La dette extérieure de retour dans le débat public

La dette extérieure de retour dans le débat public

Hassan Haddouche, Maghreb Emergent, 9 février 2016

Le débat sur l’opportunité du recours à l’endettement extérieur a fait, au cours des dernières semaines, un retour en force dans le sillage de l’annonce officielle de la signature d’un accord avec les autorités chinoises pour le financement du futur port de Cherchell.

Pour ne reprendre que les déclarations les plus significatives, tandis que le professeur Abdellatif Benachenhou affirmait il y a quelques jours que « le recours à l’endettement extérieur en ce contexte de crise financière doit à tout prix être évité », M. Ahmed Ouyahia déclarait, de son côté, le week-end dernier, que l’Algérie « pourrait recourir à l’endettement extérieur mais pour quelques projets stratégiques seulement ».

Le recours au financement extérieur avait déjà commencé à être évoqué sans complexe au cours des derniers mois par certains membres du gouvernement. C’est ainsi que le ministre du Commerce avait expliqué voici quelques semaines qu’il ne fallait plus « diaboliser l’endettement extérieur ». M. Bekhti Belaïb, avait annoncé, plus précisément la possibilité pour l’Algérie de contracter un prêt auprès de la Chine pour financer certains grands projets. Le ministre du commerce était cependant encore resté prudent en précisant qu’il s’agit d’une « exception » que compte faire l’Algérie « compte tenu des faibles taux d’intérêt appliqués par la Chine et de la qualité des relations entre les deux pays ».

Le port de Cherchell ouvre la voie

Le 17 février dernier , on annonçait de façon très officielle que l’Algérie venait de formaliser sa décision de recourir à des emprunts extérieurs pour le financement d’un projet d’équipement. Il s’agit du nouveau port commercial du Centre, prévu à Cherchell. Le coût du projet, très élevé, est évalué à 3,3 milliards de dollars. Il sera soutenu financièrement grâce à un crédit chinois à long terme. Selon l’ambassadeur chinois en poste à Alger, les deux sociétés chinoises et le Groupe public national des services portuaires qui ont signé le protocole d’accord portant sur la réalisation du port de Cherchell procéderont à la création d’une société mixte de droit algérien. C’est cette société qui se chargera de l’obtention d’un prêt auprès des banques chinoises.

Le partenariat algéro –chinois, une chance pour l’Algérie ?

Ce projet est-il une opportunité à saisir pour l’Algérie ? Oui, semble dire dans une contribution, publiée cette semaine, le professeur Raouf Boucekkine dont l’avis n’est pas anodin puisqu’il vient d’être désigné parmi les experts de la « task force » économique chargée de conseiller le gouvernement. Selon cet expert algérien « le projet du port de Cherchell peut être une vraie chance pour notre pays sous deux conditions : d’abord qu’il soit complété par un vrai projet industriel à la mesure de la superstructure portuaire et ensuite que les conditions financières et fiscales soient d’ores et déjà de nature à assurer une répartition équilibrée des coûts de tout ordre entre les partenaires ». M.Boucekkine ajoute que la Chine souhaite s’engager à long terme en Algérie dans des conditions qui sont très loin de celles, très discutables, qu’elle a jadis mis en œuvre en Afrique. Il estime donc que « dans les circonstances économiques actuelles, cela peut être très utile et même crucial pour notre pays du double point de vue du financement des équipements stratégiques et de la diversification. Mais il convient d’être très rigoureux jusqu’à l’ultime détail dans ce partenariat original à bien des égards ».

En attendant d’autres projets ?

