Voyage de presse à In Amenas : Retour sur la prise d’otages de Tiguentourine

Voyage de presse à In Amenas : Retour sur la prise d’otages de Tiguentourine

par Notre Envoyée Spéciale A In Amenas: Ghania Oukazi,Le Quotidien d’Oran, 2 février 2013

Tiguentourine refuse de sombrer dans la déprime après l’horrible prise d’otages qu’elle a vécue pendant plus de trente heures et par laquelle 37 de ses meilleurs cadres ont péri sous les balles assassines de ceux qui l’avaient assiégés. C’est ce que nous avons constaté durant le voyage de presse qui a été organisé, jeudi dernier, par les soins du ministère de la Communication et avec les moyens matériels de Sonatrach. C’est, en effet, la compagnie Tassili Airlines qui a transporté plus de 150 journalistes, techniciens, cameramen et photographes de l’aéroport Houari Boumediene vers In Amenas Zarzaïtine. «Nous avons eu tellement de demandes de journalistes étrangers notamment japonais, britanniques et norvégiens qui voulaient venir pour se rendre à In Amenas, que nous avons pensé à organiser ce voyage en même temps aux médias nationaux et étrangers pour leur permettre de faire le travail qu’ils veulent», nous a dit le ministre de la Communication qui était venu à l’aéroport d’Alger, tôt le matin du jeudi dernier, pour saluer tous ces envoyés spéciaux. Mohand Saïd Belaïd était resté sur place jusqu’à ce que tous ses invités embarquent. Le vol a duré 1 heure 50. L’arrivée à In Amenas s’est faite sous un soleil printanier qui permettait au regard de se perdre loin, au milieu de ces immenses étendues de sable. In Amenas se situe au sud-est de l’Algérie, loin d’à peine 80 km des frontières algéro-libyennes, et de 240 km d’Illizi. C’est vers un peu plus de 9h que l’avion a atterri à l’aéroport Zarzaïtine. Le groupe Sonatrach avait mis à la disposition de ces voyageurs spéciaux, des bus pour les amener à Tiguentourine, distant d’In Amenas de 60 km. C’est un peu avant 11h que nous atteignons la base de vie où le drame a commencé. Plusieurs militaires, gendarmes et agents de sécurité étaient en faction tout autour. Un char était stationné pas loin du portail de la base de vie. «Bonne et heureuse année à tous, travaillez en toute sécurité et chaque jour», une phrase qui passait en boucle sur un panneau lumineux placé juste à gauche de l’entrée de la base.

DOULOUREUX SOUVENIRS

Le directeur général pour le compte du groupe Sonatrach dans son association avec British Petroleum (BP) et Statoil le norvégien, a été chargé de raconter les faits aux invités du ministère de la Communication. Il devait expliquer aux journalistes comment, en ce mercredi 16 janvier de l’année en cours, un groupe terroriste «venu d’ailleurs» avait pu pénétrer ces lieux censés être bien gardés, et prendre en otage, durant 30 heures, 790 employés entre cadres, ingénieurs, techniciens, agents de maintenance et de sécurité, dont 130 étaient des étrangers de diverses nationalités.

L’information de la prise d’otages la plus spectaculaire que le monde ait jamais vécue, avait fait, ce jour-là, le tour des médias nationaux et internationaux en l’espace d’à peine quelques minutes.

Lotfi Benadouda fera savoir qu’il a été le premier otage qui a été pris par les terroristes. Il racontera avec émotion les faits vécus sur le site gazier de Tiguentourine «dans des conditions de violence, de stress et de pressions insoutenables». Entouré de tous les journalistes, «braqué» par les objectifs des cameramen et des photographes, le DG a rappelé que les douloureux événements ont été déclenchés au niveau de la base de vie tôt le matin.

LES TERRORISTES EXECUTAIENT LES OTAGES PAR BALLES

«Il y avait un groupe de 12 terroristes dans la base, leur objectif était d’atteindre le building VIP occupé par les responsables, j’étais la 1ère personne qu’ils ont prise mais ils ne savaient pas que j’étais DG; ils voulaient prendre les expatriés et relâcher les nationaux». «Plus de 400 otages étaient retenus après que les terroristes leur ont placé des explosifs sur leur buste. Ils voulaient nous utiliser comme boucliers pour pouvoir s’enfuir». «Ce n’est que dans l’après-midi qu’ils ont su qui j’étais, ils m’ont alors demandé d’intercéder auprès des autorités pour leur faire savoir ce qu’ils voulaient». «Les terroristes demandaient la libération de prisonniers, l’ouverture des frontières et la sécurisation de la route pour qu’ils puissent s’enfuir vers le Mali». «Les terroristes avaient agi à visage découvert». Plus de 700 employés, pratiquement tous des Algériens, ont pu être libérés et mis sous protection de l’armée. L’action des unités spéciales d’intervention de l’ANP était soutenue par le renfort des hélicoptères qui ciblaient les terroristes terrés au milieu de la tuyauterie du complexe gazier. Le premier assaut a été donné, le jeudi matin, lorsque l’armée a su que les terroristes voulaient sortir du site dans des véhicules avec les otages étrangers. Un autre assaut a été décidé lorsque les unités spéciales avaient vu qu’un incendie s’était déclaré après un échange de tirs avec les terroristes. Un dernier assaut a été lancé lorsque les militaires ont su que les terroristes avaient exécuté les otages étrangers par balles et voulaient faire exploser le complexe. Ils étaient Japonais, Norvégiens, Britanniques, Philippins, Américains, Français, Algérien (un agent de sécurité), tous ont été assassinés froidement.


«Les terroristes avaient commencé à tuer les otages et à les brûler»

par G. O.

« Les employés avaient entendu l’alarme discontinue, ils avaient compris qu’il y avait danger et qu’il fallait se cacher», racontait un employé.

