Dispositif ANSEJ: Le mirage de la poule aux œufs d’or

Dispositif ANSEJ

Le mirage de la poule aux œufs d’or

Liberté, 8 mai 2018

Le fonds spécial a indemnisé à hauteur de 25 milliards de dinars (217,9 millions de dollars) des établissements bancaires ayant accordé des crédits aux jeunes.

Plusieurs entreprises créées dans le cadre de l’Ansej s’endettent et périclitent, avant de disparaître. Du reste, on estime à 10%, le taux de mortalité des entreprises Ansej, selon des statistiques officielles fournies par le ministère du Travail. L’État aura ainsi sur les bras l’énorme inventaire des sociétés en difficulté dont il aura à gérer les dettes cumulées.
Il aura, en fait, fort à faire avec ce casse-tête particulièrement ardu, surtout que ses bras financiers (la rente pétrolière) ont déjà commencé à flancher sérieusement. Ainsi, en situation de crise, il utilise ce qu’il a sous la main, faisant appel au fonds spécial dont l’objectif est d’encourager les banques à prendre des risques en finançant des microentreprises portées par de jeunes promoteurs. Le fonds est déjà intervenu en faveur de milliers de projets en difficulté.
Des indications ? L’organisme a indemnisé à hauteur de 25 milliards de dinars (217,9 millions de dollars) des établissements bancaires ayant accordé des crédits aux jeunes. Samira Djaide, directrice de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej), s’est exprimée, récemment, sur le sujet, affirmant que ces banques ont financé près de 21 193 projets qui n’ont pas pu faire face aux difficultés et qui ont fait faillite.
De fait, l’idée selon laquelle l’Ansej est une poule aux œufs d’or est un mirage pour de nombreux jeunes promoteurs. Cela n’enlève cependant en rien au fait qu’il y a des entreprises qui ont vu le jour dans le cadre de ce dispositif et qui ont bien réussi. Il convient, toutefois, de ne pas perdre de vue que plusieurs entreprises continuent encore à avancer dans le brouillard. L’État leur propose le rééchelonnement des dettes, c’est-à-dire la réduction du montant de la dette avec un prolongement de la durée de remboursement.
Le calendrier de rééchelonnement a été récemment modifié. Ainsi, les entreprises en difficulté auront jusqu’à juin 2018 pour épurer le leur. Des contacts ont été engagés avec les jeunes entrepreneurs en difficulté et les banques. Des études au cas par cas sont en train de se faire pour, dit-on, régler tous les contentieux en lien avec la dette contractée par des jeunes entrepreneurs.
La réalité est très complexe, en fait, pour de nombreuses entreprises. Mais beaucoup d’experts regrettent de l’avoir vue noyée dans un amas de chiffres. Et des chiffres, le ministère du Travail en donne à foison. Ainsi, il est question d’atteindre les 300 000 petites entreprises dans les secteurs générateurs de valeur ajoutée à l’économie nationale. Depuis la mise en place du dispositif Ansej, et jusqu’à fin 2017, quelque 370 000 projets ont été financés par l’Agence. En 2018, 29 605 projets de microentreprises le seront. Par ailleurs, 36% des projets financés durant les neuf premiers mois de 2017 concernent le secteur de l’agriculture, plus de 13% ont trait à l’industrie et 10% au secteur du bâtiment, des travaux publics et de l’hydraulique.

