Kerrouche «ville» survit aux promesses «bidon»

Immersion, à l’est d’Alger, dans un des plus grands bidonvilles du pays

Kerrouche «ville» survit aux promesses «bidon»

El Watan, 28 septembre 2011

Bidonville qui a plus de 45 ans d’existence, Kerrouche survit aux promesses «bidon». Aucun projet de relogement n’est prévu pour les 2000 familles qui ont élu domicile le long de la RN5, à la frontière de la commune de Boudouaou et de la wilaya de Boumerdès, à 40 km d’Alger. Les quelque 12 000 habitants qui y vivent, sont redoutés de tous, à Réghaïa, pour la mauvaise réputation qui leur colle à la peau. Entre petites joies et précarité extrême, ils résistent et espèrent.

«Je me marie bientôt». Amel a le cœur serré par un rêve apaisant, mais si fragile qui l’angoisse. Elle en parle à voix basse. La timidité ride rapidement son visage lisse. Elle recule et s’adosse sur les grands bidons d’eau qui longent le «mur» en tôle de zinc de sa maison et explique: «On a demandé ma main récemment, mais ‘’mazal’’ (pas encore)», comme si le fait de trop en parler risquait de tout briser.
Un petit vent de fin d’été souffle en faisant remonter toute la poussière du sol, jonché de pierres, de gravats et de détritus. Amel arrange ses cheveux soyeux et poursuit : «On a dû tout organiser ailleurs – des proches en ville ont bien voulu abriter l’événement -, pour ne pas avoir à recevoir ma future belle- famille ici», avoue-t-elle avant de changer précipitamment de sujet.

Elle soulève la planche qui recouvre l’une des grandes bassines à côté d’elle, pour critiquer la qualité de l’eau qu’on leur vend chaque matin à 60 DA les 10 litres. Une eau recouverte de poussière. «Avec le temps, on apprend à faire avec», commente Amel. Elle a eu 23 ans pour s’y habituer. Elle est née au bidonville de Kerrouche, dans la commune de Réghaïa, l’un des plus grands du pays. Ici, comme le fait si bien Amel, les quelque 12 000 autres habitants qui y vivent, balancent de jour en jour entre précarité extrême, misères et petites joies qu’ils arrachent à la débrouillardise. On l’appelle San Fransisco, Dallas ou encore quartier Kenya, mais le vrai nom de ce bidonville, qui a plus de 45 ans d’existence, est Haï Kerrouche. Situé le long de la RN5, à la frontière de la commune de Boudouaou et de la wilaya de Boumerdès, à 40 km d’Alger. Près de 2000 baraques y sont établies, en parpaings, en carton ou encore en tôles de zinc et planches en tout genre. Une «architecture» variée.

La carte bleue de Boudiaf

Dimanche 18 septembre. A 11 heures, Amel qui rôdait, il y a quelques minutes encore devant sa baraque en chemise de nuit, s’éclipse précipitamment. Deux hommes en combinaison bleue se baladent dans les petites allées en gravier du bidonville pour y déposer des appâts toxiques contre les rats. Des employés de l’entreprise d’hygiène urbaine de la wilaya d’Alger. Zoubida, une mère de famille, sort alors et demande gentiment à l’un d’eux de lui en placer à la maison. L’homme refuse : «Il est interdit d’en mettre à l’intérieur des baraques», répond-il en s’éloignant. Zoubida accepte alors de se prêter à un jeu des questions réponses après avoir ouvert la porte de sa baraque. Numéro 740.

«Je suis là depuis 25 ans, je suis arrivée ici tout de suite après mon mariage, nous avions acheté une toute petite place recouverte de carton et de tissu à 15 000 DA. Depuis, on a eu le temps de construire et d’améliorer notre petit habitat», explique-t-elle sans retenue. Ciment, mur peint, carrelage : une des rares baraques où l’on retrouve tous les matériaux d’une vraie maison. Zoubida est éducatrice dans une crèche à Alger et garde espoir de pouvoir acquérir un logement participatif, prochainement. Tous ses espoirs, elle les met dans la fameuse carte bleue qu’elle a entre les mains. Celle qu’elle appelle «la carte Boudiaf», en référence au défunt président qui avait programmé leur déplacement avant d’être lâchement assassiné. Petit bout de fiche cartonnée bleue sur lequel sont inscrits son nom, son prénom, le numéro de sa baraque au dessus d’un cachet de l’APC de Réghaïa.

