En dépit des effets d’annonce, l’Algérie guettée par le sous-investissement

En dépit des effets d’annonce, l’Algérie guettée par le sous-investissement

Abed Charef, Maghreb Emergent, 13 novembre 2012

Les investissements, en Algérie, relèvent plus de l’effet d’annonce que de la démarche économique. Les raisons sont multiples : bureaucratie, gaspillage, lourdeur du système, mais aussi duplicité et, parfois, ignorance ou mensonge de la part des responsables.

Le constat est brutal. L’Algérie peut réaliser une croissance de 6 ou 7% en 2013. Elle a le potentiel pour faire une croissance à deux chiffres, mais elle se contentera de 3.4 pour cent l’année prochaine. Ce n’est pas un opposant aigri qui l’affirme, mais M. Zeid Zeidane, le chef de la mission du FMI, qui a achevé hier sa mission en Algérie.
Pourquoi une telle incapacité à agir alors que le pays dispose des financements, du marché et de l’ambition pour réaliser de grandes choses ? Parce l’Algérie n’a pas les institutions et les entreprises en mesures de mener et d’encadrer ces projets. Les dirigeants le savent, mais ils continuent à faire comme si l’Algérie était un pays normal. Rares sont les moments de lucidité où ils redécouvrent le réel pour reconnaître l’incapacité du pays à aller vers une croissance « chinoise ».
Pour la période 2010-2014, le président Abdelaziz Bouteflika a annoncé des investissements gigantesques devant atteindre 285 milliards de dollars. Le chiffre est si ambitieux qu’il promet de transformer le pays. Mais ce n’est qu’un chiffre, dont l’impact se limitera à un effet d’annonce. Car en réalité, l’Algérie investira ce qu’elle pourra, c’est-à-dire ce que son administration et ses entreprises pourront consommer.

Sonatrach ne fait pas mieux !

La cour des comptes en a fait le constat. En étudiant le projet de loi de règlement budgétaire pour l’année 2010, présenté à l’APN, elle a constaté une faible consommation des budgets d’équipements. Seuls 64% des crédits d’équipement ont été consommés, contre 80% pour le budget de fonctionnement. En encore faut-il inclure dans ce qui est consommé, la part des surcoûts, des gaspillages et des commissions.

Les entreprises ne font pas mieux. Sonatrach a annoncé des investissements de 80 milliards de dollars entre 2012 et 2016, ce qui représente une moyenne annuelle de 16 milliards de dollars. Mais en 2012, elle devrait se contenter de dix milliards, selon son PDG, Abdelhamid Zerguine. Et encore ! Ce chiffre lui-même est sujet à caution, car il est difficile d’établir un bilan qui déboucherait sur un chiffre aussi rond. Ce qui n’empêche pas le PDG d’annoncer 15 milliards pour 2013, pour faire de son entreprise « un leader en Afrique ».

Dans le seul secteur du raffinage, Sonatrach a un programme d’investissement de 14 milliards de dollars, avec la réalisation de cinq grandes raffineries. Si le programme est mené avec la même précipitation et dans les mêmes conditions que l’autoroute est-ouest, il sera difficile de séparer les gaspillages des commissions. L’ancien PDG de Sonatrach est précisément en détention à cause de contrats passés dans des conditions opaques.

L’acte d’investir est devenu risqué

L’autre grande entreprise qui réalisé d’importants investissements est Sonelgaz. Celle-ci jongle avec les chiffres avec une facilité déconcertante. Son PDG, Noureddine Boutarfa, promet des investissements faramineux de 80 milliards de dollars, et assure que 40 pour cent de l’énergie produite par Sonelgaz à l’horizon 2030 sera d’origine renouvelable. Des chiffres sans consistance, pour une entreprise qui n’arrive pas à trouver des terrains pour implanter ses installations, ni à décrocher les autorisations pour engager des travaux.

M. Bouterfa est taclé par M. Messaoud Boumahour, directeur de l’université de développement des technologies du silicium. « En l’état actuel des choses, il est impossible » d’atteindre cet objectif, affirme M. Boumahour. L’Algérie n’a « ni les bases suffisantes ni les prérequis » pour y arriver, car elle pas réussi à « construire un environnement adéquat », a-t-il dit.
Dans certaines entreprises, l’acte d’investir est devenu risqué, en raison des affaires de corruption. L’environnement bureaucratique fait le reste. « Une procédure d’une semaine prend facilement un mois, voire un trimestre », nous dit un chef d’entreprise. « Si, pour arriver à maturation, un projet de cent millions de dollars dans un secteur donné demande deux ans, en Algérie, il faudra trois à cinq ans. Et la réalisation traine ensuite. Le résultat est qu’un projet viable au moment de sa conception se trouve décalé au moment où il aboutit », déplore ce chef d’entreprise.

La complainte des managers

Les managers se plaignent tous des mêmes obstacles : bureaucratie, manque de financement, insuffisance du foncier, pesanteur de la tutelle, cadre juridique contraignant, etc. « Investir est pénible, et exige un processus aussi long qu’inutile. Ce qui débouche sur une situation absurde : les banques disposent d’argent, mais ne trouvent pas à qui le prêter », rappelle un économiste, qui note aussi une confusion : en Algérie, « on confond entre investir et dépenser ».
Cette duplicité est illustrée jusqu’à la caricature par l’affaire Renault. Le marché algérien dépasse le demi-million de véhicules, l’Algérie veut à tout prix lancer une industrie automobile, elle est prête à y mettre le prix, mais elle n’y arrive, et les négociations trainent depuis des années. De déclaration farfelue en projet ridicule, le pays a perdu une décennie. En fin de parcours, M. Ahmed Ouyahia, dont un ministre s’occupait de ce dossier pendant des années lorsque lui-même était chef de gouvernement, avoue aujourd’hui que ce projet relève de l’utopie.