Classes moyennes algériennes: L’angoisse et la déprime

Classes moyennes algériennes

L’angoisse et la déprime

El Watan, 19 janvier 2009

Pas assez riches pour s’extraire des difficultés matérielles mais pas assez pauvres pour bénéficier des allocations et autres soutiens de l’Etat dévolus aux faibles revenus, les classes moyennes algériennes souffrent au quotidien et désespèrent pour leur avenir.

Les appréhensions principales des classes moyennes sont le chômage, l’avenir de leurs enfants, la retraite et le logement. L’angoisse et la déprime sont également des sentiments partagés dès qu’on évoque l’érosion du pouvoir d’achat et la formation de haute qualité qu’elles souhaitent assurer à leur progéniture. La difficulté de maintenir le standing de vie dans une société est aussi souvent évoquée, notamment par les cadres des entreprises et administrations qui entrent, pour une grande part, dans la composition des classes moyennes algériennes.

Le rang social d’un cadre se mesurant souvent à l’acquisition d’équipements électroménagers, électroniques, multimédias et autres qui se renouvellent à grande vitesse, il n’est à l’évidence pas facile de maintenir le standing acquis avec les salaires pour le moins ridicules octroyés aux cadres algériens. Il est, à ce titre, bon de savoir qu’un ingénieur algérien débute sa carrière dans une entreprise publique, quand il a la chance d’y trouver un emploi, avec un salaire net d’à peine 16 000 DA qu’il ne doublera qu’au terme d’une vingtaine d’années de travail. Le désespoir est tel que les cris de révolte se font de plus en plus audibles, notamment ceux émanant des cadres qui affirment en avoir marre de subir sans pour autant avoir la certitude d’être payés en retour par une amélioration de leurs revenus et de leur qualité de vie.

Le sentiment d’une nécessaire bataille collective pour attirer l’attention de la société sur la dégradation des conditions de vie est aujourd’hui partagé par une large frange des classes moyennes, réputées pourtant pour leur pacifisme, voire leur docilité. Face à la dégradation des conditions de vie à laquelle les pouvoirs publics sont restés sourds, les classes moyennes ont effectivement le sentiment que si elles menaient une action collective, elles auraient davantage de chances d’imposer les mesures qu’elles attendent, notamment en matière de sécurité de l’emploi, de pouvoir d’achat et d’avenir éducatif pour leurs enfants. La dégradation du système éducatif algérien a érigé l’avenir des enfants au premier rang des préoccupations des classes moyennes, qui souhaitent donner à leur progéniture une éducation et une formation de qualité qui les feraient accéder à des emplois supérieurs bien rémunérés. Ils ne lésineront pas sur les moyens financiers en consacrant à l’éducation, souvent effectuée en dehors du système de formation étatique, une partie importante de leurs revenus. L’angoisse que leurs enfants finissent malgré tout au chômage les taraudera jusqu’au jour où ils les verront effectivement accéder à leur premier emploi. Même si elles ne le font pas en défilant dans les rues (l’état de siège l’interdit), les classes moyennes expriment leur révolte de diverses manières, parmi lesquelles on peut citer leur abstention de plus en plus massive aux divers scrutins, leur perte d’estime envers les autorités politiques et la tendance ouvertement déclarée par bon nombre de cadres à chercher à construire leur avenir et celui de leurs enfants à l’étranger.

Le sentiment de révolte est d’autant plus exacerbé que les classes moyennes constatent que depuis l’ouverture économique de 1988, les aides multiformes de l’Etat (filet social, aide frontale au logement, accès au logement social locatif, etc.) ne ciblent plus que les classes défavorisées, les classes moyennes étant invitées à se débrouiller, à prix coûtant, sur les marchés des biens et des services. Les populations ayant des revenus jugés faibles sont en effet éligibles au filet social et autres aides de l’Etat, tandis que celles qui disposent d’un salaire jugé élevé, selon des critères jamais rendus publics, en sont exclues. Ces dernières sont également exclues du bénéfice du logement social locatif, étant désormais contraintes d’y contribuer financièrement. C’est pourquoi les classes moyennes se plaignent d’être les grandes perdantes de cette ouverture qui n’a, en définitive, profité qu’aux plus riches et, dans une certaine mesure, aux couches pauvres qui ont pu bénéficier des diverses aides sociales. Les classes moyennes constituent pourtant la colonne vertébrale de la société. Ce sont elles qui encadrent l’économie, diffusent le savoir, le progrès technologique et la modernité en général, méritant, ne serait-ce qu’à ce titre, toute l’attention des dirigeants du pays. C’est ce que semble avoir bien compris le président américain nouvellement élu Barack Obama, qui a promis de faire de la restauration des classes moyennes fragilisées par la crise des subprimes un de ses premiers objectifs.

Nos gouvernants auront-ils la même clairvoyance ? Rien n’est moins sûr et à voir la manière brutale avec laquelle sont traités les syndicats autonomes qui portent leurs revendications légitimes (fonctionnaires, enseignants, médecins, hospitalo-universitaires, etc.), le renforcement des classes moyennes ne constitue pas, à l’évidence, une préoccupation pour les autorités en place qui donnent l’impression de n’avoir pas encore pris la mesure de l’ampleur des dégâts.

Par Nordine Grim