Stratégie industrielle ou stratégie verbale ?

Ouyahia n’a vu que de la communication et pas de mise en œuvre

Stratégie industrielle ou stratégie verbale ?

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 12 mars 2009

Ahmed Ouyahia n’a pas été tendre au sujet de la «stratégie industrielle», la grande affaire de Temmar. Ce n’est que de la «propagande». Il a défendu la participation de l’Algérie à l’UPM tout en constatant qu’elle est rattrapée par la conjoncture géopolitique. Ceux qui croyaient que l’Algérie avait une stratégie industrielle, Hamid Temmar, en premier, ont dû être ramenés sur terre par Ahmed Ouyahia. Dans une intervention à la radio, le Premier ministre a relevé que cette stratégie industrielle n’a pas été adoptée en Conseil des ministres et qu’elle a beaucoup plus fait l’objet de communications que d’actions. En termes plus directs, cela veut dire que cette stratégie industrielle, annoncée en grande pompe, il y a pratiquement deux ans, jour pour jour, n’est que du vent. En l’occurrence, il s’agit d’illustration parfaite d’une situation où le pouvoir joue à son propre opposant. Abdelhamid Temmar, qui a été loin d’être avare en matière de communication sur cette stratégie industrielle, et accessoirement, Abdelaziz Belkhadem, chef du gouvernement au moment de son annonce, devraient se sentir directement visés par la sortie du Premier ministre. «Chaque équipe a son style, et je n’ai pas pour style de faire de la propagande», a déclaré Ahmed Ouyahia. Sur l’appréciation de la réalité de la nouvelle stratégie industrielle, rien de vraiment nouveau. De nombreux économistes en avaient déjà critiqué le peu de consistance. Le fait que le Premier ministre le dise et parle de mise en œuvre ne manque pas de piquant mais ne donne pas pour autant une plus grande visibilité à la politique économique du pays. Cette stratégie industrielle «n’a jamais été adoptée» en Conseil des ministres, elle est donc au mieux une simple opinion du ministre Temmar qui, officiellement, après les assises organisées au février 2007, en a remis les recommandations au Premier ministre de l’époque, Abdelaziz Belkhadem. Et, effectivement, il y a eu beaucoup de gesticulation pour reprendre le terme plus acerbe du Premier ministre, pas beaucoup d’actions. Il y a quelques semaines, Abdelhamid Temmar, qui reste toujours ministre de l’Industrie et de la Promotion de l’investissement, soulignait que le «plan de mise en oeuvre» de la stratégie industrielle lancé deux ans plus tôt en était à «sa quatrième et dernière phase, axée sur la formation». Ce qui a été fait, selon lui, durant les «trois phases» précédentes, a consisté à parachever les études d’évaluation des grandes entreprises publiques, la détermination des zones du développement industriel à travers le territoire national, ainsi que la mise en place d’un plan de qualification de ces entreprises… Certains critiques ont ajouté ironiquement que la cinquième phase pouvait éventuellement consister en un plan quadriennal, qui, selon le mot cruel d’un ancien dirigeant, pourrait être réalisé en une «dizaine d’années».

De la feuille de route de quinze ans au «plan de charge»

La stratégie non entérinée par le gouvernement visait – vise-t-elle toujours ? – à créer 13 grandes entreprises industrielles nationales… Des cabinets de consultants étrangers, dont KPMG et Deloitte France, ont été mobilisés pour définir le mode opératoire de la création de ces 13 fleurons de la base industrielle enfin réanimée… Les secteurs concernés étaient en gros ceux de la pétrochimie, de la sidérurgie, de l’aluminium ou de l’agro-industrie. Ces bureaux d’études ont dû passer du bon temps à tirer des plans sur la comète moyennant finances. Bref, il avait été question d’une feuille de route sur les quinze ans à venir pour remonter la pente et effacer les années de déclin. L’Algérie est entrée, depuis les amères prescriptions de l’accord d’ajustement structurel au milieu des années 90, dans un processus marqué de désindustrialisation. La part de la production industrielle est aujourd’hui inférieure à 5% alors qu’elle était de 24% du PIB. Relancer l’industrie, l’idée est belle, bonne et consensuelle. Mais apparemment, malgré les moyens disponibles, on en est resté avec acharnement au stade des idées ou des voeux pieux. C’est très clairement ce que suggère Ahmed Ouyahia. La stratégie industrielle «doit désormais être adaptée au papier millimétré que sont les mesures prises par le chef de l’Etat que j’ai commencé à mettre en oeuvre». La stratégie industrielle est recadrée par le «plan de charge» et les secteurs «sélectifs» en Algérie sont le bâtiment, les travaux publics, le ferroviaire, la mécanique et même le médicament. «Bâtir des stratégies, c’est réunir les conditions nécessaires pour que ce qui a été investi ne soit pas perdu», a-t-il déclaré en indiquant que des mesures sont mises en oeuvre pour la modernisation de toutes les entreprises publiques fiables dans le secteur du bâtiment, des travaux publics, l’agriculture et l’hydraulique, précisant que ces mesures sont appliquées depuis décembre dernier.

L’UPM rattrapée par la conjoncture géopolitique

Sur un autre registre, le Premier ministre a affirmé que l’Algérie est «partie prenante» de l’Union pour la Méditerranée (UPM) et qu’elle y a adhéré en restant «fidèle à ses constantes politiques et à ses engagements internationaux». «L’Algérie est partie prenante à ce regroupement depuis sa fondation, c’est un membre fondateur et par le plus haut symbole incarnant la République, à savoir le président de la République». Alors que les critiques ne manquent pas sur l’UPM et lui prêtent l’objectif politique de réaliser une normalisation rampante avec Israël, Ahmed Ouyahia a défendu la présence de l’Algérie. «C’est son environnement géographique (l’UPM), elle ne peut pas ne pas y être, et c’est son environnement stratégique, elle ne peut pas lui tourner le dos».

Il précise qu’il est «exclu pour nous que l’UPM soit un passage détourné vers des relations directes ou indirectes avec Israël». Il n’empêche qu’il prend acte du fait que les objectifs économiques de l’UPM ont besoin de moyens qui «à ce stade, ne sont pas là». Il constate aussi que l’UPM, qui se voulait plus efficace que Barcelone, a été «rattrapée par la conjoncture géopolitique qui prévaut dans le bassin méditerranéen», particulièrement «la consécration des droits du peuple palestinien frère et les pratiques israéliennes d’agression et d’hégémonisme».