Nouvel ouvrage du criminel de guerre Paul Aussaresses

Nouvel ouvrage du criminel de guerre Paul Aussaresses

Déballage d’un général tortionnaire

La Nouvelle République, 28 avril 2008

L’année 1957, celle de la bataille d’Alger, fut terrible. A Alger, le terrorisme battait son plein. La police avait disparu des rues et la Casbah était devenue le fief inexpugnable du FLN. Le gouvernement avait donné les pleins pouvoirs de police au général Massu, qui s’était constitué une sorte d’état-major «de la main gauche» , comme on disait entre nous, dont la mission était de démanteler les réseaux terroristes. Avec l’aide du colonel Trinquier, il avait fait un travail d’identification de la population d’Alger, comparable à celui qu’avait fait Napoléon en Rhénanie.
Toute la région d’Alger avait été quadrillée : chaque quartier avait son numéro, chaque arrondissement était divisé en îlots, chaque îlot était repéré par une lettre peinte en bleu d’un mètre de haut, avec un chef d’îlot qui devait répondre des habitants. Enfin, on avait doté d’un second chiffre d’immatriculation chaque groupe de maisons ou d’immeubles. Le colonel Trinquier avait baptisé ce système dont il était très fier «détachement de protection urbaine «DPU Nous, nous l’appelions finement, bien sûr, le Guépéou. Il fallait un autre officier pour seconder Trinquier, et Massu avait passé un savon au lieutenant-colonel Mayer pour qu’il me désigne. Je l’ai supplié : «Ne faites pas ça, mon colonel, ne faites pas ça ! – Et pourquoi donc ?» me demanda Mayer. «Je sais ce que m’a coûté Philippeville. J’en ai assez et j’en ai assez fait».
– C’est à Philippeville qu’ont commencé les tortures à l’électricité ?
Le général soupire, se tait, soupire à nouveau.
– Voilà la question piège. Oui, ce sont les policiers qui nous ont appris certains procédés de renseignement.
– Revenons à Massu et Mayer. Vous pouviez refuser, non ?
– J’ai essayé de me défiler sans désobéir. J’ai rappelé à Mayer que nous avions dans nos rangs un charmant camarade, Lafargue, dit «Pétanque». C’était un officier bavard, braillard, soiffard, qui ressemblait tout à fait à Massu. Il pouvait faire l’affaire. Le hic, c’est que tout le monde savait qu’il était un sacré fainéant.
«Envoyez-lui Pétanque, mon colonel, deux grandes gueules comme ça, ils s’entendront très bien.» Le colonel Mayer appelle Pétanque, l’exhorte à la tâche, lui demande de se montrer à la hauteur et l’expédie à Massu. Cinq minutes après, coup de fil de Massu, apoplectique : «Mayer, ça suffit comme ça ! Ne continuez pas à vous foutre de ma gueule ! J’ai dit : envoyez-moi Aussaresses et au galop !»
Dans l’organigramme de l’état-major installé à la préfecture d’Alger, je deviens donc l’agent de liaison du général Massu, chargé de tout ce qui concerne la police et la justice. Trinquier, lui, supervise le contrôle de la population civile. En privé, Massu m’ordonne de faire ce que j’ai fait à Philippeville. Je lui demande alors deux choses. La première, c’est que je ne serai en aucun cas le subordonné de Trinquier. La seconde, c’est que, puisque j’allais être chargé du sale boulot qui emm… tout le monde, qu’on me laisse faire la même chose qu’à Philippeville et qu’on ne vienne pas me chercher des poux sur la façon dont j’obtenais des renseignements.
Massu a accepté d’un grognement. C’était sa façon habituelle de parler.
Je n’avais plus qu’à me constituer une équipe.
Massu m’avait donné comme adjoint le lieutenant Carcet, son ancien aide de camp. Gérard Garcet avait été un des plus jeunes résistants du maquis du Vercors. Il avait seize ans quand il s’était engagé dans la lutte contre les nazis. Il était ensuite entré chez les parachutistes, avait accompli quelques exploits en Corée avant de se retrouver en Algérie.
Le lieutenant Garcet vivait avec les Massu dans une maison à Hydra, mais, à cause d’une sombre histoire de vieux appâts de pêche oubliés dans le réfrigérateur, Madame Massu avait demandé «sa queue et ses oreilles» à son mari. C’est-à-dire qu’elle exigeait qu’il le vire. Donc, Massu me l’envoie à la préfecture où j’avais mon bureau. C’était un gars sympathique et débrouillard. Je lui explique le topo. Il fallait nous composer une équipe de sous-officiers et ce n’était pas facile. On a eu une idée : à cause d’un processus d’osmose mis en œuvre dans l’année, il y avait un certain nombre de sous-offs qui risquait de ne plus avoir d’affectation. On s’est donc procuré la liste et on a rassemblé les types.
– Massu, dans ses Mémoires, parle d’officiers «triés sur le volet». En fait, c’était des paras en fin de contrat ?
– En gros, oui. Je les ai donc rassemblés et je leur ai dit : «Le fait de travailler avec moi, ça ne vous rapportera rien. J’ai besoin de types pour faire les basses besognes. C’est ce que j’ai déjà fait à Philippeville, tout le monde le sait, voilà. Que ceux qui refusent fassent un pas en avant.». Ils sont tous restés au garde-à-vous. Aucun n’a refusé. Garcet est alors parti comme une flèche et il est revenu en portant triomphalement une caisse entière de whisky. Il l’avait piquée à Massu. Ça nous a souvent aidés…
