Les bidonvilles n’inquiètent pas l’Etat

Bidonvilles

El Watan, 23 décembre 2007

La maison Algérie se construit avec des bidonvilles. Dans la capitale comme dans d’autres centres urbains de l’intérieur du pays, des groupes de maisons insalubres sont érigées en permanence et sans discontinuer à la périphérie et au sein même parfois des cités urbaines. Il s’agit d’un phénomène social qui se propage à vue d’œil et en même temps d’une preuve matérielle d’une paupérisation rampante qui « recrute » de plus en plus les laissés-pour-compte. Les Algériens en sont ainsi réduits à quémander des années durant un logement qui ne vient jamais. L’état de l’habitat précaire quasi-généralisé qui touche une population qui grossit d’année en année reste le témoignage vivant de la faillite de l’Etat en matière de politique de logement certes, mais en réalité d’un échec cuisant des politiques prônées jusque-là. Que penser franchement d’un pays qui se targue d’être sur la voie du développement quand ni l’argent du pétrole, qui se compte en milliards de dollars, ni la prétentieuse et néanmoins pompeuse action sociale de l’Etat, ni la sacro-sainte économie de marché toujours en devenir n’ont pu sortir des taudis une population d’Algériens plutôt réduite à la fatalité et au désespoir. Les politiques de la maison Algérie ont-ils jamais été sensibles à la détresse de ceux qui pataugent dans des difficultés inextricables quand dans le même temps d’autres catégories de la société, parmi les nantis, les initiés, les copains, roulent carrosse et érigent non loin de là des maisons cossues et rutilantes. L’Etat, comme les banques, ne « donne » qu’aux riches ?! En tout cas, les bénéficiaires de logements sociaux ne sont pas toujours parmi les plus méritants, et les banques ne sont actuellement dans la possibilité de consentir des crédits (argent public) que pour ceux qui ont assez d’argent pour en emprunter. Il y a lieu d’insister ici sur l’exclusion qui en est faite au niveau de la direction des crédits des établissements bancaires, une exclusion du fait de l’inéligibilité tant l’offre du crédit est pratiquement inadaptée pour les réels demandeurs. Il est urgent que le pays soit doté de politiques à même de panser « les blessures » sociales qui ne sont que trop ouvertes. Il y va du partage des richesses de manière équilibrée.

Ali Benyahia

 


Alors qu’ils prolifèrent dans tout le pays à grande vitesse

Les bidonvilles n’inquiètent pas l’Etat

« Pays riche, peuple pauvre ». Ce paradoxe qui s’applique sur mesure à l’Algérie de 2007 se vérifie au quotidien. La misère sociale se voit et se sent à tous les coins de rues.

Dans les campagnes, comme dans les grandes villes, les citoyens, délaissés, se débattent avec les moyens du bord contre la cherté de la vie, le chômage, l’insécurité et toutes les pénuries, en particulier celle du logement. Alors qu’on parle d’un programme de construction d’un million de logements, des milliers de bidonvilles, similaires aux favelas brésiliennes, pullulent aux portes de nos villes, surtout à proximité de la capitale, Alger. Des familles entières (plusieurs générations) s’entassent, ont constaté des reporters d’El Watan, dans des habitations précaires. Intrus sur le plan administratif puisque les communes dont ils devraient dépendre ne leur reconnaissent par le titre de résident et misérables sur le plan social, ces citoyens sont des clandestins dans leur propre pays. Dépourvus de toutes les conditions de vie, ils sont une proie à toutes les maladies et tous les maux de société. La situation dure depuis des années sans qu’elle n’inquiète les autorités. Elles (les autorités) ne réagissent qu’au lendemain d’une catastrophe, comme ce fut le cas lors des intempéries de novembre dernier. Et là encore, elles ne font que des promesses qui se dissiperont une fois l’orage passé. Où est l’Etat qui devra prendre en charge « ses citoyens » et éradiquer l’habitat précaire dans le pays ?

