Surfacturations, fausses déclarations… : les ruses du transfert illicite de devises

Surfacturations, fausses déclarations… : les ruses du transfert illicite de devises

El Watan, 22 mai 2012

La surfacturation séduit aujourd’hui non seulement les importateurs algériens, mais aussi les entreprises étrangères quelles que soient leur taille ou leur nature. Selon les chiffres du CNRC, sur les 8605 opérateurs étrangers recensés, 24,5% opèrent dans l’import-export.

Les infractions à la législation des changes sont aujourd’hui légion. La minoration ou la majoration de la valeur en douane, selon les cas ou les dispositions douanières, sont plus qu’une pratique frauduleuse permettant aux importateurs d’échapper au fisc, c’est une habitude, une manière de faire du commerce, qui grève lourdement les recettes du Trésor pour l’un et les réserves de change pour l’autre. Les transferts illicites de capitaux ont connu une accélération ces dernières années.

Les chiffres du Global Financial Integrity (GFI), organisme indépendant, rassemblant magistrats, universitaires, spécialistes des affaires et parlementaires américains et européens, à l’image d’Eva Joly, sont édifiants. Au cours de la dernière décennie, plus de 18 milliards de dollars ont été transférés illicitement, dont 4,39 milliards de dollars pour le compte de la manipulation des prix au titre des transactions de commerce international. Soit une moyenne annuelle de 1,8 milliard de dollars de transferts illicites et de 439 millions de dollars de surfacturations annuelles. Des chiffres qui donnent le tournis et qui sont loin de ce qui sort réellement de nos frontières. Car le GFI se sert de modèles de calcul des variations de la balance des paiements pour donner une estimation approximative du manque à gagner.

Le fait est aussi que la hausse continue de la valeur des importations, ou plutôt de l’indice de la valeur unitaire à l’importation, et le creusement du déficit de la balance des services pourrait être le signe de la multiplication des pratiques de manipulation des prix au sein des opérateurs du commerce international, dans le seul but de transférer des devises illicitement. La valeur des importations est ainsi passée de 40,47 milliards de dollars en 2010 à 46,45 milliards de dollars en 2011. Aussi, une hausse de plus de 25,9% a été enregistrée sur l’Indice de la valeur unitaire à l’importation (IVU) de marchandises de l’Algérie pour les neuf premiers mois 2011. Une hausse qui s’est accompagnée d’une augmentation des cas d’infraction à la législation des changes enregistrés par les Douanes algériennes.

Ainsi rien que pour les dix premiers mois de l’année 2011, la direction du contentieux des Douanes algériennes a enregistré des pénalités d’une valeur globales de 75 milliards de dinars (environ un milliard de dollars) largement au-dessus des 59 milliards de dinars enregistrés tout au long de l’année 2010, sachant que les infractions à la législation des changes représentent à elles seules 80% des cas de fraude constatés. C’est dire l’ampleur du phénomène auquel l’autorité douanière a décidé de s’attaquer dès 2010 en traquant les majorations sur la valeur en douane, particulièrement dans les cas de biens issus des zones de libre-échange, notamment la ZALE.

Toutefois, le pan des opérateurs à risque s’élargit à mesure que la fraude s’impose comme mode de fonctionnement du commerce extérieur. Si elle ne concernait auparavant que quelques opérateurs indélicats, la fraude séduit aujourd’hui non seulement les importateurs algériens, mais aussi les entreprises étrangères quelles que soient leur taille ou leur nature. Tous les pans de l’économie sont d’ailleurs touchés et le phénomène ne concerne plus les seules importations de biens destinés à la revente en l’état. Comme ce fut le cas pour le médicament, les surfacturations touchent l’importation d’intrants. Elles touchent également les services, le transport, les assurances et réassurances, les transferts de surestaries, etc.

