Le million de logements, ce cauchemar

L’état accumule les erreurs dans le secteur du bâtiment

Le million de logements, ce cauchemar

El Watan, 20 décembre 2009

Derrière les discours volontaristes perce le blues. Ayant construit près d’un million de logements – selon les chiffres officiels, du moins –, le président de la République s’est engagé à en construire encore un million dès l’entame de son troisième quinquennat.

Le ministre du secteur multiplie les gesticulations médiatiques et les professions de foi promettant de ne plus refaire les mêmes erreurs. La réalisation du premier million de logements a été marquée par un florilège d’aberrations.Les espoirs des milliers de ménages en quête d’un toit se brisent généralement dès le dépôt de leurs dossiers au niveau des APC. « L’accueil qui nous est réservé est tellement mauvais qu’on comprend très vite qu’il nous sera difficile d’accéder à ce rêve sans un certain appui », nous confie Kamel, jeune papa de 32 ans. Le ministre de l’Habitat, Noureddine Moussa, a promis, lors de ses récentes interventions médiatiques, de mettre fin à l’anarchie qui règne dans les commissions d’attribution des logements. « Les nouveaux logements n’iront qu’aux citoyens recensés. Nous disposons d’un fichier national contenant toutes les informations sur les personnes qui ont bénéficié de l’aide de l’Etat ou d’un logement financé par des fonds publics », a-t-il claironné. La mauvaise distribution des logements financés par l’Etat est un problème aussi vieux que la création de l’Algérie indépendante. « Il a fallu qu’il y ait crise pour que l’Etat décide de prendre les choses en main. Les premières mesures ont eu lieu lors des émeutes de Constantine. C’est là qu’on a créé une commission d’attribution de logements sociaux. Auparavant, il n’y avait aucune règle. Les logements étaient financés par l’Etat mais personne ne savait qui les distribuait », nous explique un ancien cadre du ministère de l’Habitat, aujourd’hui à la retraite qui souligne que même si l’Etat a fixé les règles d’accessibilité, elles ne sont pas toujours respectées. Aujourd’hui encore, le plus grand secret entoure les commissions chargées de la distribution de logements. L’ancien cadre du ministère nous raconte comment agissaient les cercles au niveau des wilayas : on avait voulu enlever le 15% du wali, c’était la guerre. On a voulu faire disparaître le ministère du Logement. Une réflexion sur une loi sur le logement social avec des critères bien précis d’accès. « Les collectivités locales n’ont pas de stratégie. On manque cruellement d’idées. Il n’y a pas, en Algérie, une définition précise du logement promotionnel ni du logement social. Il n’existe aucun repère », explique M. Boudaoud. La crise du logement affecte désormais de façon pérenne une part non négligeable des classes moyennes. Alors que les couches les plus défavorisées peuvent prétendre à l’aide publique et que les parties les plus aisées de la société peuvent relativement accéder au marché, la classe moyenne se retrouve lourdement pénalisée.

La classe moyenne sur le carreau

Pour pouvoir prétendre au logement social, le salaire des candidats ne doit pas dépasser les 70 000 DA. « Nous sommes, de ce fait, trop riches pour postuler au LSP et trop pauvres pour pouvoir acheter un petit F2 », s’étonne Mourad, cadre dans une entreprise publique. L’écart entre les salaires et les prix du logement n’a jamais été aussi grand. Les solutions tardent à voir le jour. « Même dans la classe moyenne algérienne, il y a plusieurs classes. Il faudrait adapter d’autres formules spécifiques. L’Etat est en train de songer à d’autres créneaux pour être en adéquation avec les besoins du marché », nous dit le directeur de la Caisse nationale du logement. « C’est là un bon début. Nous devrions tout de même songer à d’autres formules », nous dit le directeur de la Caisse nationale du logement (CNL) qui assure cependant que le logement « ne connaît pas la crise ». Les nombreux retards enregistrés dans la construction du premier million de logements promis par le président de la République ont gravement nui à la crédibilité du gouvernement. Le ministre de l’Habitat justifie les retards par le manque d’assiettes foncières autour des villes et par la sismicité des sols qui exige des études géotechniques précises. Mais les choses semblent encore plus compliquées, si l’on en croit l’explication des professionnels du secteur. La raison principale de cette pagaille est notamment liée à la faillite des entreprises publiques du bâtiment. « Il y a eu un démantèlement dans le secteur du Btph de l’économie dirigée. Des problèmes à la construction. Le problème récurrent de la main-d’œuvre retarde l’achèvement des travaux », explique l’ancien cadre du ministère. La plus grande méprise fut peut-être, selon lui, l’abandon des entreprises publiques de BTPH comme Sorecal, DNC ou Sonatiba. Du jour au lendemain, plus de 400 000 travailleurs étaient mis à la porte. « Il est désormais quasiment impossible de reconstituer ce tissu de main-d’œuvre », nous explique-t-on.