M. M.

 


Bateau Cassé (Bordj El Kiffan) dans un total dénuement

Ces familles qui vivent sur des égouts aux portes de la capitale

Lieudit Bateau Cassé, ex-Haï Stamboul 1. La vue de cet immense bidonville, situé dans la partie est de Bordj El Kiffan, à quelques encablures de la capitale du pays, agresse le regard.

Le bidonville, où vivent près de 600 familles, est englouti dans une marée de boue et d’égouts. Pour s’y rendre, il fallait contourner plusieurs pâtés de villas (toujours en construction), au bout d’une piste impraticable. Ce sont ces villas qui cachent cet amas de « maisonnettes » insalubres, bâties anarchiquement pour la plupart dans les années 1990. Ce paysage, orné par des niches d’ordures et d’immondices pour le rendre encore plus laid, est tout simplement cauchemardesque. « Mal-vivre, humidité, saleté, namous (moustiques), tobat (gros rats), misère, bref tout y est ici », tel est l’état des lieux que nous résume Azzedine, architecte de son état. Son voisin l’interrompt pour durcir le ton : « Nous vivons comme des hérissons. » Il est vrai que la vie de ce sympathique mammifère au dos hérissé de piquants n’est pas facile ! Bref, les mots ne suffisent pas pour qualifier la situation dans laquelle (sur)vivent encore ces familles sans que les autorités ne daignent s’en occuper. Elles qui ont du mal aujourd’hui à reconnaître les dangers qui guettent ces familles, notamment ces dangereux rongeurs qui les côtoient et « cohabitent » avec elles dans ces bidonvilles, mais qui sont obnubilées dans leur grande majorité par le partage de la rente, le clientélisme sur fond de corruption. « Elles sont venues (les autorités) en juillet dernier pour un recensement et depuis personne n’a remis les pieds ici », raconte Selah. Celui-ci, travaillant comme gardien dans un site EPLF, n’est autre que le frère de Sellah, le fameux commentateur des matches de football à l’ENTV dans les années 1970. D’après lui, « le wali délégué nous a promis de nous caser après l’Aïd, mais on attend toujours ». En attendant, n’ayant pas d’autres endroits où aller, ces familles sont exposées continuellement à toutes sortes de maladies. Les pathologies fréquentes : problèmes respiratoires, dysenteries, maladies chroniques, asthme, diabète… Pis, les patients ne disposent même pas de carte de soins et ignorent même la gratuité de ces derniers. Il n’en demeure pas moins que ce sont surtout les enfants qui sont les plus exposés, eux qui, ne disposant pas d’aire de jeux plus appropriée, se donnaient hier à cœur joie en jouant en cette période ensoleillée de vacances scolaires, sur les niches d’ordures, sans se soucier de ces maladies. Smaïl, écolier de 11 ans, en fait partie de ce lot, mais pas pour jouer. Il n’est là que pour guetter la moindre bouteille en plastique déposée dans ces ordures pour la revendre afin de subvenir aux besoins de sa famille. Son père diabétique et sa mère ne travaillent pas. Comme pour ce gosse, la majorité des pères de ces familles ne bosse pas. Ils comptent seulement sur des bricoles. C’est le cas de Sid Ahmed. Panseur de son état, Sid Ahmed doit faire de grandes enjambées pour pénétrer dans sa baraque. Des eaux usées sont partout, même dans ce qui fait office de cuisine. Il vit sur une marée d’eaux usées. Sa voisine, Farida aussi. Cette ex-cadre des assurances a perdu la tête il y a près d’une année. A force d’encaisser des maladies, elle a fini par craquer. « Je suis démoralisée, j’ai demandé un congé de maladie longue durée pour m’occuper de mes enfants », dit-elle, en continuant à laver son linge. « On ne demande pas l’impossible, on ne demande qu’un abri digne pour nos enfants », lance-t-elle. La pauvre a dû vendre ces « petits » bijoux pour réparer sa baraque qu’ont détruit les récentes inondations. Amir, la cinquantaine, technicien mécanique d’entretien, originaire de l’Apreval, en fait partie de ces miséreux. Il raconte qu’il avait bénéficié d’une décision pour l’acquisition d’un chalet… qu’il ne verra jamais. Il s’est alors séparé de sa femme et de ses enfants pour élire domicile dans ces bidonvilles. « Je veux subir seul cette souffrance », dit-il. Pourtant, ce n’est pas un brin de nationalisme qui manque à Amir, lui qui a affiché à la porte d’entrée de son abri l’emblème national. Mais le malheur en a décidé autrement pour cet ex-émigré en Allemagne fédérale. Comme lui, la quasi-majorité de ses voisins n’a pas fêté l’Aïd. Sauf certains que d’aucuns soupçonnent d’avoir des « moyens » ailleurs, et que Selah dénonce. « Il y a parmi nous ceux qui ont des habitations ailleurs et ils fuient leurs bidonvilles dès qu’il y a la moindre goutte de pluie. » Durant ces moments-là, les enfants ne vont pas à l’école. Paradoxalement, ce sont les élèves qui vivent dans ces bidonvilles qui ont les meilleures notes à l’école, nous raconte-t-on. Mais cette donne aura-t-elle un effet positif dans leur vie ?

