L’arme politique du pétrole contre l’OPEP

L’ARME POLITIQUE DU PETROLE CONTRE L’OPEP

par  M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 25 juin 2011

Le prix du baril du pétrole a connu une baisse importante ces dernières heures. Cette baisse ne résulte pas du fonctionnement des sacro-saintes règles du marché mais est due à une intrusion énergique de l’Agence internationale de l’énergie. L’AIE a en effet décidé d’utiliser les stocks stratégiques comme un levier destiné à augmenter l’offre et donc faire baisser les prix.

Du point de vue des règles du marché, constamment mises en avant par les pays industriels, cette intervention n’a aucune justification. La crise libyenne, invoquée pour expliquer cette décision, n’a eu pratiquement aucun impact sur un marché global qui est parfaitement approvisionné. La seule motivation de cette mesure est d’ordre politique. Barack Obama est en campagne et l’Agence internationale de l’énergie vole à son secours, tout en testant l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.

Les stocks stratégiques sont ainsi clairement détournés de leur vocation, qui est de répondre à des situations de rupture des approvisionnements. Ils sont utilisés comme une arme contre l’Opep.

Pour comprendre l’importance de la mesure, il faut souligner que c’est la troisième fois que l’AIE a recours aux stocks stratégiques en 37 ans. Même l’industrie pétrolière américaine, à travers l’American Petroleum Institute, parle d’une décision «inopportune» et d’un détournement de la vocation des stocks stratégiques, censés être utilisés exceptionnellement en situation d’urgence, de rupture des approvisionnements ou de pénurie «Il n’y a aucune situation d’urgence actuellement», a déclaré le porte-parole de l’American Petroleum Institute. Aucune considération objective ne soutient donc cette interférence sur le marché.

L’élément le plus remarquable est que l’Agence internationale de l’énergie n’a même pas laissé le temps aux Saoudiens de démontrer une nouvelle fois que c’est le royaume wahhabite qui reste le décideur en dernière instance de l’Opep. La dernière réunion de l’organisation de Vienne s’était achevée sans accord sur l’augmentation des quotas et l’Arabie Saoudite avait indiqué son intention d’augmenter unilatéralement sa production. L’AIE signifie ainsi que les producteurs, quelle que soit leur «bonne volonté» affichée, ne sont pas les acteurs décisifs du marché.

L’intervention de l’AIE altère la perception des marchés et modifie artificiellement la réalité de l’offre et de la demande. La baisse de 5 dollars vise d’abord le consommateur américain qui vit les affres d’une situation économique obstinément déprimée. Cette baisse pourrait également stimuler la reprise au Japon, qui se relève lentement du tsunami du 11 mars dernier.

Mais il ne s’agira en définitive que d’une piqûre revigorante aux effets limités dans le temps. Il est difficile d’envisager une baisse durable et significative des prix du pétrole tant que les structures actuelles de l’économie mondiale resteront inchangées. En l’occurrence, l’AIE ne joue pas le rôle de régulateur dont elle se targue mais apparaît comme un acteur intermédiaire dont les objectifs sont politiques et de court terme. Entre manœuvres politiques et spéculations financières, le marché pétrolier relève davantage de variables d’ajustement pour des intérêts qui ne sont ni ceux des producteurs ni ceux des consommateurs. Les donneurs de leçons de libéralisme, si prompts à réprimander ceux qui n’observent pas la religion du marché, restent silencieux. Est-ce vraiment surprenant ?