Le représentant du collège des architectes, Abdelhamid Boudaoud, dit ne pas comprendre comment le gouvernement a pu construire près d’un million de logements en l’absence d’une main-d’œuvre. « Ils ont construit un million de logements puis ils vous disent qu’il n’y a pas de main-d’œuvre qualifiée. C’est comme si quelqu’un a déjà préparé une galette et vous dit qu’il n’a pas de tadjine », plaisante-t-il. Le représentant du collège des architectes ne comprend pas non plus le mode de gestion des projets de construction. « Pour un projet de 50 milliards, ils viennent avec des brouettes. Nous travaillons dans la précipitation. C’est le moment de faire une bonne étude. L’Etat est absent », souligne M. Boudaoud, regrettant, par là même que tous les projets aient été évalués. Interrogé sur cette question, le patron de la CNL nous dit que « les réévaluations ont été très minimes durant le premier million de logements ». Sur le quinquennal, les réévaluations ont été minimes. Le directeur ne souhaite pas s’attarder sur le sujet. « La politique a changé. Avant, nous imposions aux réalisateurs le coût. Maintenant, tout se fait via un appel d’offres, les souscripteurs font des propositions. L’Etat veille à ce que les coûts soient raisonnables. » L’obstacle, constamment évoqué par les officiels : le foncier. « Il y a de la demande là où il n’y a pas de foncier et il y a du foncier là où il n’y a pas de demande », résume un banquier. Les bêtises de dernière minute Les constructions de logements auraient pu se dérouler convenablement s’il n’y avait les « faux problèmes » qui empoisonnaient la vie des entrepreneurs. Les décisions prises en dernière minute ont été à l’origine de nombreux dysfonctionnements et ont donné lieu à de monstrueux casse-tête. Exemple : en pleine exécution du premier plan de construction d’un million de logements, l’ancien ministre de l’Habitat, Nadir Hamimid, a décidé d’interdire l’utilisation du sable pour la construction. L’intention du ministre était sans doute louable, mais il aurait fallu prévoir une alternative pour ne pas causer de retard dans la construction. « Il fallait avoir recours au matériel de concassage. Ceci n’est pas une gaufretterie. Une décision pareille doit se préparer à l’avance », nous dit l’ancien cadre du secteur. Tant que les promoteurs privés préfèrent la facilité, l’offre privée demeurera insuffisante. « L’offre privée est insuffisante parce que le privé est allé vers l’aide publique qui lui permet un financement garanti. Pour la plupart, ce sont des entrepreneurs qui se convertissent en promoteurs alors que ce sont des métiers différents. Le privé aspire le public. Il faut mettre de l’ordre dans le prochain plan quinquennal », nous explique-t-on. Abdelhamid Boudaoud, du collège national des experts architectes, s’emporte contre le fait que l’attribution du marché de construction se fait sans même demander les références des entreprises.

L’obsession des statistiques

La précipitation avec laquelle le secteur de l’habitat traite ce dossier n’est pas pour arranger les choses. « Si on fixe comme objectif la quantité, on aura toujours les problèmes de viabilisation (VRD), ces appartements ne sont lotis ni en électricité ni en gaz et même en eau. Les besoins sont tellement importants qu’on continue à faire les mêmes erreurs. Si les logements construits ne sont pas habitables, le problème du logement, pour les nouveaux locataires, est toujours là », nous explique-t-on. De l’indépendance à nos jours, l’Etat a construit plus de 5 millions de logements. Si l’on y ajoute les 1,9 million de logements bâtis par les Français, il y a à peine 7 millions d’appartements pour une population de 35 millions d’habitants. Paradoxalement, le dernier recensement de la population a montré qu’il existe près de 1,5 million de logements inoccupés. Il n’y a pas de données qui permettent une régulation du marché. Le dossier de l’habitat a toujours été confronté à d’énormes difficultés. L’une des plus grandes tares est bien le manque de perspective. « Le ministère du Plan a disparu. On a abandonné le dirigisme centralisé. Un code de l’habitat devait être établi. Jusqu’à l’heure actuelle, il n’a jamais vu le jour », nous dit un ancien cadre du ministère. Le représentant du collège des architectes ajoute : « Il est urgent de recenser le patrimoine inachevé et les réserves foncières. Les communes pourraient ainsi identifier les besoins. » « Là, nous saurons si nous pouvons colmater les besoins, s’il y a véritablement une crise ou si la cause principale est la mauvaise gestion. » En attendant que le gouvernement trouve une solution à ce qui apparaît comme une impasse, des milliers d’Algériens se focalisent sur l’acquisition d’un logement, croyant que c’est là la solution à tous leurs problèmes.

Par Amel Blidi


 

CNL : Plus de 118 milliards de dinars en 2009

La Caisse nationale du logement (Cnl), le bras financier de l’Etat, a déboursé plus de 118 milliards de dinars durant l’année 2009.

L’Etat a accéléré les constructions peu avant l’élection présidentielle de 2009. Il a ainsi été enregistré une hausse des dépenses de l’ordre de 12,08%. En septembre 2008, la Cnl avait déboursé 105,8 milliards de dinars. « Le logement social représente 58,4% de ce qu’on a dépensé. Alger est en tête suivie de Chlef, Batna et Tipaza », nous dit le directeur de la CNL. Il explique qu’il y a un manque à gagner notamment dans le logement public locatif. « Mais c’est la politique de l’Etat.

On ne fait pas de rapports financiers. C’est un prix administratif et c’est normal que l’Etat le fasse », corrige-t-il. Le représentant de la CNL tient à souligner que l’Etat a fait beaucoup d’efforts pour améliorer la situation ces dernières années. « Nous mettons à disposition des promoteurs des terrains. Ils ne payent que 20% de leur valeur afin que les prix soient abordables », souligne-t-il. Pour ce qui est du prochain million de logements, la CNL n’a pas encore le détail du programme

Par A. B.