Le financement de la construction du port de Cherchell restera-t-il une « exception », comme le suggèrent pour l’instant les pouvoirs publics algériens, ou bien n’est-il que le premier d’une longue série ? Pour résoudre l’équation devenue compliquée du financement des investissements publics, il faudra, selon un certain nombre de spécialistes, multiplier dans la période à venir les solutions en renonçant en chemin à un certains nombre de dogmes. Au premier rang d’entre eux figure l’interdiction de l’endettement extérieur. Ainsi que le confiait récemment, à Maghreb émergent, M. Adel Si Bouakaz, qui se trouve être un autre membre de la « task force » réunie par M .Sellal : « L’Algérie participe à un certain nombre de structures multilatérales comme la Banque africaine de développement ou la Banque mondiale, qui ne demandent qu’à pouvoir s’exposer un peu plus dans notre pays. En outre, de nombreux fonds d’investissements sont spécialisés dans le financement des infrastructures alors même que de nombreuses sociétés portuaires aéroportuaires ou de gestion des autoroutes peuvent être très rentables comme le montre l’expérience des pays voisins ». Il s’agit, peut être, d’un nouvel indice. Certaines sources évoquent la possibilité d’un emprunt contracté par l’Algérie auprès de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) en 2016.

Un possible endettement sur les places financières mondiales ?

L’Algérie peut-elle aller plus loin dans sa démarche de recours à l’endettement extérieur ? On peut certainement en douter. M. Ali Benouari, ancien ministre du budget mettait récemment les autorités financières algériennes « au défi » de lever actuellement « ne serait – ce qu’un milliard de dollars sur les marchés internationaux de capitaux ». « Impossible », affirme-t-il, en raison des perspectives très peu favorables de nos finances extérieures. « Les banques internationales ne nous prêteraient qu’à très court terme, 2 ou 3 ans au plus, et à des taux d’intérêt élevés », explique M. Benouari. Ce n’est pas l’avis de M. Kamal Benkoussa, expert financier à la City de Londres qui a proposé sur RadioM, un mode d’endettement plus classique, qui verrait l’Algérie utiliser de 10 à 20 milliards de dollars d’actifs en bons du trésor américain en collatéral auprès de grands bailleurs de fonds internationaux afin de lever jusqu’à quatre fois ce montant. L’avantage de cette démarche, selon M Benkoussa, est que cette disponibilité de financement permettrait à l’Algérie de s’émanciper d’un tête-à-tête avec le partenaire chinois pour choisir librement les entreprises qui vont réaliser de grands équipements en Algérie au cours des prochaines années. Pour l’ancien candidat à la présidence de la république, cette option mérite d’autant plus d’être examinée que « les chinois peuvent proposer des taux d’intérêt plus bas mais se rattrapent en surfacturant leurs ouvrages ».

Des aides à la balance des paiements ? Pas pour tout de suite

Un dernier aspect de la problématique de l’endettement extérieur a déjà fait son apparition, sans doute prématurément, dans le débat national. C’est un ancien premier ministre, M. Ahmed Benbitour, qui faisant récemment, dans une interview publiée par nos confrères d’El Watan, allusion explicitement aux aides à la balance des paiements accordées par le FMI et déclarait en substance que l’Algérie « ne pourra pas s’endetter » du fait qu’elle ne sera plus solvable dans les prochaines années.

Moins pessimiste, un expert national comme Rachid Sekak dont le point de vue sur ces questions fait autorité, nous déclarait que « le niveau actuel des réserves de changes procure une certaine visibilité à la balance des paiements au cours des 4 ou 5 prochaines années, pour peu que le prix du baril évolue entre 50 et 60 dollars et que la quantité d’hydrocarbures exportés cesse de reculer». Rachid Sekak ajoutait que « nos marges de manœuvre sont plus importantes qu’en 1986. Outre nos réserves de change, notre dette extérieure est faible (environ 3 milliards de dollars) et bon marché (le service de la dette représente 1 % de nos exportations). Mais ces marges de manœuvre bien réelles ne doivent surtout pas être avancées pour justifier un statu quo. Il ne s’agit pas de ne rien faire car la fenêtre de tir est étroite. Il ne faut ni s’alarmer, ni s’endormir, mais bouger dans la bonne direction avec ambition et courage. Est –ce le cas actuellement ?», interroge l’expert algérien.

Le Fonds monétaire international lui-même ne semble d’ailleurs pas dire autre chose. Dans un rapport publié en décembre 2015, il considérait, évoquant le cas de l’Algérie et celui similaire de quelques autres pays pétroliers, que si ces pays «ne cherchent pas à diversifier leurs économies ou à emprunter de l’argent sur les marchés internationaux, ils seront à court de liquidités au plus tard dans 5 ans».