Un quart des entreprises étrangères font de l’import

Le risque de fraude grandit aussi et surtout avec l’augmentation constante du nombre d’importateurs. Selon les dernières statistiques du Centre national du registre du commerce (CNRC), entre 2007 et 2011, le nombre de sociétés inscrites dans le secteur de l’import-export (ou plutôt l’import-import) a connu une hausse de plus de 70%. Mais le plus inquiétant, selon de nombreux observateurs, reste le nombre d’entreprises étrangères autorisées à effectuer des activités d’importation sans pour autant être autorisées à transférer leurs dividendes. Selon les chiffres du CNRC, sur les 8605 opérateurs étrangers recensés, 24,5% opèrent dans l’import-export.

Aussi, 70% des étrangers inscrits en tant que personnes physiques exercent l’activité du commerce de détail. C’est dire la vulnérabilité de la sphère commerciale à l’influence d’opérateurs disposant d’importantes sommes en dinars sans pouvoir pour autant les convertir en devises et les transférer. Reste donc le recours à la fraude. Ce qui pourrait expliquer, selon l’expert financier et ex-cadre à la Banque d’Algérie, Mohamed Ghernaouet, la fébrilité actuelle du marché parallèle des changes où les cours de l’euro et du dollar, face au dinar, ont atteint des pics sans précédent.

Il précise dans ce sens que les transferts de dividendes, pour les entreprises étrangères qui activent dans le secteur de la revente en l’état, ne sont pas prévus par les textes et s’en trouvent ainsi interdits. Il explique ainsi que ces entreprises, qui se doivent de «faire des bénéfices pour rester en vie, prélèvent leurs dividendes à la source», c’est-à-dire à l’importation. Il explique aussi que ces mêmes entreprises s’arrangent pour faire un bénéfice minimum en Algérie «pour contenter quelque peu le Trésor public en payant un impôt pour ensuite transférer le résidus des dividendes via le marché parallèle». Des affirmations qui peuvent paraître ahurissantes au moment où les autorités monétaires renforcent les contrôles et resserrent la législation des changes. Pourtant, du côté de la Banque d’Algérie, on est conscients de la situation, même si l’on veut minimiser la portée de ce genre de pratique.

Impuissance des autorités

Une source de la Banque centrale, ayant requis l’anonymat, nous explique que la réglementation en vigueur permet aux investisseurs étrangers de transférer leurs dividendes dans les conditions définies par la loi. Ces transferts sont d’ailleurs consignés dans le bilan de la Banque centrale au chapitre des revenus des services non facteurs. Toutefois, il avoue avoir eu connaissance des cas de plusieurs opérateurs ayant recours au marché informel. Il dit cependant douter que ce même marché fasse transiter des sommes faramineuses.
Complicité passive ou aveu d’impuissance des autorités face à l’informel et à la généralisation de la fraude ? Cette attitude n’est pas le seul apanage de la Banque centrale, vu qu’à divers niveaux, on avoue son incapacité à faire quelque chose. Le fait est que les fraudes avérées ne représentent qu’un outil parmi l’attirail mis en place.

Dans ce sens, M. Ghernaouet met à l’index un système de contrôle des changes qui reste strict au plan institutionnel, mais qui demeure très perméable au plan pratique, et cela «les autorités le savent», dit-il.
Une perméabilité possible grâce à la majoration de la valeur en douane, le transfert des services ainsi que les irrégularités marquant le versement des salaires des expatriés. Sur ce dernier point, l’expert financier indique que des travailleurs étrangers ne reçoivent qu’une partie du salaire en Algérie privant ainsi et le Trésor public de revenus d’IRG et la Sécurité sociale de cotisations correspondant à leurs salaires effectifs. Il précise également que si les transferts qui passent par les banques sont chiffrés et sont inscrits au niveau de la balance des paiements, la part des dividendes enfouis dans les prix des produits et services importés et dont la valeur est majorée ne l’est pas.