Rabah Beldjenna

 


Karim Louni. Architecte à Alger

« Ces excroissances illustrent l’absence de la puissance publique »

– Est-ce que les bidonvilles sont une fatalité ?
– Le bidonville n’est pas une fatalité. Ces excroissances urbaines sont le résultat de la mauvaise gestion de la part de la puissance publique. Cette dernière, de par sa déliquescence, permet cette excroissance par une complicité implicite. Qu’on vienne pas nous dire que les communes ne sont pas au courant des bidonvilles à Hydra ou à Gué de Constantine. La délivrance des permis de construire fait partie des prérogatives du président d’APC. Il faudra attendre le jour où le maire fera appel aux systèmes qui existent et qui doivent gérer la question urbaine.

– Pourquoi tous les programmes d’éradication de bidonvilles semblent inefficaces ?
– Tout est fait pour la réapparition des bidonvilles : il n’y a aucune prise en charge en aval, aucun suivi des opérations de recasement. Et c’est en ce sens qu’il faudrait redéfinir la notion de logement social. Ce dernier ne devrait pas être un cadeau providentiel que l’Etat « offre » au citoyen. Le citoyen risque parfois d’avoir un réflexe de rente : il peut par exemple revendre ce logement. C’est une spirale. Le réflexe de la rente est le même qu’on trouve à différents niveaux de l’Etat. C’est la logique du « chacun veut sa part ». Le citoyen se dit que lui aussi a sa « part », à l’image de tout un système basé sur la rente. On ne peut éradiquer les bidonvilles sans revoir toute la philosophie de ces opérations : il faut casser les mécanismes qui favorisent la rente. Et malheureusement, on ne tire jamais les leçons du passé. Voyez les nouvelles excroissances, ces sortes de « bidonvilles de qualité », comme à El Hamiz où la situation est pire. Ces excroissances sont spontanées et illustrent bien l’absence de la puissance publique. Des zones comme El Hamiz s’inscrivent également en marge de la société, particulièrement du point de vue économique. C’est de l’informel au sens le plus large. Ici aussi on voit que l’Etat ne fait que gérer l’impunité.

– Existe-t-il une réflexion autour des problèmes urbains dans les grandes villes ?
– Notre pays produit beaucoup de plans, mais il y a peu d’actions. Il existe des réflexions autour de l’urbanisme à Alger par exemple, mais on ne réfléchit pas aux moyens d’application. Il faut en tout cas arrêter avec le système de dérogation et surtout sortir des politiques d’achat de la paix sociale.

Adlène Meddi

 


Bidonville Doudou Mokhtar, à Hydra

« Ils nous ont abandonnés et nous demandent de voter ! »

Le panorama n’est guère enchanteur : des eaux usées pestilentielles, fétides, stagnent dans les ruelles en terre, pourrissent sous la chaleur et attirent des nuées de moustiques.