«C’est cette carte bleue qui m’a donné le droit d’avoir des certificats de résidence pour inscrire mes enfants à l’école, mais c’est aussi avec cette carte que je peux avoir droit à un logement social un jour!», explique-t-elle encore. Salima, également la quarantaine, n’a pas cette chance ! Sa carte à elle est jaune et sa baraque est loin d’être aussi confortable que celle de Zoubida. Des toilettes turques à 20 centimètres de la porte d’entrée et quelques couvertures et draps en guise de lit, à côté, pour trois enfants. «Moi je n’ai pas la carte Boudiaf parce que je suis arrivée il y a seulement quatre ans. J’ai donc la carte des nouveaux arrivants qui n’ont pas droit à un certificat de résidence», lâche-t-elle dépitée. Comment inscrire son enfant à l’école, qui se trouve à seulement quelques mètres du bidonville, dans ces cas-là ? Deux choix s’imposent : se faire établir un hébergement par l’un de ses voisins détenteur d’une carte bleue ou, mieux encore, acheter une résidence (entre 1000 et 2000 DA) à l’un des agents de l’APC qui en ont fait un commerce connu de tous.

Baraque playstation !

«La bande de Kerrouche», c’est ainsi qu’on appelle les jeunes de ce bidonville. Ils sont accusés de vols, d’agressions et autres délits craints et décriés de tous. «Il n’y a ni CEM ni lycée ici, on est donc obligés de prendre le bus vers la ville de Réghaïa et on n’a pas d’argent !», raconte, confus, Amine, 14 ans, pour justifier l’arrêt de sa scolarité. Sa mère précise : «Il se faisait insulter et on lui refusait même l’accès au bus parce que c’est un habitant de Kerrouche». Depuis, Amine passe ses journées à vadrouiller loin du regard inquiet de sa mère. A côté de lui, Adel, 15 ans, s’est, quant à lui, trouvé une occupation originale pour ces lieux : «J’ai ouvert une petite baraque de jeux playstation, de quoi égayer quelque peu cette cité de détresse. Mais je me suis fait dévaliser plusieurs fois, notamment par les flics !», dénonce-t-il. «Avec tout ce mal-être, on ne sort pas faire de la ‘’fawdha’’ (du désordre) dans la rue pour arracher notre droit à un logement décent», s’exclame un autre jeune, marchant pieds nus, avant de se remettre en retrait.

La dernière émeute organisée par les habitants de Kerrouche sur la RN5, à seulement quelques mètres du bidonville, remonte justement à 2006. Ils réclamaient à cette époque là non pas un relogement (ils n’y croyaient plus), mais de l’électricité. Deux jours après, il suffisait d’exhiber sa carte d’identité pour que Sonelgaz accepte d’installer des compteurs. «Mais des compteurs collectifs, précise Salima, pour ne pas risquer de nous donner plus de légitimité», ironise-t-elle.

Depuis, ces fameux compteurs ont été abandonnés, et les habitants de Kerrouche ont opté pour une méthode beaucoup moins coûteuse qui évite surtout les grosses bagarres pour le paiement équitable des factures : le piratage des fils électriques de la commune.Une source proche de l’APC de Réghaïa, qui a requis l’anonymat, parle d’une facture de 900 000 DA par an, pour ce piratage d’électricité. Entre débrouillardise illégale et misère subie dans l’indifférence, le choix est vite fait.

«Entre les mains de fakhamet erraïs»

Le dernier recensement des habitants de Kerrouche remonte à 2007, année des dernières élections communales. 1306 familles ont été inscrites sur la liste de la commune en vue d’un relogement, à cette époque. Mais depuis, près de 1000 autres ont rejoint le bidonville, et ces nouveaux arrivants, qui ne figurent sur aucune liste de la commune, réclament eux aussi leur droit à l’espoir. Un problème de légitimité se pose donc. Les derniers arrivants seraient-ils moins légitimes que les anciens ?

Le président de l’APC de Réghaïa, Bachir Lazaâr (FLN), en est convaincu. «Lorsque nous avons effectué notre recensement, nous avons transmis une liste de 1300 familles pour le relogement des habitants de Kerrouche, on se retrouve aujourd’hui avec un nombre qui avoisine les 2000, ça pose un sérieux problème», souligne-t-il. Les habitants de Kerrouche, notamment les plus anciens, comptent sur l’APC pour régler ce problème de «priorité» dans les éventuels programmes de relogement qui pourraient voir le jour. Bachir Lazaâr pense que c’est aux habitants de Kerrouche de régler ce problème. Comment ? «Ils n’ont qu’à dénoncer les nouveaux arrivants pour empêcher que le bidonville ne s’élargisse».

