En pleine tempête, Sonatrach affiche ses ambitions pour maintenir son statut

En pleine tempête, Sonatrach affiche ses ambitions pour maintenir son statut

par Abed Charef, Maghreb Emergent, 25 février 2013

Sonatrach est au cœur de la tempête. Scandales de corruption, mauvaise anticipation de la consommation locale, incidents à répétition, attaques terroristes : rien n’a été épargné à la compagnie algérienne, qui assure l’essentiel des recettes du pays en devises. Face à l’adversité, la compagnie veut faire front, en mettant en avant son poids économique, ses ambitions et ses projets.

Soumise à une très forte pression, Sonatrach tente de se maintenir à flots. La compagnie algérienne des hydrocarbures, au centre des festivités marquant la nationalisation des hydrocarbures, le 24 février 1971, maintient des projets ambitieux, qui en font la colonne vertébrale de l’économie algérienne. Mais incidents techniques, terrorisme et, surtout, scandales à répétition, ont sérieusement terni son image.

Dimanche, son PDG, M. Mohamed Zerguine, s’est encore livré à ce pénible exercice qui consiste à tenter de sauver l’image d’une entreprise minée par la corruption. Pour lui, il s’agit d’actes «individuels», a-t-il dit, ajoutant qu’ils «seront combattus avec la plus grande vigueur». M. Zerguine a même annoncé des mesures internes pour mieux contrôler la gestion, notamment par une révision de la fonction d’audit.

Mais ces déclarations ne changent guère la situation d’une compagnie très abimée, incapable de faire face à la tempête. Du reste, M. Zerguine lui-même parait sur un siège éjectable. Son limogeage a même été annoncé au début du mois par plusieurs journaux, ce qui montre que le patron de Sonatrach a perdu la main, même si le véritable centre de décision de la compagnie se situe traditionnellement au ministère de l’énergie.

L’ancien ministre de l’Energie, M. Chakib Khelil, avait poussé cette situation à son paroxysme lorsqu’il avait lui-même assuré la direction de la compagnie, avant de nommer un de ses proches, Mohamed Meziane, emporté dans un scandale de corruption avec son propre fils, actuellement en détention. Ce fut ensuite autour de M. Khelil lui-même d’être cité dans un immense scandale qui porterait sur 200 millions de dollars versés à de ses proches, M. Farid Bedjaoui, le neveu de l’ancien ministre des affaires étrangères Mohamed Bedjaoui.

Le président Abdelaziz Bouteflika lui-même s’est retrouvé contraint de prendre ses distances envers son ancien protégé Chakib Khelil. Il a exprimé sa «révolte» et sa «réprobation» face à ces scandales, ajoutant qu’il faut «situer les responsabilités et appliquer avec rigueur les sanctions» prévues par la loi.

MAUVAISE ANTICIPATION DU MARCHE INTERNE

Parallèlement à ces affaires de corruption, Sonatrach fait face à une situation délicate. Son patron, M. Zerguine, est très fragilisé après les rumeurs insistantes sur son limogeage, et ne semble pas en mesure de prendre les décisions énergiques qui s’imposent. En outre, l’entreprise a été contrainte de reconnaitre de graves défaillances d’anticipation.

Selon M. Zerguine, Sonatrach a acheté pour trois millions de tonnes de gas-oil en 2012, et devrait maintenir ces achats jusqu’à ce que de nouvelles raffineries entrent en production, probablement pas avant 2016. En cause, une mauvaise appréciation de l’évolution de la consommation interne de produits énergétiques, due notamment à un boom du marché de l’automobile. Selon M. Zerguine, la consommation a augmenté de «manière vertigineuse».

Des raffineries disponibles sont en cours de rénovation. Au total, la capacité de raffinage devrait passer de 22 à 27 millions de tonnes à la fin des travaux de rénovation. Mais dans l’intervalle, par souci d’économie, les raffineries ont été maintenues en production pendant la période de rénovation, ce qui a donné lieu à une série d’incidents techniques, notamment dans celle de Skikda. M. Zerguine a reconnu, là aussi, que les travaux de rénovation ont été «engagés sous le sceau de l’urgence». L’entreprise prévoit toutefois d’investir près de 15 milliards de dollars supplémentaires pour construire quatre nouvelles raffineries, ainsi qu’une autre, sur un port en off-shore, d’une capacité de 10 millions de tonnes, dédiée l’exportation.

Cette mauvaise passe a été couronnée, le 16 janvier, par la prise d’otages sanglante de Tiguentourine, près d’In Amenas, au cœur du Sahara. L’attaque avait fait 37 morts parmi les otages, et s’était soldée par l’élimination de 29 terroristes alors que trois autres étaient capturés. L’attaque a eu un effet psychologique certain sur l’industrie pétrolière, et le site de Tiguentourine, qui fournit 12% du gaz algérien, n’a commencé à fonctionner partiellement que le 24 février, avec la mise en route du train numéro 3, qui devrait produite trois milliards de mètres cube par an.

80 MILLIARDS DE DOLLARS DE PROJETS

Pour sortir la tête de l’eau, Sonatrach tente de faire valoir son poids énergétique et ses projets. L’entreprise annonce un programme de développement de 80 milliards de dollars sur cinq ans, ce qui a fait réagir un économiste, spécialiste du pétrole, qui note que l’industrie pétrolière risque de «fonctionner pour elle-même», en engloutissant l’essentiel de ses recettes. Mais pour la PDG de Sonatrach, le but est d’engager un grand travail de prospection, car le sous-sol algérien est insuffisamment connu, selon lui. Sonatrach compte ainsi passer à 180 puits par an, contre 70 à 80 actuellement.

Mais le déclin de la production algérienne est réel, selon M. Zerguine, bien qu’il soit compensé, à l’exportation, par la hausse des prix du pétrole. En 2012, les recettes d’hydrocarbures se sont maintenues, avec 72 milliards de dollars, les pertes en quantités exportées étant compensées par la hausse des prix. Malgré 32 découvertes réalisées en 2012, les réserves de l’Algérie ne sont renouvelées qu’à 30%, selon M. Zerguine, car les découvertes demeurent «modestes». Les réserves sont évaluées à quatre milliards de TEP (tonne équivalent pétrole), constituées pour «plus de la moitié» de gaz, le reste étant partagé entre pétrole et condensat. Ceci devrait permettre d’assurer une production de 225 millions de TEP en 2017, contre 210 actuellement.

L’autre menace pour Sonatrach provient de la surconsommation interne. Le faible prix des produits pétroliers «un manque de rationalisation» de la consommation, selon M. Zerguine. A cela s’ajoute un immense trafic aux frontières. «Nous sommes très préoccupés par cette situation», a déclaré à ce sujet M. Zerguine.

Même la production de gaz, qui s’élèves à 80 milliards de mètres cube par an, subit une forte pression. La consommation augmente de manière vertigineuse, réduisant d’autant les capacités d’exportation, évaluées à 60 milliards de mètres cube en 2012. Cela passera nécessairement par de nouvelles politiques de prix, qui dépassent Sonatrach.