– Votre QG, c’était donc la préfecture ?
– Garcet nous avait trouvé une villa rue des Tourelles, un nom prédestiné. C’était une grande villa, suffisamment isolée, avec un jardin… un jardin… (Le général reste songeur. Il se reprend.) Mes sbires vivaient à la villa des Tourelles. Moi, j’avais un bureau à la préfecture et une vieille jeep. La nuit, j’enfilais ma tenue léopard. Je ne la mettais jamais de jour. Le jour, j’étais en «tenue 46» et je ne portais pas d’arme ; je ne voulais pas avoir l’air d’un tonton macoute. Donc, chaque nuit, je faisais la tournée de tous les régiments. Je rencontrais tous les officiers de renseignements, ceux de service ainsi que leur colonel. On croisait nos infos. La cavalcade commençait.
– Qui vivait à la villa des Tourelles ?
– Garcet, les sous-offs, et Babaye, mon garde du corps. Babaye, c’était un Noir très noir, un colosse, enrôlé de force dans le FLN. il faut savoir que les Arabes, en tout cas ceux du FLN de l’époque, étaient plutôt racistes. Babaye s’était défendu comme un lion, contre mes hommes lors d’une attaque. Un de mes sergents lui avait alors lancé «Ho, couillon, qu’est-ce que tu fous avec le FLN ?» Babaye avait répondu qu’il n’avait rien choisi. «Et alors, tu préfères pas venir avec les Français ?» C’est ainsi que Babaye est venu avec nous et qu’il est resté.
– Vous avez dit que votre action, c’était de «décharger l’armée des basses besognes» ?
– Voilà. Par exemple, Bigeard me dit un jour : «Nous avons des types de la cellule terroriste de Notre-Dame d’Afrique. Vous ne pouvez pas m’en débarrasser ?» Je ne pouvais pas lui répondre «démerdez-vous-en» ! Il y avait des soldats chez Bigeard, des jeunes, des braves types. Fallait pas, non, fallait pas qu’ils fassent ce boulot. Tandis que nous, on était déjà de vieux officiers, Garcet et moi’ On en avait déjà tellement vu, ah…
– Mais beaucoup de jeunes soldats, des appelés, ont dû participer à des interrogatoires. Qu’est-ce que vous voulez dire en parlant de «basses besognes» ?
– Les exécutions sommaires.
– Qui en décidait ?
– Moi. Je le disais à Massu. En plus de la réunion quotidienne du matin, j’écrivais en quatre exemplaires tous les jours ce que nous faisions, de façon détaillée. Il y avait un exemplaire pour Massu, un pour le ministre-résidant Lacoste et un pour le général Salan. Massu savait tout. Le gouvernement aussi. J’assistais aux exécutions que j’avais ordonnées. J’aimais pas, j’aimais pas.
– Attendez, cela se passait comment ?
– Je disais à Massu : on a ramassé un tel et un tel et on l’a exécuté. Et il y en a un autre qui est dans le coup, mais on ne l’exécutera pas aujourd’hui. On le fera demain. Il s’évadera… «Broum, brourn», grognait Massu.
On ne faisait pas toujours des listes pour Paul Teitgen, le secrétaire général de la préfecture. Certains, on les attendait dehors et on les exécutait. Après, on les assignait à résidence. Teitgen était fou furieux : «Ils m’ont fait assigner un type à résidence et ils l’ont tué. Ah, les salauds» ! Du coup, il a démissionné.
– Ces exécutions, c’était à la villa des Tourelles ?
– Non, y en a eu quelques-unes, c’est vrai, à la villa des Tourelles. Des types arrivés de jour… On les a enterrés sur place. Ils doivent être encore dans le jardin.
– Et à part la villa des Tourelles ?
– C’était dehors. En dehors d’Alger. La police était bien contente de n’être pas dans le coup.
– Mais à quoi ça servait, ces exécutions ?
– Mais je vous l’ai dit. On sous-traitait ce que les régiments ne voulaient pas faire. Autre exemple : réunion de cadres dans le bureau de Massu. Un colonel dit : «On a une bande de terroristes, on voudrait en débarrasser le régiment». Cela tombe bien, ce jour-là était présent Max Lejeune, le secrétaire d’État à la Guerre. On lui fait le topo. «Il faudrait réussir à leur faire prendre le maquis», propose l’un. «Un maquis bien éloigné», ajoute Massu. «Écoutez, dit Lejeune. Vous avez entendu parler de l’interception de Ben Bella ? Nous avions décidé en haut lieu d’abattre l’avion. Si nous ne l’avons pas fait, c’est que l’avions avait un équipage français. Le gouvernement regrette beaucoup d’avoir laissé Ben Bella en vie. C’est une erreur.» Massu avait compris. Moi aussi. Il m’a regardé et poussé un grognement. Je lui ai dit : «Bon. Je ferai ce que je peux.»
– Mais cela faisait combien d’exécution ?
– Pour une bombe de posée, ça montait vite.
(Il semble à nouveau happé par le passé et, d’une voix très basse, presque imperceptible, il rejoue un interrogatoire. Il y joue aussi peut-être son propre rôle, dans une sorte d’implacable et calme voix off)