Des baraques montées à base de parpaings, de planches et de tôles récupérées des décharges (sauvages) environnantes forment des blocs anonymes, qui n’ont aucune identité publique. Des antennes paraboliques se mêlent au décor qui n’a rien à envier à celui de Bardo, le plus grand bidonville d’Afrique situé au cœur de la ville portuaire de San Pedro en Côte d’Ivoire. Planté à Hydra, sur les hauteurs d’Alger, pas loin des quartiers résidentiels, des somptueuses villas et des salons de luxe qui en font sa réputation, le bidonville Doudou Mokhtar existe depuis l’indépendance et ne cesse de « grandir », amplifiant ainsi le risque de maladies. Erigé sur le lit d’un oued, il compte aujourd’hui plus de 800 baraques qui abritent quelque 3000 âmes. Leurs habitants sont inconsidérés, mal vus et traités comme des énergumènes, des bons à rien ou des « sous-citoyens ». On les surnomme « nas chkara hlib (les gens du sachet du lait) », allusion faite à leur vie de misère. Aussi, on dénomme le bidonville Mhatma (quelque chose à prendre par contrainte ou par absence d’autre choix). Entre les cahutes, des enfants jouent avec un ballon fait d’un tas de sachets et de tissus. Agés entre 7 et 15 ans, ces chérubins profitent ainsi de leurs vacances d’hiver. D’autres tiennent les murs d’une baraque servant de magasin d’alimentation générale. Mohamed Naâmi, âgé de 14 ans et habillé en haillons, ne cache plus sa joie d’être en vacances, non pas parce qu’il déteste l’école, mais parce qu’il est contraint de monter une pente à 45° pour atteindre son école primaire. « Venez ! Je vous montre le chemin que je me tape chaque matin pour rejoindre les bancs de l’école », insiste-t-il. L’école primaire se trouve sur une colline surplombant le bidonville, la ruelle y menant est boueuse et devient, comme en témoigne l’enfant, impraticable au temps des crues. En sixième année, le petit Mohamed raconte avec désolation la misère qu’il vit lui, ses cinq frères et son père, sa mère étant décédée. « Nous dormons entassés dans une pièce qui ne peut pas prendre un lit de deux places. Nous n’avons ni d’espace où mettre une table pour étudier à la maison ni où nous reposer tranquillement. Lorsqu’il pleut, notre pièce se transforme en lac, inhabitable donc. Les murs moisissent sous l’effet de l’humidité », raconte-t-il en baissant pudiquement la tête. A l’entrée nord de ce bidonville, on rencontre un homme en train de bricoler une vieille carcasse datant de l’époque de la Révolution agraire. Agé de 43 ans et père de 5 enfants, cet homme, qui s’appelle Belhadj Djillali, vit dans une hutte de deux pièces. « Je suis dans cet enfer depuis maintenant 8 ans. J’habitais Salembier (l’actuelle El Madania). Mais après le mariage, comme je n’avais pas de logement et n’avais pas non plus les moyens de louer, je me suis retrouvé ici », relate-t-il. M.Belhadj en a gros sur le cœur. Sans logement ni emploi, il en veut à mort aux autorités qui l’ont « abandonné » à son sort. « J’ai fait plusieurs dossiers pour le logement social sans que cela n’aboutisse. L’APC nous oriente vers la wilaya d’Alger laquelle rejette la balle, de son côté, aux autorités locales », souligne-t-il avec désolation. Les murs de sa baraque sont devenus noirs