Yacine Ahmed, l’accusé élu manager de l’année 1999

Yacine Ahmed, l’accusé élu manager de l’année 1999

Yacine Ahmed, PDG de Digromed est accusé, entre autres, d’association de malfaiteurs et vol qualifié.

El Watan, 31 janvier 2007

Durant plus de deux heures, Yacine Ahmed persiste à affirmer que le placement des fonds de Digromed à El Khalifa Bank était uniquement dans le souci majeur de faire sortir l’entreprise d’une crise dont l’origine est le blocage par le fisc de tous ses comptes au CPA, soit 850 millions de dinars « en dépit d’une décision de justice et d’une instruction du chef du gouvernement ». Les montants placés à El Khalifa Bank sont de 375 millions de dinars. Il explique qu’après le blocage des comptes de Digromed, en 2001, il a chargé son directeur des finances et de la comptabilité (DFC) de prospecter auprès des banques pour voir une meilleure possibilité de placement à des taux préférentiels, d’autant que la CNMA ne voulait plus accorder plus de 10% pour les 325 millions de dinars que la société lui a confiés. « Les offres d’El Khalifa étaient intéressantes. Nous avons même ajouté deux conditions, la première est que la banque ne doit pas revoir le taux à la baisse quels que soient les motifs, et la seconde est, même si la société décide de faire un retrait par anticipation, elle garde le taux d’intérêt. El Khalifa a accepté. Nous avons signé la convention en septembre 2001. Nous avons eu un taux de 10,5%. Nous avons ouvert un compte courant et un sous-compte du compte principal de Digromed, pour le dépôt à terme comme le veut la procédure…. », explique l’accusé. La présidente : « Le 6 décembre 2001, quelle somme avez-vous déposée ? ». L’accusé : « 50 millions de dinars ». L’accusé jure que les seules motivations qui l’ont poussées à placer ces fonds sont celles qu’il a énoncées. « Pourquoi ne vous êtes-vous pas assuré de la bonne santé financière de la banque en exigeant ses bilans, par exemple ». L’accusé : « Il ne m’est jamais venu à l’esprit que cette banque avait un problème. Elle était agréée. Je n’ai peut-être pas été assez intelligent en pensant que la loi est au-dessus de tout. » La présidente : « Justement, après le problème avec le CPA vous auriez pu être plus vigilant. » L’accusé se tait. La magistrate demande à ce dernier s’il connaissait Djamel Aziz. « Je l’ai vu lorsque j’avais demandé une ligne d’aval. Il m’avait dit que cette ligne était du ressort du PDG. Il m’a pris rendez-vous avec lui et j’ai été le voir à Hydra. Il y avait le PDG, Krim Smaïl et Djamel Aziz. L’accord m’a été donné. » La juge interroge l’accusé sur la convention avec Khalifa Airways et El Khalifa Bank, concernant les soins au centre médico-social de Digromed. « Le fonctionnement de ce centre nous coûtait, chaque année, 9 millions de dinars. Il fallait le rentabiliser et diversifier ses activités. Nous avons négocié une convention de soins avec le personnel de Khalifa Airways et d’El Khalifa Bank, à raison de 2000 DA par personne. Le coût global de cette convention est de 10 millions de dinars par an. Cette convention n’a pas été respectée. Une cinquantaine de personnes se sont présentées pour les soins, mais aucun sou n’a été versé. » La présidente demande à l’accusé de revenir sur la troisième convention signée cette fois-ci avec KGS (Khalifa groupe santé). Selon lui, celle-ci est intervenue très tard, sur proposition de Farid Benhamdi, patron de KGS, dans le but d’importer et de distribuer les médicaments qui sont très demandés sur le marché. « Malgré le fait que nous sommes une société publique, il nous est interdit d’importer et nous sommes à chaque fois obligés de passer par des importateurs pour commercialiser les médicaments. KGS s’est proposé d’importer et nous de stocker et de distribuer, mais en ne transférant les revenus de la vente qu’une fois celle-ci réalisée. Dans cette opération nous avons bénéficié d’un lot d’équipements médicaux neufs de 22 millions de dinars. » La présidente : « Et les 200 millions de dinars ? » L’accusé : « J’ai retiré 204 millions de dinars sans les intérêts. » La présidente revient sur la quatrième convention. Celle relative à la formation d’un montant de 8,4 millions de dinars. « La compagnie a payé avec un retard de sept mois, par chèque encaissé à El Khalifa Bank. Il s’agit de six cycles de formation de groupes de 25 personnes, assurés par sept professeurs, dont moi-même », explique Yacine Ahmed. A propos de ses deux enfants, Nadir a, selon lui, quitté Khalifa Airways pour un meilleur poste, alors que Karim n’a jamais exercé à Khalifa Construction malgré le fait qu’il ait insisté pour avoir un contrat. Sa deuxième épouse, qui travaillait à KRC, a, quant à elle, acheté un appartement à Paris pour 385 000 FF, en 2001. Elle était médecin à Digromed. 