Les journalistes avaient rejoint le site gazier loin de près de 3 km de la base de vie. Sur le chemin, on pouvait voir des véhicules tout-terrain, calcinés ou criblés de balles. Notre interlocuteur voulait reprendre depuis le début des événements. «Nous étions dans nos chambres, un copain jouait à la guitare quand nous avons entendu des coups de feu. On regarde par les fenêtres, on voyait arriver au loin des 4×4 phares allumés. On entendait plus tard des tirs. Notre copain regarde encore et nous dit, ce sont les barbus. On s’est cloîtrés dans nos chambres. Les terroristes défonçaient les portes avec des extincteurs. On a été sortis dehors. Les terroristes parlaient avec l’accent tunisien ou égyptien. L’un d’eux avait demandé s’il y avait des étrangers entre nous. Je lui ai dit non. Il nous a dit qu’il n’avait rien contre nous Algériens, mais beaucoup contre les étrangers, le président, le gouvernement et les généraux.» Les terroristes appelaient leur chef «ami Tahar».

Smaïl, un technicien en instrumentation, garde le sourire malgré les affres qu’il a vécues durant de longues heures sous l’œil criminel des terroristes. «On était mercredi, il était 5h40 du matin, on prenait notre petit-déjeuner lorsqu’on a entendu des coups de feu, les expatriés voulaient sortir dehors mais on les en a empêchés. Trois étrangers s’étaient cachés sous le faux plafond du restaurant. A 7h30, un terroriste est rentré dans le resto, il était barbu et habillé en tenue militaire libyenne (celle de notre armée est verte mais celle-là était jaunâtre), son arme pointée sur nous, il voulait savoir où étaient les expatriés. Un autre terroriste arrive, il était Algérien et se réclamait du groupe de Belmokhtar. Il nous a dit qu’il n’avait aucun problème avec les Algériens, ce sont des musulmans et nous a laissés sortir en file indienne. Mais il a reconnu un étranger, un Roumain, il nous a demandé alors d’arrêter d’avancer. Ils ont gardé les étrangers et m’avaient permis de partir à bord d’un bus avec une quarantaine d’Algériens, les militaires nous avaient vu de loin avec leurs jumelles, ils nous ont demandé par radio (j’en avais une moi aussi) de descendre du bus et d’avancer vers eux, un par un. Des militaires avaient avancé vers la base de vie et avaient fait des brèches au niveau des issues pour faire échapper les otages par petits groupes.»

« RIEN N’EST BIZARRE »

Un agent de sécurité rappelle que l’objectif des terroristes était de faire sauter le site gazier avec un véhicule piégé et prendre les étrangers avec eux comme otages. «S’ils avaient fait exploser le site, le gaz se serait propagé sur 40 km² à la ronde, ça aurait été un autre grand désastre. Lorsque le coordonnateur des systèmes de sécurité du site avait déclenché l’alarme, les techniciens avaient tout de suite compris le danger et procédé à l’arrêt des machines, ce qui a diminué du danger de l’explosion. Les terroristes avaient alors tué le coordonnateur, sans hésiter. Yann était Français et avait 52 ans. Avant, quand ils étaient arrivés à l’entrée du site, les terroristes avaient exécuté l’agent de sécurité algérien qui était dans son poste de garde.» «Les terroristes qui s’étaient dirigés vers le JGC, le building où étaient les Japonais, avaient commencé déjà à tuer les otages.» Sur le site, «les otages étaient tués par balles et brûlés.» L’on nous explique que les Japonais étaient plus nombreux que tous les autres étrangers parce qu’ils ont un important projet à réaliser sur le site.

A Tiguentourine, on hésite à parler de complicité. «Je n’aime pas le dire mais c’est sûr qu’il y avait une complicité quelque part, le 1er ministre l’a reconnu aussi», avait déclaré Lotfi Benadouda. Un agent du renseignement pense que les terroristes avaient bénéficié d’une grande aide. «Autrement, ils n’auraient jamais pu arriver et se déplacer aussi facilement de la base de vie au complexe gazier», pense-t-il. Personne n’a vraiment précisé le nombre des terroristes qui ont envahi le site. «On ne sait pas trop, peut-être 32 mais ils étaient venus à bord de 5 véhicules, des Toyota gonflées, c’est-à-dire qui passent inaperçues parce qu’elles sont quelconques et une seule Station», fait savoir un agent de la sécurité.

Comment ça se fait que tous ces terroristes se sont trouvés sur ce site, c’est bizarre, non ? demande un journaliste à un militaire. «Rien n’est bizarre. En 2013, y aurait-il encore quelque chose de bizarre ?», lui rétorque-t-il en souriant. Vous étiez présent le jour du drame ? lui avons-nous demandé. «On n’était pas ici, les gendarmes étaient là», nous a-t-il répondu avec le même sourire.

 


«Les micros ont brûlé le jour du drame»

par G. O.

Le responsable à Sonatrach commence son récit au milieu d’une cohue de journalistes qui étaient obligés de pousser des coudes pour pouvoir entendre ce qu’il disait. Tout représentant du groupe Sonatrach qu’il est, il n’avait pas de micro pour s’adresser à plus de 150 journalistes. Seuls ceux qui étaient à sa proximité pouvaient entendre. Le DG refusera plus tard de répondre aux questions qui, avait-il dit, lui avaient été déjà posées «tout au début». Il n’aura peut-être pas remarqué qu’il l’avait fait au milieu d’un total désordre. Tant pis pour ceux qui ne pouvaient pas être tout près de lui. «Je ne veux pas revenir sur les faits négatifs, je veux parler du positif, de la relance du complexe et de la reprise du travail», avait-il lancé avec une langue de bois bien frustrante pour «les chercheurs du moindre détail» que nous étions en ces moments. Mais il semble que la précision était adressée aux seuls journalistes nationaux.

En effet, que ce soit lui ou un autre cadre de Sonatrach, tous deux semblaient ne pas trop vouloir répondre aux questions des journalistes algériens alors qu’ils affichaient une parfaite disponibilité quand ils étaient abordés par les confrères étrangers. Curieuse perception de la communication que beaucoup de nationaux ont subie ce jour-là. Pourquoi n’avez-vous pas prévu de micros, comme ça tout le monde aurait entendu? demandent des journalistes. «Ils ont brûlé durant le drame que nous avons vécu», répond l’un d’entre les responsables. «Le plus judicieux aurait été que les organisateurs prévoient de ramener un micro d’Alger, Sonatrach en a, non?», lancent des journalistes. Il était clair que personne n’y avait pensé. Pourtant, les encadreurs étaient bien nombreux.