Eux, ne l’entendent pas de cette oreille : «Il est difficile de refuser de l’aide à des gens qui vivent la détresse de la rue», répondent-ils.Certains d’entre eux ne croient pas tellement à ce programme de relogement qu’ils ne voient pas l’utilité d’entrer dans des luttes internes alors que rien de concret ne se profile. Sur les 40 000 baraques qui ceinturent la capitale, seules 3245 familles ont été relogées, cette année (durant ce mois de septembre).

Les habitants de Kerrouche n’en faisaient évidemment pas partie. Sont-ils concernés par un autre programme de relogement ? «Oui, bien sûr», répondait confiant, il y a seulement quelques jours, le maire de Réghaïa, Bachir Lazaâr (FLN). Quand ? Où ? «Ah les détails sont entre les mains de « fakhamet erraïs’’ (Son Excellence le Président)», s’est-il exclamé. Comprendre : nulle part. Tous les désespoirs sont permis pour les Algériens de Kerrouche.

Comment en arrive-t-on là ?

Elle marche en prenant appui sur les murs en parpaings de sa baraque, en levant également la tête vers le ciel. Lyla, 50 ans, s’arrête dès que le rebord de l’entrée de sa baraque surprend ses pieds nus.Elle se baisse alors délicatement pour s’y asseoir et raconter sa détresse en laissant ses yeux absents se perdre dans le vide. «Je suis kabyle d’origine, orpheline, j’ai survécu des années durant de foyer en foyer jusqu’à ce que des âmes charitables aient décidé de faire une collecte de 150 000 DA pour m’acheter cette baraque il y a quatre ans, depuis el hamdoullilah», confie-t-elle résignée.

Lyla est non-voyante, son regard sur la vie et la détresse de Kerrouche s’en trouve forcément édulcoré. Djilali, 47 ans, a un parcours qui ressemble quelque peu à celui de Lyla, sauf que lui voit clair. Enfant né sous X, il ne doit ses quelques années de répit qu’à une dame de l’Algérois qui l’a recueilli avant de s’éteindre brusquement. Après ces quelques années, c’est dans la rue qu’il a dû réapprendre la vie.

Dans un quartier de Bab El Oued, un homme le prend sous son aile. Djilali épousera quelques années plus tard sa nièce. Direction donc Kerrouche avec 150 000 DA en poche.Il est maintenant père de trois fillettes qui vivent dans des conditions de pauvreté extrême, leur père étant au chômage. Dans ce bidonville situé à seulement 40 km de la capitale, chacun a son histoire.

Et toutes les détresses peuvent mener à Kerrouche.
Mais la plupart de ses habitants ont tous fui le terrorisme durant la décennie noire. Ils viennent pour la plupart de M’sila, Tebessa, Aïn Hedjal, Sidi Aïssa, Tablat, Médéa ou encore Chaâbt El Ameur ou Sour El Ghozlane…

Combien ça coûte?

Kerrouche cause de nombreux désagréments à la commune de Réghaïa, notamment des pertes financières (facture d’électricité), mais le bidonville survit et pis encore, il s’agrandit. L’éradication de ce bidonville a été tentée en 1983, Kerrouche comptait alors 230 familles qui ont été acheminées à leurs villes respectives. Seulement, quelques semaines plus tard, le bidonville a repris sa place en accueillant de nouveaux arrivants. Ils ont atteint le nombre de 1300 familles en 2007, ils sont aujourd’hui près de 2000.

Pourquoi une telle prolifération ? En plus de l’idée préconçue selon laquelle «on est obligés de passer par la case baraque pour avoir un logement social», le bidonville est aussi un créneau rapporteur. Seuls 50 000 DA suffisent pour construire une baraque qui est ensuite vendue à 300 000 (il y a seulement trois années, elles étaient cédées à 150 000 DA). Pour construire de nouvelles baraques en toute tranquillité, il suffit de verser 50 000 DA à un agent de l’APC pour qu’il ferme les yeux durant les 4 jours de travaux (l’APC contrôle régulièrement les lieux pour empêcher la construction de nouvelles baraques).

