Les banques transformées en police commerciale

Loi de finances complémentaire

Les banques transformées en police commerciale

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 8 août 2009

Certaines dispositions de la loi des finances complémentaire (LFC) 2009 suscitent une vive polémique chez les opérateurs. Une note adressée aux banques devrait les soulager au sujet des opérations entamées avec la promulgation de la loi. Pour l’avenir, tout reste incertain.

Une note, datée du 4 août 2009, signée conjointement par le secrétaire général du ministère des Finances et le secrétaire général de la Banque d’Algérie, apporte des précisions sur les modalités de mise en oeuvre de certaines dispositions de la loi des finances complémentaire. Les banques commerciales sont ainsi enjointes, «concernant particulièrement les importations de biens, de continuer à prendre en charge les opérations d’importations des biens en cours, initiées avant la date de la signature de la présente note, documents de transports faisant foi».

En clair, les opérations engagées avant la promulgation de la LFC doivent être traitées conformément aux dispositions qui prévalaient avant l’ordonnance 09-01 du 22 juillet 2009 publiée dans le Journal officiel du 26 juillet 2009. Chat échaudé craignant l’eau froide, cela signifie que les dispositions de la LFC ne sont pas rétroactives. On s’évite ainsi une controverse bien inutile sur le champ temporel d’application d’une mesure légale. On ne revient pas sur ce qui était déjà engagé. Cela soulagera sans doute les opérateurs concernés, mais cela ne résoudra pas les problèmes à venir.

Les nouvelles dispositions en matière de commerce extérieur sont en effet particulièrement contraignantes. Le crédit documentaire sera désormais le seul mode de règlement autorisé pour les opérations d’importations. L’article 66 de la LFC souligne que les banques sont dans l’obligation «d’exiger pour l’accomplissement des formalités bancaires afférentes aux opérations d’importations, la présence du titulaire du registre de commerce ou du gérant de la société importatrice». De surcroît, l’article 63 de la même LFC instaure une taxe de domiciliation bancaire fixée à 3% du montant de domiciliation pour les importations de services, au même titre que les marchandises. La taxe de domiciliation bancaire ne concernait auparavant que les importations de marchandises destinées à la revente en l’état. La taxe est acquittée au tarif de 10.000 DA pour toute demande d’ouverture d’un dossier de domiciliation d’une opération d’importation de biens ou marchandises.

Encadrement bureaucratique de l’économie

Ces dispositions sont l’expression d’une volonté de contrôler et, si possible, de restreindre des importations dont la croissance irrésistible est devenue source d’inquiétude en période de prix bas des hydrocarbures. Si la préoccupation est parfaitement justifiée, les moyens légaux destinés à juguler les importations se situent résolument dans la tradition, peu probante, d’encadrement bureaucratique de l’économie. Pour des spécialistes, le recours au crédit documentaire, méthode onéreuse et en voie d’extinction à travers le monde, n’est pas par définition le mode de paiement le plus apte à permettre un contrôle des importations.

La remise documentaire, moins chère et plus souple, n’est pas moins susceptible de permettre le suivi opérationnel des opérations de commerce extérieur. L’effet le plus direct de cette obligation est d’enrichir les banques étrangères, ravies de prélever les juteuses commissions inhérentes à ce type de transactions. Il faut savoir, en effet, que le crédit documentaire, forme codifiée de transaction commerciale internationale, implique l’engagement des banques de l’importateur et de l’exportateur. Cela signifie un traitement et donc un coût plus élevé que les opérations de remises documentaires ou d’effets libres. Les importateurs doivent, dès l’ouverture du crédit documentaire, bloquer sur leurs comptes tout ou une partie du montant de la transaction. Les banques locales qui s’engagent à couvrir l’importation cherchent à être couvertes et cela entraîne une immobilisation des fonds. Les banques à l’étranger qui couvrent l’exportateur et garantissent son paiement prélèvent la part la plus importante des commissions. En définitive, cela renchérit le coût des importations qui est payé, in fine, par les consommateurs.

Les banques à la place du fisc ?

Outre cette question de crédit documentaire, ce qui retient l’attention est que la LFC donne aux banques commerciales un rôle de police commerciale qui relève partout ailleurs sur la planète de l’administration fiscale et des structures chargées de délivrer les registres de commerce. Il appartient en effet à l’Etat et à ses institutions – fisc, justice – de s’assurer que les responsables nominaux des sociétés commerciales en sont bien les responsables effectifs. Qu’est-il donc demandé aux banques en l’occurrence ? De s’assurer de l’identité des gérants ou de leur réelle capacité de dirigeants ? De ralentir les opérations d’importations en conférant au banquier d’inutiles capacités de vérification ? S’agit-il d’une mesure punitive contre ces gestionnaires contraints à se présenter systématiquement devant leur banquier à chaque ouverture de crédit documentaire ? S’il est question d’empêcher le recours aux prête-noms et aux hommes de paille qui ont fait la triste légende des sociétés d’importation, la mesure est, pour le moins, décalée. Comment envisager que le responsable d’une entreprise de distribution ou de production qui importe des intrants passe une partie de son temps dans le hall d’une agence bancaire pour vérification d’identité ? Cette disposition générale sera-t-elle assortie d’exemptions ? Il semblerait logique qu’une distinction soit opérée entre les importateurs-distributeurs et les entreprises de production qui importent des composants. Cela dit, on voit mal les gérants d’entreprises du secteur industriel ou minier faisant le pied de grue devant les comptoirs, en général peu accueillants, des banques. Il s’agirait ni plus ni moins que d’une incitation directe à la mauvaise gestion. Mais rien n’empêchera le contournement de cette disposition: il suffira de nommer un cogérant préposé à la corvée d’ouverture des crédits documentaires… Quel que soit le biais par lequel on tente de la saisir, l’exigence de présence physique du titulaire du registre de commerce ou du gérant pour toute opération d’importation est donc parfaitement ubuesque.

Une fausse bonne idée par excellence

Cette disposition, fausse bonne idée par excellence, traduit avant tout l’affolement circonstanciel devant un phénomène ancien: celui du gonflement de la facture des importations. La chute des prix du pétrole dévoile, il est vrai, le poids grandissant des importations et évoque des situations antérieures que nul ne souhaite revivre. La propension à l’importation est la caractéristique la plus évidente des économies rentières. Ces économies dépendent d’une mono-exportation et sont asservies aux importations pour la satisfaction de quasiment tous leurs besoins. Renverser la tendance et inaugurer le cercle vertueux de l’investissement et de la production locale nécessite autre chose que des mesures de rétorsion légale ou réglementaire. D’autres moyens, comme les barrières non-tarifaires peuvent contribuer à comprimer les importations. D’autres pays, y compris les plus avancés, appliquent ces stratégies. Mais seule une politique économique s’appuyant sur des institutions opérationnelles et une administration efficace peut répondre au défi de la dépendance. Ce n’est pas en transférant aux banques des responsabilités de contrôle juridique hors de leur domaine de compétence que l’on parviendra à sortir de cette vieille impasse. La mesure apparaît ainsi pour ce qu’elle est: une mauvaise réponse à une bonne question. Elle conforte l’impression générale d’illisibilité de la politique économique. Confondre l’effet – les importations – et la cause – les structures de l’économie – mène forcément à des choix contestables et incorrects.