction publique.
Lors de la commémoration du 8 Mai 1945 ont eu lieu de violentes manifestations contre Robert Lacoste qui seront suivies de mesures d’expulsion d’Algérie à l’encontre d’un étudiant et d’un professeur activistes.
Puis vint “l’appel d’Alger” qui a été lancé le samedi 19 mai 1956 par la section d’Alger de l’Ugema.
Cet appel dit en substance : “Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! À quoi serviraient-ils ces diplômes qu’on continue à nous offrir pendant que notre peuple lutte héroïquement (…) ? Nous, les “cadres de demain”, on nous offre d’encadrer quoi ? D’encadrer qui (…) ?”
“Les ruines et les morceaux de cadavres, sans doute ceux de Constantine, de Tébessa de Philippe-ville, de Tlemcen et autres lieux appartenant déjà à l’époque de notre pays (…) la fausse quiétude dans laquelle nous sommes installés ne satisfait plus nos consciences (…) Notre devoir nous appelle à d’autres tâches plus urgentes, plus impératives, plus catégoriques, plus glorieuses. Notre devoir nous appelle à la souffrance quotidienne, aux côtés de ceux qui luttent et meurent libres face à l’ennemi. Nous observons, tous, la grève immédiate des cours et des examens et pour une durée illimitée. Il faut déserter les bancs de l’université pour le maquis.”
Les réactions à “l’appel d’Alger” furent pratiquement immédiates. Le vendredi 25 mai, le comité directeur de l’Ugema à Paris reprend “l’appel d’Alger” et étend le mot de grève générale des cours et des examens à tous les étudiants algériens de France, de Tunis et du Maroc.
Ce comité directeur précise encore que “Benyahia, président de la section d’Alger, n’a jamais pris la fuite et qu’il se trouve depuis 3 semaines à la conférence des étudiants afro-asiatiques de Bandoeng”.
La réaction de l’Unef est aussi immédiate et violente. Elle désavoue “l’appel d’Alger” et “ne saurait admettre le mot d’ordre politique lancé par la section d’Alger de l‘Ugema”.
Le mouvement d’adhésion des étudiants et, surtout, des lycéens fut immédiat, spontané et massif.
Après son 2e congrès et le 19 mai, l’Ugema n’a jamais cessé de jouer un rôle important au sein de la guerre de Libération nationale en mobilisant tous les étudiants et lycéens, en leur inculquant, dès leur jeune âge, les grands idéaux de la révolution et surtout l’idéal le plus important je crois : celui de placer la révolution au-dessus des intérêts personnels, au-dessus des études et des diplômes. Et le gouvernement colonial français en prononçant à Paris la dissolution de l’Ugema le 27 janvier 1958 savait certainement ce qu’il faisait.
Un autre point important, à mon avis, c’est que le FLN a été durant la guerre de Libération un front vraiment ouvert à toutes les forces révolutionnaires. Le FLN était ouvert en tant que creuset fécond aux étudiants et aux lycéens d’une façon extraordinaire. Et la jeunesse algérienne a su répondre massivement à l’appel de la patrie. Cela a permis notamment la formation des cadres qui sont aujourd’hui au service de la nation. Le FLN a su, à l’époque, préparer l’avenir sans sacrifier le présent et les impératifs de la lutte armée.

L. F.
(*) Publié dans El Moudjahid en mai 1988


 

UNION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS MUSULMANS D’ALGÉRIE

Le texte intégral de l’appel de l’Ugema

Par : UGEMA

“Étudiants algériens ! Après l’assassinat de notre frère Zeddour Belkacem par la police française, après le meurtre de notre frère aîné le docteur Benzerdjeb, après la tragique fin de notre jeune frère Brahimi du collège de Bougie, brûlé vif dans sa mechta incendiée par l’armée française pendant les vacances de Pâques, après l’exécution sommaire dans un groupe d’otages de notre éminent écrivain Réda Houhou, secrétaire de l’institut Benbadis de Constantine, après les odieuses tortures qu’on a fait subir aux docteurs Haddam de Constantine, Baba Ahmed et Tobbal de Tlemcen, après l’arrestation de nos camarades,
Amara, Lounis, Saber et Taouti aujourd’hui arrachés aux geôles de l’administration française, celle de nos camarades Ferrouki et Mahidi, après la déportation de notre camarade Mihi, après les campagnes d’intimidation contre l’Ugema, voici que la police nous arrache des mains, un matin à la première heure, notre frère Ferhat Hadjadj, étudiant en propédeutique et maître d’internat au lycée de Ben Aknoun, le torture, le séquestre pendant plus de dix jours (avec la complicité de la justice et de la Haute administration algérienne prévenues de son affaire), jusqu’au jour où nous apprenons, atterrés sous le coup de l’émotion, la nouvelle de son égorgement par la police de Djijelli, aidée de la milice locale.
L’avertissement donné par notre magnifique grève du 20 janvier 1956 n’aura-t-il servi à rien ? Effectivement, avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres ! À quoi donc serviraient ces diplômes qu’on continue à nous offrir pendant que notre peuple lutte héroïquement, pendant que nos mères, nos épouses, nos sœurs sont violées, pendant que nos enfants, nos vieillards tombent sous la mitraillette, les bombes, le napalm. Et nous « les cadavres de demain », on nous offre d’encadrer quoi ?
D’encadrer ? … les ruines et les morceaux de cadavres sans doute, ceux de Constantine, de Tébessa, de Philippeville, de Tlemcen et autres lieux appartenant déjà à l’épopée de notre pays. Notre passivité face à la guerre qu’on mène sous nos yeux nous rend complices des accusations ignobles dont notre vaillante Armée nationale est l’objet. La fausse quiétude dans laquelle nous sommes installés ne satisfait plus nos consciences.
Notre devoir nous appelle à d’autres tâches plus urgentes, plus coopératives, plus catégoriques, plus glorieuses.
Notre devoir nous appelle à la souffrance quotidienne aux côtés de ceux qui luttent et meurent libres face à l’ennemi.
Nous observons tous la grève immédiate des cours et examens et pour une durée illimitée. Il faut déserter les bancs de l’université pour le maquis. Il faut rejoindre en masse l’Armée de libération nationale et son organisme politique le FLN. Étudiants et intellectuels algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin héroïque de notre pays, serions-nous des renégats ?”