Les journalistes venus de plusieurs pays ont voulu, quelque part, reconstituer les faits pour essayer de comprendre et expliquer à leurs compatriotes ce qui a pu se passer. Les Japonais étaient les plus nombreux, jeudi dernier à In Amenas. Un journaliste de la télévision nippone, micro en main, suivi par une caméra, filmait et commentait tout ce qui avait dans les coins et recoins de la base de vie et du complexe gazier avec l’espoir, peut-être, que ceux de leur pays qui ont perdu des proches dans ce carnage terroriste, puissent faire enfin leur deuil. Les journalistes norvégiens, français, allemands, américains et autres, nourrissaient à ce moment-là, certainement le même sentiment. Il est vrai que ce voyage de presse a permis aux femmes et hommes des médias d’être en face de ceux qui ont vécu le drame. Ils n’ont rien dit de plus de ce qui n’a été déjà dit avant ce voyage médiatique. Mais les rencontrer même pour quelques instants, les écouter parler de leur calvaire, les suivre sur ces lieux du crime, nous a fait partagé la profonde douleur qui les ronge.


Ils sont certains qu’ils reviendront

par G. O.

Les traces de l’incendie qui s’est déclenché sous l’impact des tirs sont encore toutes fraîches. Les cheminées du complexe gazier sont noires de fumée. Des impacts de balles encore visibles, des pans entiers d’équipements détruits. Au milieu de ce triste paysage, la présence sur les lieux des équipes algériennes force l’admiration. Tous ceux qui étaient sur le site en bleu de travail et casque sur la tête ont échappé miraculeusement à la mort. Ils étaient tous les otages des terroristes du sanguinaire Mokhtar Belmokhtar. Dynamiques, sourire aux lèvres, ils refusent d’abdiquer. Ils pensent à leurs collègues assassinés. Ils en gardent une profonde douleur. Ils entretiennent l’espoir de faire revivre leur souvenir par la reprise du travail et la remise en marche du complexe qu’ils ont géré ensemble. Ils sont certains que ceux de leurs collègues étrangers qui sont partis vers leurs pays respectifs reviendront. «Nous savons qu’ils le feront, beaucoup d’entre eux nous l’ont fait déjà savoir», affirme un des techniciens rassuré. Le réveil du cauchemar se fait progressivement et sûrement.


LES MÉDIAS VISITENT LE COMPLEXE GAZIER

Retour sur la prise d’otages de Tiguentourine

Le Soir d’Algérie, 2 février 2013

Les médias algériens et étrangers ont pu se rendre jeudi à Tiguentourine, lieu de la prise d’otages qui s’est déroulée dans le complexe gazier. Actuellement en cours de rénovation, les installations industrielles devraient reprendre la production dans un mois. L’armée a renforcé le dispositif pour assurer la sécurité de l’ensemble de la région.

De notre envoyé à In Aménas Tarek Hafid
Tiguentourine garde encore les séquelles de quatre jours d’horreur. Les traces de la violence des terroristes et des assauts répétés de l’armée algérienne sont visibles partout. Dans la base de vie, les murs et les vitres du poste de contrôle et du réfectoire témoignent de l’intensité des tirs. Sur la route qui mène vers l’unité traitement de gaz, on peut apercevoir les carcasses carbonisées des véhicules tout-terrains utilisés par les terroristes. Précieuse pièce à conviction, le tas de ferraille est gardé par des gendarmes lourdement armés. Au sein du site de production, les regards sont automatiquement attirés par la noirceur d’une partie de l’installation industrielle. C’est à cet endroit précisément que les derniers membres du groupe terroriste ont fait exploser les charges explosives. Folie suicidaire qui a coûté la vie à 7 otages étrangers.

L’hommage aux absents

Les 150 journalistes algériens et étrangers qui se sont rendus, jeudi, à Tiguentourine ont enfin pu «mettre des lieux sur des noms», pour reprendre l’expression d’un journaliste d’une agence de presse. Mais il n’y a pas que les installations qui portent les stigmates de la catastrophe de Tiguentourine. Les séquelles transparaissent surtout dans les propos et les regards des dizaines de travailleurs algériens. Lotfi Benadouda, directeur général du complexe gazier, ne cache pas son affliction. «Nous avons vécu une situation très difficile. J’ai perdu de nombreux amis», insiste-t-il face aux journalistes. Malgré la douleur, l’homme répétera inlassablement, en arabe, en anglais et en français, la tragédie qu’il a subie. «J’étais dans la partie réservée à l’hébergement des cadres du complexe lorsque les terroristes ont pénétré dans la base de vie. Ils ont séparé le personnel. Les Algériens ont été placés dans le réfectoire et les expatriés ont été rassemblés à l’extérieur, dans la cour. Ils leur ont mis des colliers d’explosifs. Pour ma part, ce n’est qu’après plusieurs heures que les terroristes se sont rendu compte que j’étais le directeur du site. Ils m’ont chargé de transmettre leurs revendications aux autorités algériennes. J’ai été frappé à deux reprises par un terroriste égyptien qui considérait que je ne répétais pas fidèlement leurs volontés», explique Lotfi Benadouda. Dans leurs récits, les travailleurs font tous référence à la détermination du groupe à la solde de Belmokhtar et à l’intensité de la violence. Tous rendent hommage à leurs amis de British Petroleum, Statoil et JGC ainsi qu’au jeune agent de sécurité Mohamed-Amine Lahmar qui a actionné l’alarme pour donner l’alerte. Cependant, certains travailleurs refusent de parler malgré l’insistance des journalistes étrangers. Pour prendre en charge les personnes victimes de stress post-traumatique, la Sonatrach a mis en place des cellules d’écoute.