Le marché de l’immobilier, façon baraques, est, dit-on par ici, la seule consolation, des plus anciens «oubliés par les LSP (logements socio participatifs)» de Kerrouche ! «Ils sont redoutables», dit-on souvent de ces gens venus se réfugier dans la capitale pour fuir le terrorisme, le chômage ou encore le désœuvrement. En fait, dans leur bidonville, ils craignent eux aussi souvent les assauts du dehors. «Couvre-feu à 20 heures», précise Adel, le joueur de playstation.

Après 20 heures, le bidonville entre dans une ambiance d’angoisse, dit-on. Seules quelques baraques sombres ont le droit d’avoir les portes ouvertes. Pour y accéder, deux mots-clefs : prostitution et drogue, dans le «quartier femme», un coin inaccessible, explique-t-on encore. Les habitants de Kerrouche n’iront pas jusqu’à s’en plaindre. Ils ont en tête d’autres questions plus pressantes, notamment une question de survie.

Les premières pluies commencent à s’abattre sur Alger et ses environs. Les habitants de Kerrouche redoutent encore une fois le pire. Il y a de quoi, «l’an dernier, une fillette est morte et beaucoup de baraques ont été emportées par la pluie», raconte le jeune Aziz. Parpaings, tôles de zinc pour exercer «son droit du sol», résistent aux fausses promesses, mais pas à la pluie.

Fella Bouredji


Cri d’un père de famille sur le point d’être expulsé

«J’irai construire ma baraque»

Un cauchemar. C’est ainsi qu’on peut décrire le calvaire qu’est en train de vivre une famille qui vient de recevoir un avis d’expulsion par voie de justice.

«Personne ne peut ressentir ce que j’éprouve aujourd’hui», lâche, désespéré, M. S. Mohammed, habitant depuis plus de dix ans à la cité des 124 Logements, à Kouba. «C’est le ciel qui me tombe sur la tête. Qu’allons nous devenir ?», s’interroge-t-il en pensant à ses enfants et à sa femme.Du désespoir mêlé à la colère, voilà ce que ressent ce père de famille qui se remémore les moments forts vécus dans cette demeure. Ayant épuisé toutes ses économies en 2000 pour acheter cet appartement tant attendu auprès d’une dame, M. S. ne s’attendait certainement pas à ce que l’OPGI, dix ans après, engage une action en justice pour réclamer le bien immobilier…

«La seule solution qui me reste est de construire une baraque, comme ça, je serai parmi les bénéficiaires de l’opération de relogement !»
M. S. Mohammed résume en fait l’état d’esprit d’une catégorie de «débrouillards». Profitant des lacunes du plan de relogement destiné à l’absorption du logement précaire dans la capitale, certains individus d’une cupidité sans bornes n’hésitent pas à installer leur baraque pour bénéficier d’un appartement.D’autres n’hésitent pas à acheter carrément des bidonvilles et, avec leurs liens étroits avec des responsables locaux, leurs noms figureront facilement parmi les bénéficiaires. Ce procédé, décrié par les postulants à un logement social, reste une forme d’exclusion des familles pour l’accès au logement.

«J’ai mis toutes mes économies et j’ai emprunté de l’argent pour pouvoir payer ce logement, comme l’ont fait tant d’autres dans l’entourage. Je croyais bien faire et régler moi-même mon problème de logement qui n’a jamais été pris en charge par les autorités. Je n’ai jamais douté que ce geste allait me coûter si cher !» «On me pousse à aller habiter dans une baraque avec mes enfants», enrage notre interlocuteur.M. S. Mohammed pose le problème des sous-locataires de l’OPGI, dont le nombre serait énorme. Il faut savoir que certains de ces locataires, qui ont acheté par le biais d’agences immobilières, sont prêts aujourd’hui à toute forme de régularisation.
La colère de ces pères de famille monte d’un cran quand ils se rappellent que leurs demandes d’accès à toute forme de logement sont restées insatisfaites.

