Le procès de l’article 56 et du divorce financier

Le procès de l’article 56 et du divorce financier

El Watan, 10 mars 2015

Au lendemain de l’annonce faite par le président Bouteflika de réformer le code de la famille, les réactions sont partagées au sein de la société, essentiellement parmi les juristes et les militants des droits de l’homme, d’autant que son discours est jugé «ambigu». « Le discours du Président n’est pas clair.

De plus, sa décision de revoir le code de la famille est faite dans une conjoncture ambiguë, à un moment où l’on assiste à une vive dénégation des islamistes au projet de loi criminalisant les violences contre les femmes. A mon avis, Bouteflika va dans le sens des islamistes en prenant notamment des dispositions concernant justement le khol’. Veut-il satisfaire les femmes ou les islamistes ? Je n’en sais trop rien, je n’ai pas bien saisi. Une chose est sûre, c’est que chacun y trouve son compte dans ce discours», soutient maître Ghechir, militant des droits de l’homme et ex-président de la LADH.

Intervenant trois jours après le vote par les députés du projet de loi criminalisant les violences contre les femmes, la décision du président de la République de revoir le texte relatif au divorce à l’initiative de l’épouse (khol’), qui «constitue aujourd’hui un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur dans notre société», estime-t-il, nécessitant «d’introduire des réaménagements et des clarifications pour combler les insuffisances et garantir la protection des droits des deux conjoints et des enfants», reste vague.

C’est ce que relève Me Ghechir qui s’interroge justement sur la nature des nouvelles dispositions qui seront prises. «En ma qualité de militant des droits de l’homme, je souhaite que les femmes puissent demander le divorce au même titre que les hommes, sans conditions ni contrepartie.» Et de préciser que «les amendements attendus pourraient s’articuler autour du droit de la femme de disposer pleinement de son droit à demander le divorce et de lui garantir une application stricte des instruments juridiques inhérents à la séparation notamment la pension alimentaire et le logement».

«Un divorce à moindre coût»

Pour l’avocate Fatma-Zohra Benbrahem, la révision du code de la famille vient plutôt protéger la femme et réduire le nombre des divorces, d’autant que, dit-elle, «le nombre de séparations a augmenté et ce n’est pas à cause du khol’. Dans la moitié des cas, ce sont les maris qui poussent leurs épouses à demander le divorce pour ne pas payer les droits.

C’est un divorce à moindre coût, en somme». Elle estime, en ce sens, que le projet de loi criminalisant les violences à l’égard des femmes «n’a pas été réfléchi et, partant, va conduire plus de femmes à la rue dans la mesure où une femme divorcée ayant la garde de ses enfants doit les abandonner au cas où elle se remarie alors que ce n’est pas le cas pour son ex-mari».

Et d’ajouter qu’il s’agit là d’une forme de violence caractérisée contre la femme. Me Benbrahem a également mis en exergue le fait que «les islamistes ont tout à fait raison de s’inscrire en faux», estimant que «le président de la République est conscient qu’on a retiré à la femme une partie de ses droits».

Pour l’avocate, le fait de revenir sur le code de la famille est aussi une manière pour le chef de l’Etat de faire cesser les violences à l’égard des femmes. Notre interlocutrice précise que cette révision est en fait la continuité de la refonte du code de la famille engagée partiellement en 2005. Un avis loin d’être partagé par une féministe, membre active de l’UNFA, laquelle estime que cette révision va «encourager encore plus le divorce». Cette militante affiche clairement son désaccord, sachant que «beaucoup trop de femmes recourent déjà au khol’, elles ont trop de libertés.

Personnellement, je connais une femme qui a divorcé parce que son mari n’a pas accepté qu’elle ait voulu changer de vie. Dans quel monde vivons-nous ? Ce n’est pas de la sorte que Bouteflika va protéger les femmes, il y a d’autres manières de le faire». En somme, le projet de révision du code de la famille est très controversé. Vague et indécis, il donne à la fois l’impression de satisfaire les militants des droits de l’Homme et les islamistes.

Phénomène de société depuis son institution à la faveur de la révision de 2005, le khol’ est considéré comme une panacée pour les deux sexes : la femme pour acheter sa liberté quitte à y perdre financièrement ; l’homme, entraînant son épouse à la séparation pour engranger les dividendes. Une affaire de sous avilissante qui pourrait être réglée par l’introduction d’un article donnant le droit aux époux de recourir équitablement au divorce.

Lydia Rahmani