Adhésion à la zone arabe de libre-échange: Le niet des patrons

Adhésion à la zone arabe de libre-échange

Le niet des patrons

Par :Meziane Rabhi, Liberté, 29 décembre 2008

Cet accord de libre-échange pourrait favoriser une grande fraude sur l’origine des produits introduits en Algérie, provenant de pays arabes.

Le Forum des chefs d’entreprise souhaite que l’adhésion de l’Algérie à la zone arabe de libre-échange soit différée de quelques années, “pour mieux se préparer”. Le président de cette organisation patronale, qui regroupe les représentants de grandes entreprises publiques et privées, lors d’une conférence de presse organisée hier à Alger, en présence de plusieurs membres, a affirmé que cette suggestion sera soumise au Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia. “Nous allons rencontrer le Premier ministre en janvier prochain et nous lui demanderons la possibilité d’étaler l’adhésion de l’Algérie à la zone arabe de libre-échange dans le temps”, a indiqué le président du FCE. M. Réda Hamiani a averti : “le surcroît d’ouverture fera peser des risques importants sur l’économie algérienne. Le développement des secteurs, comme l’industrie agroalimentaire, l’électroménager… sera compromis. Des entreprises risquent de fermer avec, comme conséquence, la mise en chômage de milliers de personnes. Beaucoup d’industriels pourraient se reconvertir en importateurs.” M. Hamiani précise, en outre, que le Forum des chefs d’entreprise n’est pas opposé à l’ouverture de l’économie algérienne en général et encore moins à la signature de l’accord concernant l’adhésion de notre pays à la Zone arabe de libre-échange (Zale). Toutefois, le forum ne peut pas admettre une approche qui présente, de son point de vue, “un défaut rédhibitoire, celui d’ignorer fondamentalement l’entreprise dans la préparation de ces accords, de leur contenu, des instruments et des mécanismes de leur administration”. Le président du FCE indique, à juste titre, que c’est l’entreprise qui, en dernier ressort, est la plus impliquée par la mise en œuvre des accords de libre-échange ; elle est donc en droit d’attendre qu’elle soit mise à contribution et qu’elle participe à la préparation de ces accords, ne serait-ce que pour en être pleinement imprégnée au moment de leur mise en œuvre. M. Réda Hamiani qualifie “de maladroit” l’appréciation apportée par le ministre du Commerce sur l’entreprise algérienne “à l’occasion du premier débat public organisé au niveau de la Radio nationale à propos de l’adhésion de notre pays à la Zone arabe de libre-échange”. M. Slim Othmani, patron de NCA Rouiba, demande à ce que “le ministre fasse des excuses” jugeant les propos du ministre “inacceptables”. Le président du FCE estime que même si l’entreprise algérienne a des faiblesses, “ce qui est le cas”, reconnaît-il, “il appartient aussi aux autorités de mener des politiques actives pour amener les opérateurs économiques vers un plus grand développement, une meilleure productivité, une meilleure maîtrise des facteurs de production”.
Cela étant, il faut dire que les craintes qu’expriment les chefs d’entreprise quant à un surcroît d’ouverture de l’économie algérienne sont fondamentalement liées au contexte de notre économie, à tous les dysfonctionnements, aux distorsions, aux dérèglements qui caractérisent le marché. Le président du Forum des chefs d’entreprise relève, dans ce cadre, la profusion d’activités informelles peu saisissables, une fraude importante à l’importation, (notamment sous la forme de sous-déclarations de valeurs ou de dévalorisation de la qualité des produits, de fausses déclarations sur les quantités), des circuits de distribution complètement désarticulés… La gravité de ces dysfonctionnements est d’une telle ampleur qu’au-delà des entreprises, c’est l’économie nationale dans son ensemble qui est interpellée. M. Hamiani souligne que le produit industriel à prix constant est quasi le même qu’en 1983, alors que la contribution des hydrocarbures est passée de 33% en 2002 à 55% en 2008. Les exportations hors hydrocarbures ne représentent que 11 jours d’importations. 20 ans de réforme pour sortir de la dépendance au pétrole, l’économie algérienne s’enfonce de plus en plus dans le pétrole. “C’est de ce point de vue que nous tirions la sonnette d’alarme pour dire que l’ouverture conduite dans ces conditions est porteuse de dangers pour l’équilibre et la survie des entreprises algériennes, parce que celles-ci, globalement, n’ont pas encore bénéficié des effets des réformes de seconde génération qui commencent à peine à être définies et à être mises en œuvre”, relève le président du FCE.
Les préoccupations des chefs d’entreprise, en relation avec la zone de libre-échange arabe, tiennent au fait que “les pays arabes présentent aujourd’hui un niveau de compétitivité des facteurs de production (capital et travail) bien plus élevé que le nôtre, les fiscalités aussi ne sont pas comparables, et notre degré d’organisation est insuffisant (institutions et mécanismes de sauvegarde non prêts, mise à niveau des entreprises industrielles non achevée, absence de proximité entre le monde de l’entreprise et les administrations économiques…)”.
Le Forum des chefs d’entreprise évoque, par ailleurs, les problèmes de certificats de complaisance, d’actions de dumping incontrôlé. Le patron de Cevital a exprimé ses craintes de voir des produits pays arabes importés de Chine ou d’Inde réexportés sur le marché algérien avec de faux certificats d’origine. En outre, M. Issad Rebrab a indiqué que les opérateurs ne demandent pas de protection. “Nous sommes capables de nous défendre. Nous n’avons pas peur de nous battre sur le plan international. Mais que nous ayons les même armes”, souligne-t-il, précisant que tous les pays, arabes ou européens, avec lesquels l’Algérie a contracté des accords de libre-échange mettent des barrières non tarifaires pour bloquer des produits de pénétrer leur marché. Le patron de Cevital relève aussi, avec regret, que l’Algérie est le seul pays arabe à ne pas autoriser ses entreprises à investir à l’étranger et à accompagner éventuellement les exportations. “La loi sur la monnaie et le crédit le prévoit. Mais, il est impossible d’obtenir l’autorisation de la Banque d’Algérie”, indique M. Rebrab appelant à libérer l’entreprise algérienne, au niveau national et international. “Il faut arrêter de sous-estimer les Algériens, de les prendre pour des moins que rien”, insiste-t-il.

Meziane Rabhi