Une banque factice et des faux en pagaille

Deuxième jour du procès Khalifa au tribunal de Blida

Une banque factice et des faux en pagaille

El Watan, 10 janvier 2007

Au rythme où se déroulent les débats au tribunal criminel de Blida, le procès Khalifa, qui s’est ouvert lundi, risque de durer au moins deux semaines.

Au deuxième jour du procès, seulement un prévenu, le notaire Omar Rahal, et l’accusé Djamel Guellimi, inspecteur général de Khalifa Airways, puis patron de Khalifa TV en France, ainsi que le témoin Omar Guellimi se sont succédé à la barre. Le notaire, peut-être de par son âge avancé et son état de santé qui a nécessité tout au long des trois heures de questions réponses une chaise et de l’eau minérale, a reconnu avoir rédigé les statuts et les actes constitutifs de la société par actions (SPA) El Khalifa Bank en 1998 sans se rappeler si tous les actionnaires étaient présents à la signature. Personne n’a protesté. Ce qui voudrait dire qu’ils ont tous signé. Ils ne sont peut-être pas venus ensemble, mais ils ont ramené les procès-verbaux de la création de la SPA avec un capital de 500 millions de dinars », ne cesse-t-il de répéter à la juge. Celle-ci lui rappelle qu’il s’agit de la création d’une banque, qui obéit à la réglementation bancaire et au code du commerce et non pas uniquement au code du commerce. « De plus, il n’a pas libéré le cinquième du capital tel que prévu par le texte. Il a déposé une somme de 8,5 millions de dinars seulement. De plus, c’est au comité du crédit et de la monnaie de définir le montant du capital d’une banque et non pas vous en tant que notaire. Vous n’avez pas respecté la réglementation bancaire. » Le prévenu persiste à déclarer que la banque est une entreprise commerciale qui obéit aux dispositions du code du commerce. La présidente revient à la charge. « Vous avez rédigé le changement du statut de la SPA sans l’accord de la Banque d’Algérie. » Le notaire répond : « C’était une cession des parts entre les associés. J’ignorais qu’il fallait une autorisation. » Déclarations qui font réagir la magistrate. « Vous êtes notaire, vous ne pouvez pas ignorer la loi. Cette somme est la garantie obligatoire qui permet aux clients d’être remboursés en cas de faillite. Si vous aviez respecté la loi, les Algériens auraient eu leur argent. » Elle l’interroge alors sur l’origine des fonds ramenés par Abdelmoumen lors de la création de la banque. Le prévenu ignore. Elle lui explique que cet argent est le fruit d’un acte d’hypothèque de deux villas de la famille Khalifa, qui ont servi pour avoir un crédit auprès de la BDL Staouéli. « Je ne suis pas au courant. Je l’ai appris chez le juge. Je n’ai jamais signé cet acte. J’étais en déplacement à l’étranger à cette époque. » La magistrat le conforte dans sa réponse en lui disant que l’expertise établie par le laboratoire de la sûreté nationale a montré que le document comportait le cachet du notaire, mais pas sa signature, laquelle a été imitée. La magistrate revient encore sur El Khalifa Bank. « En 2000, Moumen a mis 20 millions de dinars pour la création des filiales. Savez-vous d’où il a ramené ces fonds ? » Le notaire répond en disant non. Elle lui lance : « D’El Khalifa Bank . Oui, toutes les filiales ont été financées par El Khalifa Bank. » Le ministère public l’interroge sur les noms des associés. « Amirouchène Nadia, épouse de Moumen, Kebbache Ghazi, son oncle, et Guellimi Omar, le père de Djamel, Abdelmoumen et son frère Abdelaziz », dit-il. Le procureur insiste sur la question relative à la présence ou non de l’épouse de Moumen.