Youcef Salami


CONSTANTINE

Plus de 50% des microentreprises Ansej ont échoué

Le taux de création des microentreprises a baissé de près de 80% depuis 2015. C’est ce que nous a révélé, hier, une source proche de l’Agence nationale de soutien à l’emploi de jeunes (Ansej), à Constantine. “Le nombre de demandeurs auprès de l’Ansej a connu une régression très importante dans toutes les wilayas du pays”, précise encore notre source. Et d’ajouter qu’à Constantine, le nombre de microentreprises a baissé de plus de 32% en 2017, par rapport à l’année 2016. En effet, les jeunes ne font plus confiance à l’Ansej, selon notre interlocuteur.
Un dispositif qui, rappelons-le, a été mis en place en 1996 dans l’objectif d’aider les jeunes à créer leur propre entreprise, d’une part, et de faire face au chômage, d’autre part. Aujourd’hui, à plus forte raison, puisque “8 600 chefs de microentreprises créées par le biais de l’Ansej sont poursuivis en justice”, ajoute notre source. Des experts en économie, qui ont requis l’anonymat, reprochent, en effet, aux responsables de ce dispositif “la mauvaise gestion”. “Il manque l’étude d’intégration des projets dans le tissu économique, un délai étudié du remboursement et du lancement du projet, sans oublier des accompagnateurs non qualifiés”, nous affirme un professionnel du secteur. Et de poursuivre : “Pour toutes ces raisons, on se retrouve devant des projets qui manquent de maturation.” Il explique : “Les accompagnateurs des jeunes porteurs de projets ne sont pas formés pour encadrer et ils n’ont pas l’expérience nécessaire pour ce genre d’encadrement. C’est juste une procédure administrative en l’absence d’une étude des risques de faillite qui doit être prévisible pour tout projet.” Pour notre interlocuteur, le nombre de poursuites judiciaires enregistrées jusqu’au mois de janvier dernier (plus de 8 000 dossiers) est une preuve de la défaillance enregistrée dans l’application du dispositif de l’Ansej. Contactés hier, quelques bénéficiaires du dispositif nous ont affirmé qu’ils se sont, pour ainsi dire, retrouvés “coincés”. “J’ai bénéficié d’un financement d’un projet pour la création d’une microentreprise spécialisée en informatique, mais le projet n’est pas rentable et je me retrouve avec des dettes”, déplore Amine, 30 ans. “Le lieu a été mal choisi, et le représentant de l’Ansej m’orientait juste par téléphone, je ne l’ai rencontré qu’une fois durant la réalisation de mon projet”, explique-t-il, tout en regrettant le fait qu’il se retrouve à la case départ après 5 ans du lancement de son projet, en plus des mises en demeure envoyées par la banque.
Pour élever le taux des projets, les responsables locaux de l’Ansej ciblent les diplômés universitaires. Ces derniers vont se retrouver dans la même situation, avec des projets non rentables et des dettes, puisque la gestion de ces projets et l’encadrement de leurs porteurs demeurent toujours les mêmes, selon des sources proches de ce dossier. Ces derniers nous ont, en effet, révélé que le taux des projets financés par l’antenne de l’Ansej à Constantine, destinés aux universitaires, ne dépassent pas les 11%. Par ailleurs, 70% des microentreprises financées par l’Ansej entre 2011 et 2016 sont “inexistantes” sur le terrain. “Les bénéficiaires ont quitté le pays sans rembourser les prêts”, nous affirme notre source.
Notons que les responsables de l’antenne de wilaya de l’agence ont refusé, hier, de nous communiquer les chiffres. “Nous avons reçu des instructions de la tutelle pour ne communiquer aucune statistique relative à nos activités à la presse”, nous a déclaré la chargé de communication de l’Ansej à Constantine.

Souheila B.


Promoteurs Ansej, Cnac et Angem de la wilaya de Tizi Ouzou

“Nous voulons une solution durable”

Les concernés ont décidé, depuis avril 2016, de geler tous les remboursements des crédits bancaires et les PNR, ainsi que les paiements des impôts et les cotisations Casnos jusqu’à l’aboutissement de leurs revendications.

“Les pouvoirs publics n’ont affiché, jusque-là, aucune réelle volonté de régler le problème posé par les promoteurs Ansej, Cnac et Angem. Le rééchelonnement qu’ils proposent ne constitue qu’un traitement symptomatique du problème. Or, ce que nous demandons est une thérapie de fond à travers une amnistie générale.” C’est en ces termes que Yacine Guellal, secrétaire général du Collectif d’appui à la microentreprise (Came), à Tizi Ouzou, résume la situation conflictuelle qui oppose les promoteurs des microentreprises à l’État depuis plusieurs années. À travers cette amnistie générale, les promoteurs des microentreprises créées dans le cadre des trois dispositifs Ansej, Cnac et Angem ne réclament pas, selon Yacine Guellal, des mesures d’assistanat — qui serviraient plus à l’achat de la paix sociale pour une courte durée — mais plutôt des mesures d’accompagnement qui rendraient économiquement viables ces milliers de microentreprises en difficulté sur le territoire national. “Aujourd’hui, plus de 90% des 1 300 000 microentreprises créées sur le territoire national depuis la mise en place de ces dispositifs sont en difficulté. L’objectif initial de ces dispositifs, à savoir l’éradication du chômage et la création de richesses, ne peut être atteint avec l’état actuel de ces microentreprises devenues un nouveau champ de vulnérabilité pour les jeunes”, nous explique le représentant du collectif, non sans rappeler que ces promoteurs ont décidé, depuis avril 2016, de geler tous les remboursements des crédits bancaires et les PNR, ainsi que les paiements des impôts et les cotisations Casnos, jusqu’à l’aboutissement de leurs revendications. Parmi les revendications exprimées par ces promoteurs figurent, en premier lieu, l’arrêt de toutes les poursuites judiciaires et l’assainissement du passif de ces microentreprises. Plus concrètement, et au titre de l’amnistie générale, le Came réclame, entre autres, la prorogation des délais de remboursement, la bonification des taux d’intérêt à 100% avec effet rétroactif, la suppression des pénalités de retard et l’instauration d’un régime fiscal et parafiscal propre à la microentreprise.
Au titre de l’amélioration de l’environnement de travail, le collectif réclame, selon M. Guellal, la réglementation de la sous-traitance, l’accès des microentreprises aux marchés publics et leur accès au foncier. “Il s’agit là de l’ordonnance que nous prescrivons pour faire sortir la microentreprise de cette asphyxie économique qui n’est ni dans l’intérêt des promoteurs ni dans celui de l’État en cas de fermeture de toutes ces petites entités économiques”, estime Yacine Guellal.
Il est à noter que les promoteurs de la microentreprise de Tizi Ouzou viennent encore de lancer un appel à un rassemblement devant le siège de l’Ansej, qui sera suivi d’une marche vers celui de la wilaya, le 14 mai prochain, pour faire entendre, à nouveau, leurs revendications.

Samir LESLOUS