Réouverture imminente

Mais pour l’heure, la priorité des employés de Tiguentourine consiste à remettre en marche les installations de production. L’objectif est de parvenir à un taux de production de 35% dans un délai d’un mois. Un challenge que devront relever les ingénieurs et les techniciens de la Sonatrach puisque les personnels de BP et Statoil ne reviendront pas à Tiguentourine avant trois mois. Les partenaires de la compagnie pétrolière algérienne apporteront néanmoins une «assistance à distance ». «Nous avions prévu de remettre en marche les installations quelques jours après la prise d’otages. Mais nous avions constaté qu’il y avait encore des explosifs dans certaines parties du complexe. Actuellement, nous procédons à des vérifications minutieuses pour nous assurer qu’il n’y a aucun impact de balles dans les structures », a indiqué Lotfi Benadouda. Selon lui, le redémarrage devrait concerner le train de production numéro 1 car c’est celui qui a subi «le moins de dommage». Sur le plan financier, la facture risque d’être très lourde. Depuis le premier jour de la prise d’otages et l’arrêt des installations, les trois partenaires subissent un manque à gagner estimé à 14 millions de dollars par jour.
Priorité à la sécurité
Sur le plan sécuritaire, la région d’In Aménas reste en alerte maximum. Une partie du dispositif de l’ANP est visible dès l’arrivée à l’aéroport. Sur le tarmac, deux hélicoptères anti-char MI 24 Super Hynd, sûrement ceux qui ont participé à la couverture aérienne lors de l’opération militaire des unités spéciales. A proximité des appareils soviétiques, sont parqués deux Beechcraft 1900 D. D’apparence anodine, ces avions sont équipés de caméras et de systèmes électroniques qui permettent d’assurer une surveillance de la zone à haute altitude. Les militaires ont également pris en charge la gestion de la sécurité au niveau des installations industrielles. A Tiguentourine, la surveillance de l’usine de traitement de gaz et de la base de vie est assurée par des para-commandos, des fantassins et des gendarmes des Sections de sécurité et d’intervention. Des véhicules blindés BTR 80 ont été placés à l’entrée de chaque site. L’objectif de ce «voyage presse» semble avoir été atteint : les autorités algériennes ont démontré la complexité que représentait l’intervention de libération des otages. Sur le plan de la communication, la visite de Tiguentourine aurait pu être «complète» si les journalistes avaient eu en face d’eux des personnes habilitées à évoquer des questions essentielles. En matière de sécurité, qui était réellement responsable ? Pourquoi avoir permis à BP de confier la gestion du site à une entreprise de sécurité étrangère alors que l’activité de ce type d’entité est totalement interdite par la législation algérienne? Y a-t-il eu réellement des complicités ? Qu’en est-il réellement de cette société de location de véhicules sous contrat avec BP et qui appartiendrait à un membre de la famille d’un «émir» d’Aqmi ? Autant de questions qui restent en suspens. En attendant la tenue du procès de Tiguentourine.
T. H.


 

Le site gazier est sous haute surveillance militaire

Retour sur les lieux de la prise d’otages d’In-Amenas, quinze jours après l’attaque terroriste

In Amenas : Hamid Guemache, TSA, 1er février 2013

Sur la base de vie du site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas, théâtre d’une sanglante et gigantesque prise d’otages perpétrée à la mi-janvier dernier, le temps est comme figé. Deux semaines après l’attaque terroriste, les chalets des expatriés, le restaurant et le foyer sont toujours fermés. Des impacts d’obus sur le mur du foyer témoignent encore de la violence de l’accrochage entre les forces spéciales et les preneurs d’otages.
Le jeudi 31 janvier, des journalistes algériens et étrangers sont en visite sur les lieux pour comprendre ce qui s’est passé durant les quatre jours les plus longs et les plus dramatiques de l’histoire de ce site gazier.

« Les terroristes voulaient attraper des expatriés et partir »

Sur la placette de la base de vie, les journalistes se pressent autour de la fontaine à jet d’eau – tarie –pour écouter le récit du directeur général de l’association BP-Sonatrach-Statoil – qui exploite l’usine. M. Benadouda raconte ce qu’il a vécu pendant plus de 24 heures d’enfer : à compter de l’arrivée des terroristes, mercredi 16 janvier à l’aube, jusqu’à sa fuite le lendemain à 10h, après l’assaut des forces spéciales algériennes. « Ici, chacun a sa propre histoire. J’ai la mienne. Le jour de l’attaque, j’étais présent ici. Un groupe de douze terroristes se sont introduits sur les lieux vers 5 h 30 du matin. Leur objectif était de se saisir des étrangers, qui étaient dans leurs appartements », raconte-t-il, la voix grave et le souvenir encore douloureux.

Les terroristes, lourdement armés, ont passé la première journée à chercher surtout des expatriés français, américains et britanniques, poursuit-il. « Les travailleurs algériens ont été regroupés dans le foyer en face et les expatriés réunis dans ce bâtiment ; Les terroristes ont piégé les otages étrangers avec des ceintures d’explosifs », explique-t-il, la gorge nouée. M. Benadouda est encore sous le choc. « La nuit de mercredi, les terroristes nous ont utilisés comme bouclier humain. Ils avaient peur de l’assaut de l’armée, mais la nuit a été calme. Les terroristes étaient convaincus qu’ils pouvaient quitter les lieux, avec les otages », explique-t-il.

« Le lendemain, les assaillants étaient plus nerveux et se sont montrés agressifs. Leur comportement avait changé ! Ils étaient sûrs de ne pas pouvoir sortir avec les expatriés. Ils ont alors demandé des véhicules, du fuel, et de la nourriture pour rejoindre l’usine », raconte M. Benadouda, qui a eu le courage de ne pas dévoiler son identité à l’arrivée des terroristes. « Il leur a fallu une heure pour trouver les premiers expatriés qui se sont cachés après que l’alerte a été donnée par un agent de sécurité algérien », raconte-t-il. « Ils ne se sont pas aperçus tout de suite que j’étais le directeur du site. Un terroriste égyptien m’a frappé à deux reprises parce que je ne voulais pas coopérer », dit-il.