d’humidité et M.Belhadj dit avoir peur que sa fille de deux ans chope une maladie. Sa femme Zohra nous montre le petit carré lui servant de cuisine ; juste suffisant pour poser un fourneau de deux feux. « Nous n’existons pas. J’oublie que je suis au cœur de la capitale et à deux pas de Hydra », lâche-t-elle. A l’intérieur d’une baraque faisant office d’un magasin nous trouvons Adel, 36 ans, père de deux enfants. « Je suis ici depuis 6 ans. J’habitais à Bab El Oued avant de me marier. En 2001, j’ai postulé pour le programme de 20 000 logements AADL. En vain. Pour en bénéficier, il fallait que ton dossier soit appuyé par un haut placé. Moi, je ne connais personne pour m’aider. Les logements ont été donnés à ceux qui n’étaient pas dans le besoin », décrie cet employé du secteur touristique. Selon lui, l’APC de Hydra refuse de les reconnaître et leur demande de se rapprocher de la wilaya d’Alger. « Mais à l’approche des dernières élections, ils sont venus nous apporter nos cartes de vote comme si le seul droit dont on dispose est celui de voter. Ils nous prennent pour des cons », s’égosille-t-il. Boukhlef Samir, 34 ans, ancien habitant de Belcourt, y vit depuis 8 ans avec ses 4 enfants. « On a tapé à toutes les portes. Les services de la wilaya d’Alger sont venus à maintes reprises nous recenser, ils ont même établi des listes, mais aucune suite n’a été donnée. On en a marre de cette situation. Je n’ai pas envie que mes enfants grandissent dans un environnement pareil. C’est dangereux pour eux », lâche-t-il avant d’ajouter : « Nous ne demandons pas la lune. Nous souhaitons juste être dans un environnement plus ou moins supportable et convenable, loin de la promiscuité et de la saleté. Qu’ils nous donnent ne serait-ce que des chalets. » Le vœu de Samir est celui de la plupart des habitants de ce douar de misère. Mohamed Bouaza, 55 ans, invalide et père de 8 enfants, se trouve dans ce bidonville depuis maintenant 14 ans. Avant d’atterrir dans ce hameau de tous les maux, Mohamed vivait à Diar Chems, avant de louer un modeste appartement dans un quartier de Ruisseau. Lui, il parle de « misère noire ». « Ils nous ont donné des paquets de promesses. A chaque élection, ils viennent nous chanter leurs chansons. Après, on retombe dans l’oubli. Comme si on n’existe pas. Ils ne nous ont jamais écoutés. Leurs préoccupations sont ailleurs. Ils se fichent de notre sort. Pour eux, nous ne sommes qu’une populace importante uniquement pour le vote », fulmine-t-il. Selon lui, il y a ceux qui vivent dans « cet enfer », comme il aime à le qualifier, depuis 50 ans. C’est le cas de Mohamed Yeder, un retraité de 57 ans, qui vit ici depuis 1967. Il dit que deux de ses enfants sont mariés et vivent près de lui dans des baraques. « On m’a donné un document en 1984 pour soi-disant bénéficier d’un logement. Que du vent. Je n’ai rien eu depuis et ce ne sont pas les promesses des autorités qui manquent. Je me demande à qui va profiter le fameux programme d’un million de logements qu’on nous présente comme le programme du siècle », clame-t-il. La déception de Mohamed est grande. La souffrance des habitants de ce bidonville aussi. Abandonnés à leur sort, ils ne savent plus à quel saint se vouer.

