La déprime des Algériens devant les étals

La déprime des Algériens devant les étals

«ça brûle, ça brûle…!»

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 27 décembre 2007

Le pouvoir d’achat des Algériens est rudement malmené, les chiffres de l’Office national des statistiques le confirment. Dans les marchés, les ménagères oscillent entre déprime et exaspération.

C’est un marché, dans un quartier populaire de la capitale, réputé pour sa «rahma» pour les petites bourses et où l’on vient en voiture aussi pour s’approvisionner moins cher. Le «gardien des voitures», un personnage haut en couleurs, qui connaît les ressorts intimes de son marché, annonce la couleur: «ça brûle, mon frère, ça brûle!» Ça brûle, en effet, et au troisième degré. Devant les étals, les clients balançaient entre l’abattement et l’exaspération, les réflexions indignées à l’égard de la «houkouma» se terminant par un long soupir: «mais comment font les familles qui n’ont qu’un seul salaire?». C’est le gardien du marché, absolument incollable sur tout, qui donne la réponse: «Elles peuvent se rabattent sur la pomme de terre qui est tombée à 35 DA, mais attention, elles ne doivent pas en faire des frites car l’huile est bouillante. Ce qu’elles peuvent faire, c’est de la patate bouillie, c’est ce qu’il y a de plus abordable».

Les détaillants jurent, la main sur le coeur, que leur marge n’a pas augmenté avec cette flambée généralisée et qu’ils ont même eu tendance à la réduire. «Nos clients ne sont pas des riches, on en tient compte…» Mais le «marché des pauvres» a de la peine, désormais, à tenir sa petite réputation face à la spirale des hausses des prix. Les marchands ont renoncé à proposer de la banane car elle coûte 160 DA au prix de gros. «Même si on la vendait à ce prix, c’est beaucoup trop», explique un marchand avec un regard dépité sur les courgettes, bien belles, mais qui sont justement vendues à 160 DA le kg. Un prix de Ramadhan qui a tendance à durer. C’était, hier, le jour de la courgette, ou plutôt du commentaire sur «el-kerâa», devenue, aux yeux des ménagères outrées, le symbole de ce qui ne va plus. «Ils nous tuent!», s’écrie une femme dont le couffin est resté presque vide après avoir fait plusieurs fois le tour des étals. Les marchands comme les clients approuvent. Il n’y avait pas besoin d’explication pour savoir que «ils», désigne les gens du gouvernement et que les discussions codées entre Ahmed Ouyahia et certains de ses anciens ministres, toujours en place, ont l’air de se dérouler sur la planète Mars. Au marché des légumes -les fruits, devenant un trop grand luxe-, le crédit des responsables est aussi mince que le pouvoir d’achat littéralement assommé par la hausse des prix des produits de large consommation. Une situation confirmée par les chiffres de l’Office national des statistiques qui fait état, selon l’agence de presse APS, d’un rythme d’inflation de 3,5% au cours des 11 derniers mois, porté essentiellement par les fortes hausses des produits alimentaires. Le chiffre pour toute l’année atteindrait 3,8% .

PAS DE FRITES, MAIS DES PATATES BOUILLIES

Si l’évolution des prix a été modérée pour certains produits comme les viandes, les conserves et les produits de luxe, elle a été très forte pour les produits qui entrent dans la composition régulière du panier de la ménagère. C’est-à-dire, la destination la plus importante du budget des familles. Il s’agit, selon l’ONS, des biens alimentaires ( 6,5%) notamment les produits agricoles frais ( 7,9%), les produits alimentaires industriels ( 5%), les biens manufacturés ( 0,5%) et les services ( 1,5%). Les fruits frais ont augmenté de 19,5%, la pomme de terre, devenue essentielle dans la cuisine quotidienne, a connu une hausse moyenne de 53,1% . C’est énorme! Les autres produits ne sont pas en reste, le poisson frais ( 14,3%), les huiles et graisses ( 9,5%), les café, thé et infusions ( 7,2%), les viandes blanches ( 2%), les boissons non alcoolisées ( 3,6%), le lait, le fromage et dérivés ( 4,30%) et, enfin, le pain et les céréales avec 5,9% .

Ces chiffres confirment largement que «manger» greve, désormais, l’essentiel des revenus des ménages. Et que le couffin pas rempli mais néanmoins brûlant marque l’année 2007. A la sortie du «marché des pauvres», le gardien autoproclamé des voitures vous prend les 20 dinars habituels et recommande en souriant: «patates bouillies, pas de frites…».