Jeudi à 10 h, les forces spéciales, qui encerclaient les lieux, ont tiré sur les terroristes. L’assaut était donné. « J’étais avec les terroristes, j’ai vu leur émir blessé », se souvient-il. Les premiers tirs des militaires ont provoqué une grande panique parmi les otages et les ravisseurs, selon M. Benadouda, qui en a profité pour prendre la fuite, avec les autres otages algériens rassemblés dans le foyer. Ces derniers ont ouvert la porte secondaire du bâtiment pour prendre la fuite. Ils ont été accueillis par des militaires, plus loin.

Deux jours après, le samedi 19 janvier, l’assaut des forces spéciales prenait fin au niveau de l’usine, située tout près, à deux ou trois kilomètres, avec la mort de 37 otages étrangers et un agent de sécurité. En fait, le site gazier est immense. Il s’étend sur plusieurs hectares dans une région plate et désertique, à moins de 100 km de la frontière avec la Libye, d’où sont venus les assaillants à bord de véhicules puissants portant les sigles d’institutions officielles libyennes. « Les terroristes connaissent bien le terrain. Ils ont sans doute emprunté des pistes pour éviter d’être repérés par les services de sécurité. Ils avaient bien planifié leur opération », explique un cadre de Sonatrach. Arrivés près de la base de vie, les assaillants se sont accrochés avec les gendarmes qui escortaient des expatriés vers l’aéroport d’In Amenas, avant de foncer, avec leurs véhicules, à l’intérieur de la base de vie, prenant de court les autres gendarmes. Une fois à l’intérieur, ils ont utilisé les otages pour tenir à distance les gendarmes et les militaires qui venaient d’arriver sur les lieux.

Les terroristes ont agi avec rapidité, à la faveur de la confusion générale provoquée par l’attaque du bus des expatriés qui venait de quitter la base de vie, selon les témoignages recueillis sur place. Le site gazier d’In Amenas était-il suffisamment protégé alors qu’il constituait une cible potentielle pour les terroristes ? Y a-t-il eu baisse de vigilance ? Les cadres de Sonatrach et les autorités locales s’interrogent aussi. En fait, les terroristes ont bien planifié leur coup en s’attaquant à un site gazier implanté au milieu du désert, à proximité de la frontière libyenne et dans une région qui n’avait jamais enregistré d’attaques terroristes auparavant ! Pour le wali d’Illizi, cette attaque est tout aussi invraisemblable que les attentats terroristes commis contre le Palais du gouvernement à Alger en 2007. « Comment ont-ils pu commettre un attentat à Alger ? » s’interroge-t-il avant de préciser que les questions liées à la sécurité ne font pas partie de ses prérogatives. Mais le premier responsable de la wilaya tient à préciser : « l’agent de sécurité tué lors de l’attaque est la première victime du terrorisme à Illizi ».

« Avant l’attaque terroriste, la base de vie était gardée par une brigade de la gendarmerie postée à l’entrée », explique sur place un cadre de Sonatrach. « Il n’y avait pas de barrages sur la route menant à l’aéroport et les agents de sécurité internes n’étaient pas armés. Les compagnies étrangères ont refusé de les armer parce que cela pouvait constituer un danger pour l’usine en cas de dispute ou de bavure », explique-t-il. Pour Bilal Mansouri, président de l’APW d’Illizi et notable de la région, les terroristes « sont venus pour détruire ». L’usine de gaz fait en effet vivre une bonne partie des 7 000 habitants d’In Amenas.

Depuis l’attaque terroriste, les autorités algériennes ont considérablement renforcé la sécurité du site. À l’entrée de la base de vie et de l’usine, des militaires en treillis armés de Kalachnikov sont déployés, avec des tanks à pneumatiques couleur sable. D’autres sont postés tout le long de la clôture en Zimmerman et barbelée, entourant les chalets des expatriés. Les gendarmes sont un peu partout. Sur la route menant à l’aéroport, deux barrages fixes tenus par l’armée et la gendarmerie filtrent la circulation. Le site gazier de Tiguentourine est désormais sous haute surveillance militaire !


DEUX SEMAINES APRÈS L’ATTAQUE TERRORISTE À IN AMENAS

Retour sur les lieux du crime

Par Nos envoyés spéciaux à Tiguentourine Idir TAZEROUT et Ramzi BOUDINA, L’Expression, 02 Fevrier 2013

La violence des combats est attestée par les carcasses des véhicules calcinésLa violence des combats est attestée par les carcasses des véhicules calcinés

Des impacts de balles, d’obus, des véhicules 4×4 calcinés, constituent le décor de ce site qui retrouve lentement, mais sûrement son activité normale.

Le panorama tranche avec le relief et la verdure qui marquent le nord du pays. A la descente de l’avion, un paysage rocailleux fige la beauté de Tiguentourine, cette contrée d’In Salah placée encore une fois sous les feux de la rampe! La première fois c’était lors de la spectaculaire attaque terroriste perpétrée le 16 janvier dernier contre le site gazier et la seconde, c’était avant-hier quand 145 journalistes, dont 120 étrangers, se sont rendus à ce site gazier de In Amenas dans la wilaya d’Illizi. Il était temps de se rendre à Tiguentourine!
En effet, le site est devenu mondialement connu! Connu malheureusement pour l’horreur qui s’y est produite! «Le jour de l’attaque, j’étais présent. 12 personnes se sont introduites dans la base de vie avec l’objectif de prendre le building VIP. J’étais leur premier otage. Séquestré pendant trois heures, ils ne se sont pas rendus compte que je suis le directeur général!… ils me demandaient de les conduire vers le directeur! Ils n’ont pas douté que c’était moi!…», raconte, toujours ému, Lotfi Benadouda, directeur du complexe. «Pour ces terroristes, l’urgence était d’attraper le plus grand nombre d’expatriés! De 5 heures du matin, il ne se sont rendus compte que c’était moi le directeur que vers 10h 30!
«Une fois identifié, ils m’ont photographié et m’ont donné des recommandations à transmettre aux autorités. C’était vers 10h de la journée de mercredi», ajoute M.Lotfi Benadouda, devant plus d’une centaine de journalistes venus des quatre coins de la planète. Maîtrisant plusieurs langues, le directeur répète son récit des dizaines de fois aux journalistes. Il explique que les terroristes avaient pour premier objectif de prendre en otage – rapidement – un maximum d’expatriés.