200 millions de dinars de pertes sèches Ce sujet est revenu à plusieurs reprises dans les questions du procureur général, l’accusé se montre catégorique. « Ce bien a été acheté par mon épouse », clame-t-il. « Et la maison à Saïd Hamdine ? », demande la présidente. L’accusé : « C’est une maison que j’ai achetée en 2001, avec un prêt de la Cnep. J’ai vendu un terrain à El Achour, un logement à Kouba et un autre terrain à Bordj El Kiffan. » La juge : « Et celle de Tigzirt ? » L’accusé : « C’est une maison familiale qui appartient à mes frères et sœurs. » Le procureur général l’interroge sur la villa à Saïd Hamdine. « J’ai loué un étage à un étranger. Celui-ci a créé une société dans laquelle il m’a introduit en contrepartie du loyer », déclare-t-il. « C’est la société Savelor qui faisait dans la location d’engins et qui s’est transformée après en Savelor Airways, de location d’avions ? », demande le représentant du ministère public. L’accusé : « A l’époque, il y avait la lutte antiacridienne. Mais c’était après mon départ de Digromed, en juillet 2004. Il a loué auprès des Italiens 8 avions et 3 hélicoptères qu’il a sous-loués au ministère de l’Agriculture à raison de 1500 euros par heure et par appareil. » La présidente revient sur la somme retirée de l’agence d’El Harrach. « Je n’ai rien pris à part le retrait d’un chèque de 4,2 millions de dinars représentant les prestations de la formation. » A propos de la Mastercard, il affirme qu’il a ouvert un compte personnel avec une somme de 1500 dollars US, qu’il a utilisée une seule fois, et qu’il reste créditaire de 300 euros à la banque. Le procureur l’interroge sur les titres de voyage gratuits dont il aurait bénéficiés. « Jamais. Le PDG de Khalifa voulait élargir la formation vers d’autres villes du pays, j’ai demandé une réduction de 50% sur les billets d’avion pour pouvoir me déplacer, ils me l’ont accordée. » Le procureur fait savoir à l’accusé qu’il a bénéficié d’une carte de gratuité ainsi que six de ses enfants. « Mon sixième enfant, né de ma deuxième épouse, est venu bien après. Il ne peut être comptabilisé », dit-il. Il nie totalement avoir déclaré au juge qu’il a bénéficié d’une telle carte et explique les aveux lus par le procureur d’erreur dans la traduction. « Vous aviez vos deux avocats à vos côtés », précise le magistrat. L’accusé : « S’ils étaient compétents, je ne serais pas là. » Déclaration très mal perçue par la défense. L’accusé se ressaisit. Il demande pardon. A propos du salaire qu’il avait en tant que PDG, l’accusé répond : « Entre 80 et 120 000 DA. » La présidente demande alors à l’accusé le montant de la location de son étage de villa à Saïd Hamdine. « Au début, c’était 10 000 DA » , dit-il. La présidente lui fait savoir que ce montant est celui déclaré, mais en réalité la location était de 150 000 DA par mois. « Cet étage n’était que le siège de la société qui ne m’appartenait pas. C’est le Français, marié à une Algérienne, qui gérait. Je n’ai versé aucun sou au titre de capital social. On s’est arrangé pour que mon entrée dans la société se fasse en contrepartie du montant de la location. Pour l’opération des avions, c’est lui qui a soumissionné et négocié le contrat avec le ministère de l’Agriculture qui, une année après, a donné le marché à Tassili Airlines. » A propos de la ligne d’aval qu’il a demandée à El Khalifa Bank, l’accusé déclare qu’elle était à hauteur de 310 millions de dinars. « Pourquoi partir jusqu’à El Harrach et ne pas s’adresser aux agences de Khalifa situées à Hydra, non loin du siège de Digromed ? », demande la magistrate. L’accusé : « Je ne savais pas qu’il y avait des agences juste à côté. » Il reste formel quant au montant laissé en ardoise chez El Khalifa Bank. Selon lui, il est de 200 millions de dinars, dont les 36 millions de dinars d’intérêts, alors que le procureur général affirme qu’il est de 236 millions de dinars. Une plainte a été déposée contre El Khalifa Bank pour ce dommage. « Une action au civil par une plainte au pénal », précise le procureur général. L’accusé reconnaît que la convention pour la formation lui consacre 30 à 40% du montant global et non 80% comme l’a souligné le ministère public, soit 4,5 millions de dinars. La présidente appelle à une confrontation avec Djamel Aziz. « Vous avez dit que Ahmed Yacine était venu pour encaisser un chèque », dit-elle. L’accusé : « Il avait un chèque Khalifa Airways. Il avait un compte personnel à l’agence », déclare-t-il. Les questions de la défense de Ahmed Yacine sont axées sur la formation que ce dernier avait pour habitude d’assurer, notamment lors des séminaires avec l’ISGP, l’ENSAG et autres grandes universités. L’accusé apprend à l’assistance qu’il a été élu manager de l’année, en 1999. L’audience reprend aujourd’hui avec les auditions des autres directeurs d’agences.

Salima Tlemçani