Après Tiguentourine, la peur gagne Hassi Messaoud

Après Tiguentourine, la peur gagne Hassi Messaoud

El Watan, 22 février 2013

Un mois après l’épreuve de Tiguentourine, rien n’est réglé. Le Sud est plus que jamais la proie de groupes terroristes plus ou moins liés à Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI). Plus on se rapproche des zones économiques sensibles, plus la sécurité est renforcée. El Watan Week-end s’est rendu à Hassi Messaoud, haut lieu du secteur pétrolier, qui commence à prendre un nouveau visage.

Des barrages, tantôt de la police, tantôt de la gendarmerie. Et les puits de pétrole, l’une des principales richesses de l’Algérie, sont à proximité à brûler à travers les torches qui illuminent la ville et ses environs en pleine nuit. Hassi Messaoud vaque à ses occupations habituelles. Les travailleurs sont là. Les sociétés aussi. Et surtout la police ou la gendarmerie, quand ce n’est pas l’armée parfois. Car, depuis ce qu’on appelle couramment, à travers la wilaya de Ouargla, les «événements de Tiguentourine», Hassi Messaoud n’est plus tout à fait la même.

Hamid*, 34 ans, agent de sécurité dans la société américaine Weatherford, est assis à la terrasse d’un café sur le Boulevard, au centre-ville. Il fume cigarette sur cigarette. Il paraît stressé et pensif à la fois. «Comment ne pas être stressé, ici, s’interroge-t-il. Déjà qu’en temps normal, nous étions toujours surveillés alors que nous sommes nous-mêmes chargés de la surveillance. Maintenant, ça devient de la paranoïa. Wallah, kho, ça devient de plus en plus impossible de supporter de vivre ici». Supporter. Ce verbe est revenu fréquemment au fil de nos rencontres. Et les barrages sont devenus plus imposants qu’à l’accoutumée.

Drame

Un policier, qui a requis l’anonymat, explique ce renforcement de la sécurité par «l’effet Tiguentourine». «Hassi Messaoud n’est pas Tiguentourine, ni même In Amenas. Imaginez un instant si les terroristes s’en prenaient à une ou plusieurs bases-vie, à une ou plusieurs sociétés… Ça va être un véritable drame pour les décideurs, un véritable drame pour l’Algérie. C’est tout le système qui risque de vaciller, de tomber même. Voilà pourquoi nous sommes obligés d’agir ainsi, de même que les gendarmes et les militaires.

D’ailleurs, vous l’avez constaté certainement, les contrôles ont été renforcés selon que l’on vienne de Ouargla (80 km à l’ouest, ndlr), ou de Touggourt (165 km au nord, ndlr). Si un citoyen a une tête douteuse, c’est très simple, on ne le laisse pas rentrer à Hassi. Il est refoulé immédiatement sur Ouargla ou Touggourt. Nous avons des ordres, il faut les appliquer.» La physionomie de la ville a changé. Même si l’artère principale a eu droit à une nouvelle couche de goudron, ce qui frappe le visiteur, c’est le mur de conteneurs qui entoure désormais la société EuroJapan Motors. Désormais, le bâtiment même est à l’abri des regards. Et pour y accéder, il faut montrer patte blanche.

Bunkériser

Narimen*, qui travaille comme secrétaire à l’intérieur de l’édifice, pour une société qui fait de la sous-traitance, explique les raisons de ce changement : «Avant, il s’agissait simplement de se présenter au niveau de l’accueil et de laisser sa pièce d’identité, pour prendre un badge. Maintenant, il faut d’abord passer par le commissariat de police, pour toute formalité. La méfiance et la suspicion règnent, surtout depuis le mois de janvier. Hassi Messaoud est en train de se bunkériser. Il le faut, je pense. Des intérêts sont en jeu, tant pour les décideurs algériens que pour les sociétés étrangères. Alors un deal a été conclu sans doute entre parties occultes, pour arriver à cette situation. Mais à l’avenir, il va falloir être de plus en plus prudent. AQMI peut venir jusqu’ici.» AQMI, le mot est lancé. Et pourtant, les autorités ne veulent absolument pas le prononcer.

Trop tabou sans doute. «Je ne préfère pas citer cette organisation comme telle, s’énerve notre policier. D’ailleurs, nous avons des ordres : il s’agit uniquement de terroristes, rien que de terroristes qui nuisent à la sécurité de l’Etat tout simplement. Tout le monde est sur ses gardes, ça peut péter même ici ! D’ailleurs, toute la région est sous surveillance maximale. Je peux vous dire qu’un attentat peut survenir d’un jour à l’autre. Et si ça a lieu, ça peut être catastrophique !» Malgré ces propos, la population résidente à Hassi Messaoud continue de vivre comme si de rien n’était, mais Tiguentourine revient sans cesse dans certaines conversations.

«Tiguentourine, ce n’est pas si loin que ça, raconte Ali*, vendeur de thé, originaire de la wilaya d’Adrar. C’est juste à 700 km. Et qu’est-ce que c’est 700 km au Sahara ? Walou ! Quand l’affaire a éclaté, ça a fait comme un séisme ici. Un expatrié américain qui avait l’habitude de venir prendre le thé chez moi, malgré une escorte à ses côtés, n’est plus jamais revenu. Déjà qu’on ne les voit pratiquement pas, les étrangers. Ils ne viennent pour ainsi dire jamais en ville. En même temps, ils ont tout ce qu’il faut dans leurs bases-vie. Maintenant, je me pose des questions.