Les traces toujours là

«Ils ont attrapé plusieurs dizaines d’expatriés qu’ils ont conduits pas loin de l’entrée de la base de vie. Ils les ont séparés en deux groupes, ils étaient tous ceinturés d’explosifs pour les utiliser comme bouclier humain», témoigne M.Benadouda.
Quinze jours après l’attaque terroriste sanglante menée par un groupe terroriste, les traces des violences étaient encore visibles: impact de balles, d’obus et de débris d’objets explosés jonchent toujours le sol, de même que des véhicules 4×4 calcinés transférés dans un coin entre la base de vie et l’usine. On a compté également neuf 4×4 accidentés parqués non loin.
Bien avant d’arriver sur le site, on constate un dispositif sécuritaire impressionnant composé de militaires, gendarmes, blindés et parachutistes.

L’impossible consolation

Il faut dire qu’aujourd’hui, Tiguentourine est devenue l’un des endroits les plus gardés du pays. Sur place, l’on ressent vraiment le choc qu’ont subi les travailleurs, ceux qui étaient présents le jour du drame et même ceux qui sont venus bien plus tard.
«Nous n’avons jamais pensé qu’on seraient visés par un attentat terroriste», témoigne le chef du groupe de sécurité de cette unité.
«Ici, on est situé à 120 km de la Libye. On s’attendait à connaître ce type de problèmes à l’époque où la Libye était instable. Il n’y a rien eu! Et c’est maintenant que ça se produit!», poursuit-il.
Lui, il travaille dans cette unité depuis plus de 8 ans. «J’ai perdu mes amis… c’est affreux! Je n’arrive pas à supporter tout ça», se lâche-t-il encore.
Le choc psychologique se ressent chez tous les employés qui n’arrivent pas à se remettre du fait d’avoir vu leurs amis mourir. «Les victimes sont nos collègues, nos amis… ce sont des gens avec qui on avait de bonnes relations et partagé beaucoup de choses…», raconte Elouassaa Mohamed Fawzi, un électricien qui était présent le jour de l’attaque.
De témoignage en témoignage, il faut dire que toutes les versions que nous avons entendues auprès d’une dizaine d’employés se ressemblent toutes.
S’exprimant devant le train 3 de l’usine, à quelques mètres de l’endroit où des ravisseurs islamistes ont tué, en faisant exploser leurs sept derniers otages étrangers, le 19 janvier, lors de l’assaut final de l’Armée nationale, Lotfi Benadouda, directeur général du site gazier, a déclaré: «L’usine rouvrira dans moins d’un mois, mais uniquement avec les Algériens».
«Les partenaires étrangers ne reviendront pas avant trois mois», a encore précisé M.Benadouda, en indiquant que pendant ce temps, ils apporteraient «une assistance à distance».

Des Algériens pour le redémarrage du site

Très affecté par la perte de ses collègues étrangers, M.Benadouda, explique le fonctionnement du site tout en rappelant la prise d’otages. «C’est une perte terrible pour nous», dit-il en évoquant ses collègues morts, arrivant à peine à masquer son émotion.
Pour le président de l’Assemblée populaire d’Illizi, les mots étaient là pour exprimer son avis: «Nous n’avons pas peur des terroristes, nous les combattrons tous», tranche-t-il… «La prise d’otages «n’affectera pas le tourisme dans la région», renchérit le wali d’Illizi, Mohamed Laïd Khalfi. Il ajoute que «la wilaya d’Illizi est paisible, nous n’avons pas eu d’attentats.
Tiguentourine reste un acte isolé qui ne peut en aucun cas remettre en cause la sécurité et la paix dans la région», a-t-il dit.
L’usine qui génère un revenu journalier de 14 millions de dollars, sera mise en ligne dans les plus brefs délais.
«35% du gaz produit par le complexe gazier de Tiguentourine, seront mis en ligne dans les plus brefs délais», a annoncé le directeur général de l’association «Sonatrach/BP/ Statoil.» «35% de la production totale, qui était estimée à 24 millions de m3 de gaz/jour, dont le condensat et GPL, seront mis en ligne dans les plus brefs délais», a-t-il affirmé.
L’une des trois unités de production de gaz, endommagée lors cette attaque, «est en train d’être supervisée en vue de son redémarrage incessamment, car elle n’a pas subi beaucoup de dommages», a-t-il indiqué, précisant que ce redémarrage partiel «sera assuré entièrement par des travailleurs algériens».
Une équipe de 120 travailleurs algériens est en train d’effectuer des inspections au niveau de cette unité pour évaluer les dégâts et s’assurer qu’il n’y a pas d’impact de balles ou d’explosifs, a-t-il dit.
Il a fait savoir, par ailleurs, que jusqu’à présent, il n’y a pas encore d’évaluation sur les pertes financières, indiquant que «la production gazière est à l’arrêt depuis le premier jour de l’attaque».
M.Benadouda a souligné que Sonatrach et ses partenaires, Statoil et BP, «se sont mis d’accord pour que les expatriés ne reprennent leur travail que dans trois mois» et qu’aucun autre travailleur ne se trouve sur le site à part les experts algériens.
Le niveau de la production de gaz avant l’attaque était de 24 millions de m3/jour, générant un revenu moyen journalier de 14 millions de dollars.
La production gazière de ce site représentait 10% de la production nationale.
Pour rappel, le contrat de type partage de production relatif au développement et l’exploitation du condensat, des GPL et du gaz naturel issus des gisements de la région d’In Amenas a été conclu entre Sonatrach et la compagnie britannique BP en date du 29 juin 1998, et entré en vigueur le 13 août 1999.
La compagnie norvégienne Statoil a rejoint l’association Sonatrach/BP opérant dans le périmètre In Amenas, suite à la signature, le 3 avril 2004, d’un avenant au contrat d’association, ayant pour objet la cession par BP à Statoil de 50% de ses droits et obligations dans ce contrat.
Le périmètre contractuel d’In Amenas est situé à 1300 km d’Alger, au niveau du bassin d’Illizi, et comprend quatre gisements, dont un en phase d’exploitation (Tiguentourine) et trois autres en phase de développement (Hassi Farida, Hassi Ouan Abéchou et Ouan Tardert).
Deux semaines après la prise d’otages sanglante qui a coûté la vie, au total, à 37 otages étrangers dont des Occidentaux, et des Asiatiques et un Algérien, la vie reprend son cours sur le site gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas.
Pour redémarrer, l’usine Sonatrach compte uniquement sur ses employés algériens.
D’importants travaux sont nécessaires pour réparer les dégâts. La détermination des équipes de Sonatrach pour relever le défi brillait sur les visages de tous!
Dans ce coin lointain de notre désert… nos hommes savent ce qu’il faut faire.


