Ce que préconisent les experts pour éviter à l’Algérie de sombrer dans la crise

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Ce que préconisent les experts pour éviter à l’Algérie de sombrer dans la crise

Shahinez Benkaci et Tewfik Abdelbari, TSA, 3 novembre 2015

Le Conseil national économique et social (Cnes) a émis des recommandations au gouvernement, dans un contexte de fort recul – près de 50% – des recettes pétrolières de l’Algérie pour éviter au pays de sombrer dans la crise et favoriser « l’émergence de l’économie algérienne ». Le document, dont TSA détient une copie, comporte 50 propositions d’ordre fiscal, administratif et réglementaire, notamment. Il a été remis au Premier ministre. Le document a été élaboré après la rencontre Cnes-gouvernement tenue le 20 septembre dernier.

L’organisme socioéconomique appelle le gouvernement à revoir sa copie en ce qui concerne le projet de Loi de finances (PLF) pour 2016. En effet, certaines des propositions, au nombre de 18, sont jugées urgentes et ont vocation à entrer en vigueur « à très court terme », soit dès la promulgation de la prochaine Loi de finances. D’autres sont conseillées pour le « court terme » (20) tandis que les 10 dernières sont prévues « à moyen terme ». TSA vous propose un résumé des principales mesures proposées par le Cnes.

Rationnaliser la dépense publique : cibler les subventions

Le « collège des experts » du Cnes rappelle que les subventions explicites et implicites atteignent l’équivalent de 30% du PIB algérien. Une situation « intenable », estime le Cnes. Il appelle donc à réduire les subventions et procéder à un meilleur ciblage.

Pour ce faire, le Cnes propose d’aller, à termes, vers une suppression des subventions généralisées et y préférer un système d’allocations monétaires directes aux ménages défavorisés, en s’appuyant sur le numéro d’identification national (NIN). En attendant, les experts du Cnes veulent mettre en place des quotas de produits subventionnés. Cette solution a été brièvement envisagée par le gouvernement pour les carburants, avant d’être abandonnée.

À défaut, le Cnes préconise notamment une augmentation des prix des carburants plus importante que prévue dans le PLF 2016 : 10 dinars d’augmentation pour le litre d’essence et 15 dinars de plus pour le litre de gazole (diesel).

En termes de dépenses publiques, le Cnes préconise des coupes drastiques dans les dépenses de fonctionnement. En effet, pas moins de 20% de réduction à étaler sur une période de 4 à 5 ans, selon le « collège des experts ». Une façon de procéder serait de maintenir le « montant nominal actuel des dépenses » et laisser l’inflation faire son effet. Déjà, la première proposition du Cnes consiste à tracer une « trajectoire budgétaire » sur 3 à 4 ans, pour répartir l’effort dans le temps et éviter de « gripper le moteur de la croissance. »

Par ailleurs, les experts estime qu’il faut parvenir à financer la totalité du budget de fonctionnement par la fiscalité ordinaire. Pour ce faire, le premier objectif serait d’augmenter le taux de couverture de 15 à 20% en l’espace de 5 à 7 ans. Enfin, l’institution dirigée par Babes appelle à baisser de 5% les salaires des hauts fonctionnaires et cadres supérieurs de l’État, à titre symbolique, afin que le gouvernement et l’administration montrent l’exemple.

Mesures fiscales et parafiscales ciblées : revoir l’IBS

Le « collège d’experts » du Cnes recommande l’application d’un taux de l’Impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) d’un minimum de 30% pour l’activité d’importation en vue de la revente en état. Dans le même temps, ils appellent également à l’augmentation de l’IBS pour les services – en dehors des services « nobles » (à haute valeur ajoutée et technologique) – ce qui permettrait une baisse de 2 à 3 points de l’IBS pour le secteur industriel. Ainsi, le Cnes s’aligne sur les demandes du patronat, le Forum des chefs d’entreprises (FCE), qui a vu ses demandes rejetées au moment de l’entrée en vigueur de la Loi de finances complémentaire pour 2015.

Le Cnes préconise également de moduler les périodes d’exonération de paiement de l’IBS selon les secteurs d’activités, afin d’encourager l’investissement dans les activités à rentabilité lente, comme l’industrie. Dans le même sens, il juge opportun de revoir les différentes dispositions de bonification fiscale, notamment en introduisant une « discrimination favorable » à certains secteurs pour booster la création de micro-entreprises innovantes, notamment dans l’économie numérique.

Concernant le paiement de la vignette automobile, les experts préconisent une augmentation de 50% de son prix pour les véhicules à motorisation essence, une augmentation de 100% pour les véhicules diesel et de doubler, voire tripler le montant de la vignette pour les véhicules de luxe dépassant les 10CV.

Par ailleurs, afin de lutter contre l’explosion de la facture des importations qui frôlent les 60 milliards de dollars, les experts du Cnes proposent l’instauration de taxes élevées sur les produits de luxe ainsi que les biens pour lesquels le pays dispose de substituts. Ils rejoignent les propositions de deux économistes algériens qui appellent à instaurer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) modulable selon l’origine des produits.