Slence radio

Pourquoi Tiguentourine ? Et si un jour ça tombait sur Hassi Messaoud ? Et si le pouvoir était complice dans tout ça, avec les Occidentaux ? Tout ça finit par m’empêcher de dormir. Mais bon, je continue, tant bien que mal à travailler, j’ai toujours des clients qui viennent boire mon excellent thé d’Adrar.» Les principaux sites sont presque bouclés : base du 24 Février, Bir Messaoud, Irara 1 (à proximité de l’aéroport Krim Belkacem) et Irara 2, sur la route d’In Amenas, où les contrôles sont renforcés. «Hassi Messaoud s’est parée de bleu et de vert. La police et la gendarmerie, quand ce n’est pas l’armée, sont omniprésentes à proximité des puits historiques, explique cet enseignant au lycée Toumiette, perché sur une butte dominant la cité 136 Logements.

D’ailleurs, même la police veille au grain pour protéger les professeurs comme les élèves, puisqu’elle a ouvert une brigade juste à côté du lycée. Parfois, elle procède à des contrôles d’identité. Plus pratique pour éviter des intrusions douteuses.» Chaque rue, chaque quartier, chaque secteur de la ville ont été sécurisés parfois au maximum, parfois de manière un peu plus discrète. «Des policiers, il y en a plus que d’habitude, reconnaît ammi Rabah*, retraité de l’Enafor. Mais parfois, on ne les voit pas. Ils peuvent circuler en civil. Alors il faut faire attention lorsque nous entamons une discussion surtout sur des sujets sensibles comme celui-là.» D’ailleurs, il préfère nous éviter, ayant compris qu’il avait affaire à un journaliste.

Alerte générale

Et il n’est pas le seul, même si la garantie de ne pas citer le nom est carrément explicitée. Quant aux autorités officielles, telles que l’APC ou la daïra, c’est silence radio total. A la marie de Hassi Messaoud, on nous a expliqué qu’il fallait une «autorisation officielle» pour un éventuel entretien avec soit le président de l’APC, soit même un élu. Même chose, pour accéder à l’intérieur d’une société. Cependant, un élu a accepté de se confier, même si ses propos restent flous : «Nous vivons une situation anormale depuis Tiguentourine. Tout le monde est aux abois. C’est l’alerte générale, ici. On ne le voit pas spécialement, histoire de ne pas terroriser la population, mais quelqu’un dont je ne peux dire le nom, m’a dit qu’un attentat se prépare dans les jours ou les semaines à venir. Soit une bombe, soit un enlèvement de travailleurs, étrangers de préférence. Pour la bombe, on pense à un attentat genre voiture piégée. Imaginez si ça se produit ici. Souvenez-vous de Ouargla, l’an passé. A Hassi Messaoud, ça aurait beaucoup plus d’impact même s’il n’y a pas de mort. Pourtant, ça risque de se produire. Je ne sais pas quand, mais un militaire m’a dit qu’une tentative a été déjouée en ce sens au début du mois, sauf que les autorités n’ont pas voulu alarmer les médias. La peur va désormais faire partie de la vie quotidienne ici.»

* Les prénoms ont été changés

La nouvelle vie d’un travailleur expatrié

Appelons-le Patrick, mais il aurait bien pu s’appeler Georges ou Jean-Jacques. Il est français, travailleur expatrié, un «expat’», comme on dit communément. Il a accepté de se confier à nous pour évoquer les nouvelles conditions de vie à Hassi Messaoud. «J’ai 35 ans. Je suis arrivé ici en 2008 et je travaille depuis 10 ans pour cette société française de catering. Je perçois actuellement un salaire mensuel net de 5000 euros avec des primes. J’avoue que parfois, c’est dur, de me retrouver loin de ma femme et de mon garçon de quatre ans. Mais jusqu’au mois de janvier, tout se passait bien. Même si j’ai eu rarement l’occasion de me balader à Hassi Messaoud. Mais très vite, lorsque l’attentat de Tiguentourine a éclaté, des mesures de sécurité supplémentaires ont été appliquées.

Interdiction formelle de sortir de la base, sauf pour un congé, et encore, le trajet vers l’aéroport doit se faire sous escorte renforcée avec l’armée. Interdiction formelle aussi d’adresser la parole à nos collègues algériens, sauf pour des raisons professionnelles. Il nous fallait cesser des relations d’amitié franche avec beaucoup. Ça a été dur, mais les ordres sont les ordres. Les Algériens qui travaillent chez nous sont régulièrement soumis à des contrôles, soi-disant ‘’par mesure de sécurité’’, mais pourquoi ? Certains travaillent ici depuis de nombreuses années, pourtant.

D’ailleurs, un possible rapatriement d’une partie du personnel français serait envisagé, à ce qui se dit. Le directeur de la société à Hassi Messaoud ne passe plus que par un seul Algérien en qui il a entièrement confiance. On se croirait presque revenu au ‘’ temps des colonies’’. J’attends mon prochain congé pour voir comment va se passer le trajet entre la base et l’aéroport. Un collègue m’a dit que c’est comme si on transportait un prisonnier. Terrible. Mais ce que je redoute, c’est mon retour. J’espère tout de même que Hassi Messaoud ne sera pas touchée par un attentat. Sinon, j’ose me tromper tout de même, mais nous risquons de mettre la clé sous le paillasson.»

Noël Boussaha