15 jours après l’attaque du site gazier

Tiguentourine s’efforce à reprendre vie

El Watan, 2 Fevrier 2013

Des impacts de balles et de roquettes sur les murs transpercés, des 4×4 calcinés, des vitres brisées et autres débris sont encore visibles ce jeudi 31 janvier, témoignant de la violence de l’attaque. Il y règne une atmosphère lourde.

In Amenas. De notre envoyé spécial

Les stigmates de l’attaque terroriste contre l’installation gazière de Tiguentourine, le 16 janvier passé, sont encore là. La façade noircie de l’unité sud de l’usine sérieusement endommagée témoigne de l’ampleur de l’attaque. Le train n°3 éclairé par le soleil éclatant du désert a été touché de plein fouet. Quinze jours après la spectaculaire prise d’otages, Tiguentourine («racines d’une forêt morte» en berbère) s’efforce douloureusement de reprendre vie tout en gardant en mémoire la séquence tragique de l’attaque meurtrière venue troubler un désert légendairement serein.

Retour sur une prise d’otages sans précédent qui a soumis le pays à rude épreuve.
Rendu tristement célèbre par la spectaculaire attaque terroriste suivie de prise d’otages, le site gazier de Tiguentourine, dans le bassin d’Illizi, a ouvert ses portes jeudi dernier pour la première fois aux médias locaux et étrangers. La cohorte de journalistes, une centaine, a pris «d’assaut» la scène du «crime», scrupuleusement surveillée par des militaires sur leurs blindés, des paras armés jusqu’aux dents, des gendarmes en faction…
Un impressionnant dispositif sécuritaire est déployé tout autour de la zone qui évoque un décor de guerre.
Les impacts de balles et de roquettes sur les murs transpercés, des 4×4 calcinés, des vitres brisées et autres débris sont encore visibles ce jeudi 31 janvier, témoignant de la violence de l’attaque.
Il règne une atmosphère lourde. Le temps semble figé. Le site gazier, qui s’étend sur quelques hectares, s’est transformé, durant quatre jours, en un théâtre de guerre.

Encore sous le choc, les quelques travailleurs retenus en otages et qui ont courageusement repris le travail à la base-vie de Tiguentourine évoquent la tragédie avec beaucoup de tristesse et de douleur. Ils sont revenus de l’enfer où ils ont laissé des camarades. Ils ont côtoyé la mort durant d’interminables heures.
«Je ne réalise pas encore ce qui s’est passé. Ce maudit mercredi matin, réveillé par les sifflements et autres détonations, me poursuivra toute ma vie. Tout m’est venu à l’esprit, sauf une attaque terroriste. Rapidement, le sifflement des balles, des bruits de véhicules, des cris s’étaient répandus. Une sirène discontinue a retenti. Ce qui voulait dire que quelque chose de grave arrivait. Je coupe le courant et je reste dans ma chambre. Ça a duré de 5h30 jusqu’à 7h. Dans la confusion générale et ne sachant pas ce qui se passait, on a décidé de sortir pour voir ce qui arrivait, nous demandant comment agir. Subitement, on s’est retrouvés dans la cour de la base, pris en otages par un groupe terroriste. La panique s’est emparée de nous», relate S. K. un des otages travaillant dans la logistique à la base-vie. Pendant ce temps, à quelque 1500 mètres, d’autres éléments du groupe terroriste prenaient d’assaut l’installation gazière où se trouvaient déjà des ingénieurs. Commence alors la pire prise d’otages jamais vue dans l’histoire du pays.

L’un des poumons de l’économie nationale venait d’être «conquis» par un groupe terroriste lourdement armé. «Nous passons la journée du mercredi dans la cour de la base. Vers 17h, les terroristes nous demandent de ramener nos couvertures. On passe la nuit dehors. Ce fut la nuit la plus longue de ma vie. Le lendemain vers 9h, pendant que les forces de l’armée se rapprochaient de la base, resserrant l’étau, un travailleur a entendu un terroriste parler au téléphone à un acolyte, et lui dire : ‘On se retrouve tous dans la cour.’ Là on s’est dit que tout était fini pour nous. Ils vont nous massacrer tous. Une heure après, un hélicoptère de l’armée survole la base et lance une roquette, touchant le magasin et provoquant la panique. Là on s’est dit que les militaires allaient intervenir d’un moment à l’autre. Nous avons saisi ce moment de confusion totale pour nous enfuir. Il y avait quelques étrangers avec nous dans la fuite… On a réussi à s’en sortir miraculeusement», témoigne encore l’otage, qui n’a bénéficié que de quelques jours de repos avant de reprendre le travail. «Ils ont besoin de nous ici. Je me suis reposé seulement quelques jours. Ils nous ont appelés pour reprendre le boulot et faire fonctionner la base. Que veux-tu qu’on fasse ! La vie continue», poursuit-il.