Ainsi, plus le produit est rare, plus la marge de manœuvre est élevée. Une marge qui, à 10%, peut représenter pour un marché de 250 millions de dollars un manque à gagner de 25 millions de dinars pour le fisc. Il met aussi à l’index les transferts des services qui ont atteint le chiffre alarmant de 12 milliards de dollars alors qu’il n’était que de 5 milliards de dollars en 2006. Un point sur lequel insiste, également, Réda Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises. Celui-ci évoque la surfacturation de prestations liées à la réparation navale, les prestations d’assurance et de réassurance pour lesquelles de gros montants transitent par les places de Zurich et de Londres. Aussi, si les activités de fret et de transport induisent en Algérie des surcoûts qui se montent à 7 milliards de dollars par an, il faut bien se dire qu’une partie est liée à la surfacturation des prestations ou encore au gonflement des transferts par des armateurs étrangers de surestaries dépassant les 3 mois.
Roumadi Melissa


Dualité et incohérence des textes

El Watan, 22 mai 2012

La fuite des capitaux est devenue au fil des discours une hantise pour les autorités.

Une batterie de textes règlementaires a été promulguée depuis quelques années afin de freiner l’exportation des devises issues pour la plupart de la rente pétrolière. Pourtant, rien n’y fait. Au lieu de s’inverser, la tendance s’accentue, et certains flux inscrits avant dans la balance des paiements passent désormais via des circuits illégaux.
L’erreur est dans la conception même des textes devenus globalement incohérents, estiment certains. Ainsi, l’ancien cadre de la Banque d’Algérie, Mohamed Ghernaout, dresse un bilan assez critique des mesures imposant le partenariat capitalistique avec des nationaux résidants pour tout projet d’investissement ou de création de société commerciale. Pour lui, peu importe si on impose une participation algérienne à hauteur de 51% pour les IDE ou 30% pour les sociétés d’importation, puisque le partenaire réussit à récupérer 100% de ses dividendes à travers la surfacturation et la majoration de la valeur en douane.

Un avis partagé par le président du Forum des chefs d’entreprises, Réda Hamiani, lequel dit ne pas comprendre ce qui a motivé la décision des pouvoirs publics de limiter le capital étranger à 49% dans tout projet d’investissement productif, alors qu’il l’a ouvert à 70% pour les activités de commerce. Il pense qu’il aurait été plus judicieux de fermer les activités de commerce extérieur et de revente en l’état aux étrangers. Le fait est que ces mêmes commerçants étrangers qui ne réfléchissent pas à des projets d’extension de leurs activités n’ont que faire de dinars qu’ils ne peuvent transférer. M. Hamiani en arrive ainsi à la conclusion que les textes actuellement en vigueur en matière de contrôle des changes ont poussé les opérateurs vers des pratiques illégales. Il critique ainsi un système qui se caractérise par sa dualité et qui ne se base pas sur des règles homogènes et claires, applicables à tous pour ce qui est des transferts de devises.

Une situation qui n’est pas, selon lui, spécifique à l’Algérie, puisque dès qu’il y a un renforcement des règles, les opérateurs du commerce extérieur mettent en œuvre des pratiques illégales pour contourner le contrôle des changes. Des pratiques qui touchent à peu près tous les secteurs, selon M. Hamiani qui évoque dans ce sens les entreprises de réalisation ayant bénéficié de contrats publics et qui n’hésitent pas à recourir au marché parallèle, soit pour acquérir des dinars à bas prix pour le paiement de leurs ouvriers, soit pour le transfert de paiements effectués en dinars.

Si l’incohérence des textes donne à réfléchir, la fuite des capitaux ne peut en aucun résulter d’un simple resserrement règlementaire. C’est du moins l’avis de l’organisme américain Global Financial Integrity.
Celui-ci ouvre d’autres pistes de réflexion en rappelant que si la réglementation des changes en Arabie Saoudite est loin d’être contraignante, cela n’a à aucun cas contribué à freiner la fuite des capitaux. Il invite ainsi à chercher les causes sous-jacentes à ce genre de phénomène dans le manque de confiance dans le système politique et économique en place.
Roumadi Melissa