« C’est toi qui as signé » Le notaire répond par l’affirmative. Non convaincu, le procureur lui demande si Lakhdar Khalifa et sa femme ont signé personnellement les actes constitutifs. Le notaire semble déstabilisé. Il persiste à répondre par l’affirmative. « Tu as rédigé et signé 8 des 10 entités de Khalifa et aucune n’est légale… Même les droits d’enregistrement n’ont pas été payés. » Le prévenu persiste dans ses déclarations, à savoir qu’il s’agit de sociétés commerciales qui obéissent au code du commerce. « Aucune loi n’interdit d’être actionnaire dans plusieurs sociétés », lance-t-il. La présidente lui fait savoir que la sœur de Moumen vit au Maroc et n’est jamais venue en Algérie. « Elle n’a jamais contesté la signature », lui dit-il. Elle lui demande la superficie du local qui sert de siège social à El Khalifa Bank. Il répond : « 120 m2. » A 12h30, l’audience a été levée pour reprendre à 14h30 avec l’audition de Djamel Guellimi, accusé concerné par la prise de corps. Il précise qu’il était clerc du notaire Rahal entre 1991 et 1993. Une durée qui diffère de celle révélée par le notaire qui a déclaré que Guellimi a travaillé avec lui jusqu’en 1996. L’accusé hésite pendant longtemps à révéler sa relation d’enfance avec Abdelmoumen Khalifa. Il ne cesse de répéter qu’il n’a aucune relation de travail avec Moumène. « C’est toi qui as proposé ton père pour qu’il soit parmi les actionnaires de la banque Khalifa. » Ce que l’accusé réfute. « Issir Idir Mourad, directeur de la BDL Staouéli, a révélé que c’est toi qui as signé en sa présence le faux acte d’hypothèque des deux villas et, sur cette base, la banque lui a octroyé un crédit. » L’accusé persiste à nier en expliquant qu’il était de passage au bureau du notaire ce jour-là et que c’était par hasard qu’il a trouvé Abdelmoumen et le directeur de la BDL de Staouéli. « Je n’ai jamais signé d’acte. Ce n’est qu’un bordereau qui n’a aucune valeur juridique. Ce n’est qu’en 2005 que j’ai su que cet acte était faux. » A la question relative aux postes qu’il a occupés au sein d’El Khalifa Bank : « Aucun ! », lance-t-il. « L’assistante et secrétaire de Abdelmoumen dit que vous étiez son chef de cabinet et que vous receviez toutes les personnalités qui défilaient dans son bureau à Hydra. » « Ce n’est pas vrai. J’avais un poste en France, je ne pouvais pas être à Alger », précise-t-il. Il fait savoir qu’il était inspecteur général de Khalifa Airways à Paris. « Qui a servi d’intermédiaire pour le recrutement de Yasmine Keramane ? » Guellimi affirme qu’elle devait ouvrir un bureau de Khalifa Airways à Milan, « mais aucun bureau n’a vu le jour du fait que les autorités de l’aviation civile italienne n’avaient pas donné d’autorisation. L’argent qui a été transféré devait servir à l’achat d’un véhicule et la location d’un local. Je lui ai dit qu’il fallait qu’elle rentre à Alger pour son contrat en 2002. Je n’ai rien à voir avec ce qui se passait à Alger. » La présidente l’interrompt pour lui demander : « Alors comment se fait-il que vous aviez été arrêté avec deux autres cadres à l’aéroport d’Alger, avec 2 millions d’euros, l’argent des Algériens ? » L’accusé riposte : « Je n’ai jamais touché à l’argent de quiconque. J’habitais une pièce avec mes parents à Chéraga avant que je ne travaille avec Moumen. Aujourd’hui, j’occupe toujours cette pièce. » La présidente revient sur les noms des personnalités qu’il a eu à recevoir dans le bureau de Abdelmoumen. L’accusé nie, mais revient sur ses propos et dit Keramane Abdennour à deux reprises. « As-tu un contrat de travail ? », lui demande-t-elle. L’accusé répond par l’affirmative, mais en France, précise-t-il. « En novembre 2002, Abdelmoumen m’a demandé de l’aider pour diriger Khalifa TV à la suite des problèmes qu’il a eus avec Ragheb Chenak, un Franco-Libanais. Ce dernier avait dépensé de grandes sommes, sans pour autant mettre sur pied la télévision. Il a ramené des techniciens français et placé sa tante Djazourli comme directrice. » « Tu étais associé avec lui dans El Khalifa Bank ? », lui lance la présidente. Il affirme que c’est son père qui est actionnaire, sans avoir déposé un seul sou. « Mais il avait 675 actions sur les 50 millions de dinars. » L’accusé transpire. Il se tait quelques secondes. « Il n’est pas entré pour l’argent », lui dit-il. La présidente lui demande si les rapatriements des devises se faisaient. « Je le faisais régulièrement. Si une semaine de retard est enregistrée, les avions ne décollaient pas. » La