Question : Qui c’est qui a fait le coup ?
Réponse : C’est lui.
Q : Où il est ?
R : Chez lui à telle adresse.
Voix off : Bon, ben, on va le chercher tout de suite (…)
R : Oui, j’ai posé la bombe.
(Aussaresses fait tomber sa main sur la table comme un couperet)
Voix off : Bon. OK. Liquidé.
Q : Mais qui a fabriqué la bombe ?
R : Ha, c’est lui !
Q : Où il est ?
R : Il est là…
Q : Tu as fabriqué la bombe seul ?
R : Eh oui.
Q : Ah, tu as fabriqué la bombe ; qui c’est qui t’a aidé ?
R : Personne.
Q : Mais si, on t’a aidé
R : Personne.
Q : Et qui t’en a donné l’ordre ?
R : C’est lui.
Voix off : Bon. Ça fait trois : celui qui a fabriqué la
bombe, celui qui l’a posée, celui qui a donné l’ordre.
Q : Mais qui c’est qui t’a dit de poser la bombe à tel
endroit ?
R : C’est le chef de…
Off : Ça fait 4.
Q : Et qui c’est qui travaillait avec ce chef ?
R : C’est l’adjoint de… et le second adjoint de…
Off : Alors, cela fait 6.
Q : Mais attends, qui est-ce qui a planqué la bombe
pendant que…
R : C’est un tel. Il habite à telle adresse.
Off : Ça fait sept.
Q : Et celui qui a fait le guet ?
R : C’est un type qui s’appelle X.
Off : Huit.
(Aussaresses semble revenir à nous).
Etc., etc. On arrive vite à onze. Qu’est-ce qu’on fait
de ces types quand on voit qu’il n’y a plus rien à en tirer ? On les exécute.
(A suivre)

1. Les services secrets français sont à côté de la rue des Tourelles et de sa piscine, boulevard Mortier à Paris.
2. La «tenue 46» est un uniforme fait sur mesure, composé d’un blouson, d’un pantalon et considéré comme plus élégant.
1. Gérard Garcet avait environ trente ans et Paul Aussaresses trente-huit ans…

 


A fort Bragg j’apprenais aux militaires américains ce que j’avais vu et fait en Algérie

La Nouvelle République, 28 avril 2008

A fort Bragg j’apprenais aux militaires américains ce que j’avais vu et fait en Algérie (…) Je leur apprenais ce que j’avais fait. Toutes les techniques de la guerre subversive, la lutte contre la guérilla urbaine, le quadrillage des questions, l’infiltration comme je l’avais fait à Philippeville et pendant la bataille d’Alger, et puis, surtout nos méthodes pour récolter du renseignement, les méthodes pour faire parler les gens (…) La torture-exactement, oui… Ainsi répond le général Paul Aussaresses à ses intervieweurs qui, il faut le préciser, ne lui laissent aucun répit dans Je n’ai pas tout dit, un livre d’actualité dans lequel ce professionnel de la torture demeure plaide, fait sans remords ou regrets, et attaché au serment des tortionnaires. En effet, cet agent des services secrets français qui a baigné dans toutes les sauces, acculé, se suffit à acquiescer aux hypothèses émises par Jean Charles Deviau lequel fait preuve d’une maîtrise parfaite de son thème. Sans complaisance, opérant avec une grande distanciation, l’intervieweur accule son interlocuteur qui se laisse prendre à son propre piège, celui du mutisme, car tenu par le serment des tortionnaires. «Qu’est-ce qui t’a pris d’ouvrir ta gueule ?», lui a signifié l’autre général -ordonnatuer des tortures- Marcel Bigeard affirme Aussaresses dans Je n’ai pas tout dit, croire qu’il a tout dit cette fois serait pur naïveté. Ventes d’armes, affaires dites secrètes, guerre froide, s’agit-il de souvenirs, de révélations, de confessions ? C’est quand même un déballage des affaires louches de la France dite des droits de l’Homme quand, au sommet de l’Etat, on soutient les dictatures militaires, on envoie des spécialistes enseigner la torture, on peut se demander ce qu’il reste des idéaux démocratiques…

La Nouvelle République a choisi de publier quelques chapitres de ce livre-déballage en commençant par l’affaire Audin. Le lecteur saura