Les ex-otages sans prise en charge psychologique

Comme beaucoup de rescapés, notre interlocuteur n’a pas bénéficié de prise en charge psychologique. S’il dit aujourd’hui qu’il n’est pas traumatisé, il gardera sans aucun doute au fond de lui les séquelles d’un moment dramatique où sa vie, comme celle de centaines d’employés de Tiguentourine, a failli basculer. Une assistance psychologique et un repos total sont nécessaires. Pour le moment, ils se contentent du réconfort que leur apportent leurs camarades qui n’étaient pas sur les lieux le jour de l’agression.
Un autre employé travaillant comme coordinateur dans la mise en place du personnel pour une société a été retenu pendant plus de trente heures. Ce furent les plus longues heures de sa vie. Il nous parle d’un interminable cauchemar. «J’ai été dans ma chambre quand j’ai entendu les premiers coups de feu. J’ouvre la porte, j’aperçois les éclairs des balles sillonnant le ciel. Au lever du soleil, les terroristes nous regroupent dans la cour. Il y avait trois expatriés avec nous. Heureusement qu’ils n’ont pas été repérés. Nous avons réussi à les cacher. Nous étions près de trois cents, les autres employés étaient cachés sous leur lit, dans les chambres.

Les terroristes étaient encagoulés, deux d’entre eux seulement avaient le visage découvert. Le courant était coupé, les terroristes ont ramené des véhicules pour éclairer le site. Ils nous ont dit : ‘‘Vous les Algériens, rien ne vous arrivera, vous êtes des musulmans, nous cherchons les mécréants (les non-musulmans).’’ Les expatriés étaient à ce moment-là cachés dans leur chambre, avant que les preneurs d’otages ne les retrouvent. Au matin, nous avons remarqué les terroristes prendre position. Certains d’entre eux sont montés sur les toits. La situation devient extrêmement tendue. Les tirs de balles fusaient de partout, après le tir de roquette de l’hélicoptère blessant un des terroristes. C’était sans doute un tir de sommation avant l’assaut. Et là, nous avons pris notre courage à deux mains et on a pris la fuite. Il était midi. Nous avons réussi à atteindre le portail nord de la base que nous avons défoncé avec la force du désespoir. Quelques otages étrangers étaient embarqués par les terroristes dans des véhicules (4×4) se dirigeant vers le site gazier.

Entre la base-vie et le site gazier, les hélicoptères ont bombardé les véhicules les réduisant à néant», raconte péniblement l’otage, serrant les poings à l’évocation de ces souvenirs douloureux. Les otages livrent des récits bouleversants. Le directeur général de l’association Sonatrach-BP-Statoil, Lotfi Benadouda, était parmi les rescapés. Il livre le sien, en frémissant. «Le groupe terroriste qui s’est introduit dans la base cherchait les travailleurs étrangers. Nous, les Algériens, étions regroupés dans le foyer et les expatriés, retrouvés une heure après l’attaque, étaient parqués dans un bâtiment. Ils les ont ceinturés d’explosifs. Quand les assaillants ont vu qu’ils étaient encerclés par les forces de sécurité, ils sont allés chercher des véhicules, du fioul et de la nourriture. Ils ont fait monter les étrangers dans les véhicules pour rejoindre l’usine. Dans la pagaille générale provoquée par les tirs de l’armée, nous avons réussi à s’enfuir. S’ils m’avaient reconnu, je serais, aujourd’hui, parmi les morts…», relate-t-il, espérant voir l’installation gazière reprendre rapidement son activité.

La reprise de la production n’est pas pour demain

A l’usine, dont les conduits verticaux émergent d’un désert austère pour percer un ciel éclatant, des ingénieurs, dans l’attente de voir revenir leurs camarades étrangers, s’affairent jour et nuit à déminer l’installation pour faire redémarrer les machines. L’opération nécessitera beaucoup de temps. «Ça doit prendre normalement quelques jours. L’usine fonctionne avec une haute technologie d’où la nécessité d’inspecter minutieusement les machines et toute l’installation», assure un ingénieur, sans donner une date précise de la reprise de la production.

Les techniciens algériens redoublent d’efforts tout en ayant une pensée aux 37 de leurs camarades qui ont péri dans la tragique attaque du 16 janvier. «Nous travaillons sans relâche pour remettre l’usine en marche. C’est notre manière de rendre hommage à nos camarades que nous n’oublierons jamais», confie un ingénieur, la gorge nouée.
Les journalistes, particulièrement les Japonais et les Norvégiens, assaillent les ingénieurs et les responsables de l’usine de questions sur les conditions dans lesquelles leurs compatriotes ont péri. Ils n’obtiendront aucune réponse. «Il est important pour nous de venir sur le lieu où des Japonais ont été tués. Nous pouvons enfin montrer les images, mais nous repartons d’ici sans la moindre réponse aux questions que se posent nos compatriotes», nous dira un journaliste de la télévision japonaise. Pas seulement les Japonais. Tous les journalistes repartent de Tiguentourine sans réponses aux questions qui continuent à être posées sur les circonstances de la prise d’otages. Tant d’interrogations qui restent suspendues aux conclusions de l’enquête judiciaire ouverte à cet effet et de laquelle l’opinion nationale et internationale attend les conclusions.

Comment une telle prise d’otages a-t-elle pu se produire avec une telle aisance ? Y a-t-il une faille dans le dispositif sécuritaire ainsi que dans le système de renseignement ? Le site gazier, un des plus importants du pays, était-il suffisamment sécurisé ? Avant la prise d’otages, seule une petite compagnie de la gendarmerie assurait la sécurité. Elle escortait des expatriés lors de leurs déplacements vers l’aéroport situé à 60 km du site, en plus des patrouilles qu’elle effectuait la nuit. Elle est incapable de repousser une agression d’une grande ampleur comme celle du 16 janvier dernier.

Tiguentourine, perdue dans l’immensité du désert algérien, à seulement 60 km à vol d’oiseau des frontières libyennes, n’est pas près d’oublier le drame qui l’a si brutalement tirée de l’anonymat. Les profondes blessures sont difficiles à panser. Il faudra, certes, compter encore sur le courage de ces hommes pour y revenir travailler, et ils le feront certainement. Mais l’Etat, plus que jamais, reste attendu sur ce qu’il fera pour sécuriser réellement des sites qui, la prise d’otages l’a démontré, peuvent être la cible privilégiée en ces temps de grandes convulsions au Sahel. Tiguentourine n’est pas seulement un gisement gazier, qui participe à faire vivre le pays, ce sont aussi des populations qui y vivent, et celles-là on a, malheureusement, tendance à les oublier.

Hacen Ouali