magistrate lui fait savoir qu’aucun document prouvant ses dires n’existe. L’accusé déclare qu’il les envoyait à la Banque d’Algérie. Le ministère public lui dit : « Abdelmoumen t’a donné un terrain de 145 m2 à Chéraga. » L’accusé hésite, puis répond : « Il a insisté pour que je le prenne. Comme j’ai vu qu’il était mal situé, je lui ai dit que je le prends pour le revendre. » Le procureur lui précise : « Tu l’as revendu pour 5 millions de dinars à Lamali Abdelaziz, condamné pour l’affaire de l’importation du whisky frelaté et recherché en vertu d’un mandat d’arrêt. » L’accusé perd la voix. Le procureur continue. « El Khalifa Bank a payé la caution bancaire de ta société Euridis, d’un montant de 125 millions de dinars. » « Oui, mais je n’étais pas au courant. Ils l’ont fait sans m’en informer », rétorque Guellimi. Le procureur revient à la charge : « Explique-nous comment tes tantes Djamila, Mina, Aouaouèche ont-elles toutes pris des prêts de la banque, sans que celle-ci ne dispose d’un service d’octroi de crédits ? » Guellimi déclare qu’elle les ont remboursés en bonne et due forme. « Mais auprès du liquidateur », lui précise le procureur. A la question des surfacturations en matière d’entretien des avions, Guellimi indique que c’est à Alger que se négociaient ces contrats.
« tout se faisait à partir d’alger »
La présidente insiste pour connaître les noms des personnalités qui défilaient dans la villa de Moumen à Hydra. « Je n’ai vu que Tayeb Benouis, PDG d’Air Algérie, et Keramane Abdennour. » « A quel titre la chanteuse Amel Wahbi était rémunérée par El Khalifa Bank ? » L’accusé semble intrigué. « Je ne sais pas. Tout se faisait à partir d’Alger. Je sais qu’il y a Abdou Deriassa, cheb Mami, mais je ne connais pas les montants. Il s’agit de transferts en devises. » L’avocat Berghel exhibe un compte rendu d’un journal comportant les déclarations d’Amel Wahbi, selon lesquelles la chanteuse était rémunérée sur ordre du président de la République. Le tribunal appelle Omar Guellimi, convoqué en tant que témoin. Il faisait partie des premiers actionnaires d’El Khalifa Bank. Son témoignage est spontané, troublant et en même temps convaincant. Il reconnaît qu’il voyait des erreurs qu’il n’arrivait pas à expliquer et que les autres actionnaires ne pouvaient justifier. Mais en tant que juriste, il révèle avoir attiré leur attention en s’opposant à certains octrois de crédits, recrutements, ouvertures d’agences, etc. « Mais personne ne m’écoutait. J’ai décidé de me retirer, mais je ne pouvais le faire du fait que nous étions sept associés avec le départ du huitième. Mon départ était juste une question de temps », dit-il amèrement. Il reconnaît avoir laissé son fils se jeter dans la gueule du loup bien qu’il ait su que le groupe ne fonctionnait pas dans la régularité. Très ému, les larmes ont fini par inonder son visage. « Pour moi, les Eurl étaient sa propriété unique. C’est après que j’ai su que la banque était actionnaire. Je suis resté 18 mois seulement. Le climat de l’époque me faisait croire qu’il avait ramené l’argent de France, l’argent que son père, un ancien du Malg, intègre, lui a légué. Je me disais qu’il était impossible d’acheter à 7% d’intérêts et de vendre à 18%. C’est une hécatombe pour une banque. Ils m’ont expliqué qu’ils allaient acheter 150 voitures pour la collecte de tous les fonds des stations de Naftal et de Sonelgaz pour couvrir le déficit. » Le témoignage de Omar Guellimi a remis les pendules à l’heure en parlant en juriste averti. L’audience s’est terminée à 18h15 et reprendra aujourd’hui. A signaler que Ali Benhadj a tenté de créer l’événement en s’installant dans le box réservé aux journalistes avec badge, alors que de nombreux parents des prévenus et accusés se sont vu refuser l’accès à la salle d’audience. Les agents de l’ordre lui ont fait un passage comme pour une personnalité, alors qu’ils jouent depuis le début du procès au chat et à la souris avec les journalistes pour ne pas les laisser se mettre à proximité des avocats.

Salima Tlemçani