Selon le document du Cnes, le système fiscal pour les charges sociales devrait être simplifié, en mettant en place une contribution unique, payable mensuellement. En effet, les charges sociales doivent être fixées sur un pourcentage des recettes totales et non plus selon la masse salariale, ce qui inciterait les entrepreneurs à déclarer leurs salariés informels, toujours selon le Cnes

Pour diminuer de manière significative la progression de la consommation d’énergie, les experts s’intéressent notamment aux véhicules et aux climatiseurs qui, selon eux, devraient être taxés selon leur efficacité énergétique par « paliers de 100% ». De plus, pour freiner les importations, ils ajoutent que l’Algérie devrait adopter des normes restrictives, proches des normes européennes.

Réduire la bureaucratie et améliorer l’administration

Sur le volet administratif, le Cnes appelle le gouvernement à réduire la bureaucratie et améliorer la gestion de l’économie. Pour ce faire, l’on citera la décentralisation de l’administration en donnant plus de liberté d’action aux administrations locales, notamment pour la levée des impôts locaux. L’efficacité de l’administration passe également par une simplification des procédures pour la création d’entreprises, une extension des prérogatives des ministres afin qu’ils puissent avoir une capacité de réaction plus rapide, notamment pour améliorer les facultés d’adaptation et la flexibilité de l’administration, selon le Cnes. Celui-ci préconise de fixer des objectifs aux administrations, notamment ministérielles, en vue d’améliorer la contribution de leurs secteurs respectifs au PIB, par exemple.

Par ailleurs, le Cnes propose de revoir la configuration actuelle du système de gestion du budget en l’orientant vers « une configuration par objectifs, par projet et par programme ». Il faut également que le gouvernement utilise des outils modernes, « universellement adoptés », comme le « planning and programming budget system » (PPBS) ou encore la « révision générale des politiques publiques » (RGPP).

De plus, les experts recommandent d’impliquer les institutions internationales, telles la Banque Mondiale ou le FMI, dans le cadre de partenariats public-privé (PPP) pour le financement de projets d’équipement. Cette mesure est un moyen pour réduire les gaspillages et la corruption, rappellent-ils.

Les experts proposent aussi de segmenter le financement du déficit budgétaire en deux parties : le budget d’équipement passerait par le marché financier, à travers l’émission d’obligations, tandis que le déficit du budget de fonctionnement serait financé par un emprunt interne de « solidarité nationale », avance le Cnes.

Promouvoir l’investissement : une règle 51/49% modulable

La promotion de l’investissement passe également par la levée des contraintes, notamment réglementaires. Ainsi, le Cnes appelle à revoir la règle 51/49% sur le partenariat étranger. Celle-ci devrait se limiter aux secteurs stratégiques à identifier, estime le Cnes. Le secteur du tourisme est considéré comme le plus propice à une règle 51/49% « à géométrie variable », poursuivent les experts.

Le développement du partenariat public-privé (PPP) est également une priorité du Cnes. Dans ce cadre, les experts invitent le gouvernement à utiliser le Fonds de régulation des recettes – qui sert actuellement à combler le déficit budgétaire – pour financer les projets d’infrastructures, en créant un effet de levier : le PPP, les banques publiques et bailleurs de fonds internationaux pourraient mobiliser des ressources équivalentes à 10 fois la valeur du FRR (250 milliards de dollars), sous forme d’obligations liées aux projets réalisés (project bonds).

Dans le domaine financier, il est nécessaire « d’activer les dispositions concernant le marché à terme des devises », selon le document. Cette mesure permettrait aux entreprises, notamment celles qui importent de la matière première de l’étranger, de se prémunir contre les risques de change.

Une levée des contraintes bureaucratiques concernant les assiettes foncières pour les infrastructures touristiques, et l’amélioration des conditions de financement des projets entrant dans le cadre de la promotion des activités touristiques seraient un mécanisme d’encouragement de l’investissement national et étranger, selon le document du Cnes. Il est également préconisé de permettre au secteur privé de prendre en charge l’aménagement des zones d’expansions touristiques.

L’Algérie : une plateforme logistique mondiale et championne des énergies renouvelables

Par ailleurs, le Cnes estime que la position géographique de l’Algérie pourrait faire de notre pays une plateforme logistique mondiale. Avec la hausse des salaires en Chine, la main d’œuvre algérienne est relativement compétitive et la situation géographique centrale de l’Algérie lui confère un avantage certain : ainsi, le pays pourrait devenir une destination de délocalisation des activités production, selon le Cnes. Mais pas seulement. Les experts estiment que l’Algérie peut devenir une plateforme logistique mondiale à moyen terme, vers l’Afrique à travers Tamanrasset, vers l’Asie grâce au Canal de Suez et vers l’Europe, de par sa proximité géographique.

Enfin, le Cnes veut progressivement faire de l’Algérie un « champion mondial » des énergies renouvelables, au vu du potentiel énergétique de l’Algérie. Cela passe par le développement du solaire et de la géothermie. À ce titre, le Cnes rappelle le rôle précurseur de l’Algérie pour la gaz naturel liquéfié (GNL) dans les années 1960.