M. A. O.

 


Oued Smar, la misère à l’ombre d’une zone industrielle

Haï Saliba 2, ancienne base de la Sempac, bloqué entre une gare de la SNTF et la tentaculaire zone industrielle de Oued Smar (est d’Alger), semble avoir retrouvé une certaine quiétude après les festivités de l’Aïd El Adha.

Ici vivent 105 familles. Les plus anciennes sont celles des travailleurs de cette entreprise qui y habitent depuis 16 ans. L’APC a ramené ensuite des familles sinistrées suites aux tremblements de terre. Il y a aussi les « indus occupants » qui espèrent avoir un logement. Sofiane Khattab, 31 ans, marié, deux enfants à charge, nous apostrophe. Il a un emploi, mais vivre dans cet endroit le plonge dans un malaise : « Comment peut-on être bien en vivant sous le ternit ? On souffre autant en hiver qu’en été. Les paraboles sont notre unique moyen d’évasion. Tout le monde attend un toit. Dans notre vie, il n’y a rien de spécial à raconter. Tu te lèves le matin pour aller travailler et tu retournes le soir pour dormir et voir le train passer. Les autorités connaissent notre situation. Il paraît que deux propriétaires revendiquent l’assiette foncière qui reste en litige. » Heureusement que la majorité travaille. Ishak, 17 ans, stagiaire en mécanique, a soif de vivre pleinement mais se sent enfermé dans sa misère. « C’est la routine, quand il y a un match on va jouer ou on s’entraîne à l’OC Beaulieu. » Il habite, pour employer ses propres termes, « dans d’autres baraques de Oued Smar. Notre nom est sorti dans la liste des bénéficiaires de logements mais nous attendons toujours… Je rêve d’aller jouer au football en Europe et devenir une vedette internationale ». Cependant, il « déconseille aux jeunes d’aller sur les traces des harraga, happés par le mirage du Nord où personne ne les attend, ceux qui ont tenté l’aventure n’ont pas échappé à la mort et ceux qui ont réussi ont été refoulés ». Nous l’interrogeons : pourquoi partent-ils ? « Ils haïssent le pays, ils n’ont rien, ni travail ni espoir de changement. S’ils avaient les moyens de s’émanciper ou de s’épanouir, pourquoi ils le feraient ? Mais ce n’est pas une solution à moins de partir avec des papiers en règle. » Un autre jeune va au bout de sa pensée : « Les jeunes sont totalement marginalisés. A 22 ans, ils sont hittistes et s’adossent aux murs. Ils sont généralement sans emploi ni revenu fixe. » Pour oublier le quotidien, Ishak supporte le MCA : « Je vais voir ses matches lors des grandes confrontations, la dernière a été le duel sportif MCA-USMA au stade du 5 Juillet. Quel bonheur de voir les buts de Badji et Younès. » Les habitants reconnaissent que des fléaux sociaux ont fait leur apparition. Dans les quartiers populaires et surtout dans les bidonvilles, « 75% des jeunes Algériens consomment de la drogue (zatla). La promiscuité et les soucis au sein des familles les poussent tout droit vers ce chemin. La zatla et les comprimés se trouvent plus facilement en Algérie que le pain », nous dit-on. Les jeunes des bidonvilles sont visiblement mal à l’aise dans la société et souffrent du vide. « A notre époque, à 15 ans, nous ne voyions pas la drogue de nos propres yeux. Aujourd’hui, des adolescents entre 14 et 15 ans vendent ces substances consommées par des jeunes poussés au repli, à la lassitude ou au désespoir. Si tu attends que l’APC vienne te donner un logis, tu te goures : il ne faut même pas t’y attendre même dans tes rêves. Il y a aussi le phénomène des intrus qui viennent construire une baraque et bénéficient d’un F3 alors que des dossiers dorment dans les tiroirs », précise Sofiane. Il y a une profonde crise de confiance entre la population en général et l’Etat. Boukhalfa Mustapha, marié, un enfant, attire notre attention sur le fait que ce bidonville n’a pas d’eau potable. « Les nouveaux élus (FLN, MSP) ont promis de faire ‘’rentrer’’ l’eau dès janvier. Jusqu’à ce jour, il faut aller à Naftal pour se ravitailler. Il y avait une citerne mais au bout d’un certain temps, un médecin a demandé à l’enlever car elle ne répond plus aux normes d’hygiène. Après une journée de travail, on veut prendre au moins une bonne douche et quand on trouve des bidons à remplir devant la porte, on a franchement envie de leur donner des coups de pied sous l’emprise de la colère. Il y a par contre l’électricité. Chaque locataire a son propre compteur. » Il y a aussi le problème de transport : « Un enfant de 6 ans peut-il prendre seul le train ? Et s’il glisse ? Les parents ne peuvent pas s’en occuper continuellement », ajoute-t-il. Pour arriver au travail, certains sortent à 5h30, marchent jusqu’à Oued Smar (3 km). A Haï Saliba 2, la terre en remblai n’est pas couverte de goudron. Quand le train passe, tout vibre, y compris les convictions de cette frange de la population qui veut encore croire au miracle. Mais elle sait aussi qu’il faut plus qu’un miracle pour se voir reconnaître le droit d’avoir une vie décente.

Kamel Benelkadi