«L’Etat a décidé de récupérer les logements occupés illégalement», selon M. Rehaimia, directeur général de l’OPGI d’Hussein Dey, qui ajoute : «Tous les sous-locataires, en infraction, sont poursuivis par l’OPGI, sans distinction. Si certains ont été destinataires d’avis d’expulsion et d’autres pas encore, c’est la durée de la procédure au niveau de la justice qui a été différente d’un cas à un autre.»
De son côté, le collectif SOS familles expulsées de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme a réagi : «Même si la procédure engagée contre les sous-locataires est justifiée, il est inconcevable que les familles destinataires de décisions d’expulsion ne bénéficient pas d’une solution de rechange.»Un appel a été lancé par ce collectif pour la prise en charge urgente des familles expulsées.

Fatima Arab


En l’absence d’un plan national de résorption de l’habitat précaire

Les bidonvilles, une poudrière

La loi du pneu br ûlé est-elle la meilleure ? La violence est ainsi devenue, depuis quelques mois, la meilleure façon d’accéder à un logement.

A défaut d’une réelle politique transparente de distribution de logements et en l’absence de confiance des citoyens envers les autorités, l’on se «fait justice» soi-même. Il ne suffit plus de fournir un dossier, de se porter candidat auprès des autorités locales et d’attendre, parfois très longtemps, de voir apparaître son nom sur les listes des bénéficiaires. Il est aujourd’hui considéré que la manière «réglementaire» ne paie plus. Il y a mieux, paraît-il. Construire une baraque au milieu de nulle part, forcer la porte d’un appartement vide et le squatter, ou encore brûler des pneus deviennent le modus operandi le plus rapide. Et dès l’annonce d’une campagne de relogement ou de distribution de logements sociaux, ce sont des communes entières qui sont en émoi. Il y avait les contestations «soft».

Des foules agglutinées qui prennent d’assaut des sièges d’APC lors de l’affichage des listes des heureux élus au logement social. Et qui en viennent à fermer et parfois à saccager les locaux, arguant d’un trafic dans la distribution. Et puis, depuis quelques années, un nouveau mode de protestation est apparu : l’émeute. Elles étaient, l’on s’en rappelle, le fait de jeunes gens qui s’élevaient contre leurs conditions de vie plus que précaires.

A la suite de ces violentes manifestations, de vastes programmes de relogement ont été mis en place par les autorités afin de calmer les esprits. Ce qui donna des idées à d’autres. Et depuis, les révoltes ayant pour revendication principale le relogement sont quasi quotidiennes. Et ce ne sont pas les promesses et autres programmes de construction «en masse de logements» qui sauraient calmer les esprits, chauffés à blanc aux images télévisuelles de remises des clés «du bonheur», avec force youyous et louanges. Une réelle mentalité du «pourquoi lui et pas moi» s’est installée. D’autant plus que l’Etat ne cesse de faire dans l’effet d’annonce. «L’éradication de l’habitat précaire», il y aurait quelque 500 000 baraques de par le territoire national, est devenu une véritable campagne médiatique.

Baraque contre appartement… ou le contraire

Seulement, et selon le bilan de la rapporteuse spéciale de l’ONU pour le logement, «cette politique ‘d’éradication des bidonvilles’ a accru la pression déjà très importante sur le système de logement de type social-locatif et elle a ainsi engendré un conflit entre les possibles bénéficiaires de ces deux programmes». Ces opérations de destruction des sites d’habitations précaires tendent elles aussi à tourner au pugilat. Car de nombreux citoyens défendent bec et ongles, ce qu’ils considèrent être, à tort ou à raison, leur carte d’accès à «un logement décent». Investir dans une baraque en est même devenu un gage.

D’ailleurs, il n’est pas rare de voir, du jour au lendemain, une construction illicite poindre le bout de sa tôle. Et même les critères des autorités quant au relogement des habitants de bidonvilles, à savoir qu’ils s’y soient établis avant 2007, ne sauraient dissuader les aspirants-bénéficiaires. Et un réel trafic autour des bidonvilles et des logements sociaux a vu le jour.
Il a même été rapporté que des citoyens, ayant bénéficié d’un appartement dans le cadre de ces programmes, louent ou revendent ces habitations, et reprennent place dans les gourbis quittés quelques jours auparavant… quitte à s’exposer à l’insalubrité, à l’insécurité et autres fléaux qui ne finissent pas de pulluler dans ces ghettos.
Ghania Lassal


Après les opérations de relogement

Quel avenir pour les immeubles et les assiettes récupérés ?

Les immeubles vétustes de la cité Diar Echems seront conservés. Malgré une dégradation avancée – escaliers en ruine, murs fissurés, portes et fenêtres complètement délabrées – aucune opération de démolition n’est envisagée.

Selon des sources généralement bien informées, les habitations de la cité Diar Echems seront restaurées. Pourtant, une autre source proche de la daïra de Sidi M’hamed nous a confié qu’«il n’existe aucun projet de réaménagement des immeubles, à ce jour». Selon les riverains, les appartements de type F2 seront «jumelés» afin d’en faire des F4. Mais ils ignorent à qui profiteront les futures demeures.
Dans cette cité, il ne reste plus que les familles qui ont refusé de rejoindre les nouveaux logements qui leur ont été attribués à Birtouta. «La plupart des familles qui n’ont pas accepté de partir l’ont fait en raison de l’éloignement de cette banlieue de leur lieu de travail», explique un habitant.

«Nous aurions préféré qu’on nous octroie des logements à Sebala où ont été relogés nos voisins l’année dernière, lors de la précédente opération de relogement. C’est plus près du centre-ville et nous n’y serions pas dépaysés», affirme un autre riverain. «Plusieurs habitants de la cité ont décliné l’offre à cause des conflits de famille. Ils n’ont pas voulu déménager pour une chambre en plus, mais pour un appartement supplémentaire», affirme un commerçant, qui ajoute : «Dans une même famille, il y avait des désaccords entre ceux qui voulaient partir et ceux qui projetaient de rester dans leur quartier.» Ceux qui n’ont pas quitté leur quartier espèrent bénéficier de ces logements après leur réfection.

«Après leur réaménagement, les appartements seront sûrement plus spacieux», commente une habitante de la cité. Les commerçants ayant des locaux en bas de ces immeubles sont, quant eux, préoccupés ; ils ignorent le sort qui leur est réservé. Ils ne savent pas s’ils vont être délocalisés. «Dans le cas où nous devrions évacuer les lieux, nous ignorons si nous serons dédommagés», s’inquiètent-ils.

Assiettes cherchent projets

Les quelques sites de chalets libérés, lors de la dernière opération de relogement, devront être, pour certain d’entres eux, démolis. D’ores et déjà, à Kahouet Chergui, l’imposant site qui abritait, il y a quelque temps, plusieurs dizaines de chalets est en cours de démantèlement. Les ouvriers de la wilaya s’attellent à démembrer les éléments qui composent ces mansardes une par une. Des panneaux servant de toitures, d’autres de murs ont été entreposés ici et là. L’assiette foncière récupérée devra, selon les habitants, servir à la réalisation d’une nouvelle station de bus, car l’actuelle occupe un terrain appartenant à un particulier.

A Dergana, dans la partie dépendant de la commune de Rouiba, les services de l’OPGI ont commencé le démantèlement des chalets dès que les dernières familles ont quitté les lieux, après l’opération de relogement qui s’est déroulée ce mois-ci. Sur place, les éléments de la garde communale, seuls à être restés, ne savent pas grand-chose du sort réservé à l’assiette. D’après le voisinage, le terrain récupéré servira à la construction de logements. Au site de Mimouni, dans la commune de Bordj El Kiffan, les chalets, qui sont dans un état de dégradation avancé, vont, selon le responsable de la garde communale présent sur les lieux, servir à la construction d’une cité. Néanmoins, la dizaine de familles occupant toujours le site ralentira certainement le projet. Ces dernières ont été écartées de l’opération de relogement, parce qu’elles avaient bénéficié, par le passé, de lots de terrain. «Elles devront se désister de leurs biens pour pouvoir bénéficier de logements», affirme un agent de l’OPGI présent sur le site.

Au site Ali Amrane, dans la même commune, d’après les éléments de la garde communale qui surveillent les chalets contre d’éventuels squatters, ceux-ci vont être reconvertis en logements pour les policiers célibataires. D’ailleurs, le site accueille de temps à autre des policiers en mission. Une ambiguïté totale entoure le sort de ces assiettes foncières récupérées par les pouvoirs publics. «Nous n’avons, jusqu’à l’heure actuelle, reçu aucune directive concernant l’exploitation ultérieure de ces sites», affirme un responsable de l’OPGI de Dar El Beïda, dont dépend le plus grand nombre de sites de chalets à travers la capitale. Néanmoins, cette fois-ci, réalisera-t-on des projets d’intérêt général tels que des jardins publics, des bibliothèques, etc. ?

Saci Kheireddine