Procès Sonatrach 1 : Des absents et des questions sans réponses

Procès Sonatrach 1 : Des absents et des questions sans réponses

par M. Aziza, Le Quotidien d’Oran, 9 janvier 2016

L’affaire Sonatrach 2, et Mohamed Réda Hemech, ancien directeur de cabinet du P-DG Mohamed Meziane, se sont invités, dans le procès de Sonatrach 1, lors de l’audition du troisième groupe d’accusés, supposés impliqués dans le contrat relatif à la réhabilitation du siège de Sonatrach à Ghermoul, ce jeudi, au Tribunal d’Alger.

Le déclic, venait des déclarations de Nouria Meliani, responsable du bureau d’études CAD, ayant remporté le projet, dans sa partie étude pour la réhabilitation du siège de Ghermoul, ainsi que plusieurs contrats non achevés et qui sont restés en suspens (passif de BRC, filiale de Sonatarch dissoute).

Le juge Mohamed Reggad, a damandé à Nouria Meliani, quelle est la fonction exacte de Hemech Mohamed Réda, qui aurait, selon ses déclarations, devant le juge instructeur, intervenu pour qu’elle bénéficie de plusieurs contrats de gré à gré, avec Sonatrach.

Elle répond qu’il est «l’ami de la famille», l’ami de son oncle qui travaillait, dans le corps diplomatique». Et de préciser «on est du même patelin», mais elle dit ne pas connaître la fonction exacte de Hemech Mohamed Réda. Et de souligner, devant le juge, «qu’il était un cadre important à Sonatrach». Face à cette réponse vague, le président de l’audience a appelé Chawki Rahal, ex-vice-président du groupe pétrolier, chargé des activités commerciales : «vous connaissez la fonction de Hemch Mohamed Réda ?». Rahal répond «Il était au dixième étage, là où il y a les hauts cadres, il occupait le poste de directeur de cabinet de l’ex-PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane».

Le président de l’audience, revient pour demander à Nouria Meliani, si «c’est lui qui a intervenu auprès des hauts cadres de Sonatrach pour que vous bénéficiez de contrats, avec Sonatrach ? Elle répond «non, j’ai sollicité son intervention pour qu’il m’aide à récupérer mon argent». Et affirme que sur 45 millions de DA, frais de l’étude, la Sonatrach n’a payé que la moitié, j’ai eu droit à 50 %. «Ils ont refusé de me payer le reste, sous prétexte que les ingénieurs de Sonatrach n’ont pas apprécié mon travail», atteste-t-elle.

Le juge insiste «pourquoi avez-vous versé 5.000 euros dans le compte de Hemch, et par la suite vous avez injecté 2.000 euros dans le compte de son épouse et 16.000 euros pour l’achat d’une Mercédès en son nom ?» Elle précise que la Mercedes était une voiture d’occasion. «Mais, c’est une Mercédes», lui précise le juge. Selon Nouria Meliani, Hemch lui a demandé de lui prêter cet argent, qui a été totalement, remboursé par la suite. Le juge insiste « est-ce Hemch Réda vous a harcelé pour que vous lui payez les frais de service». Elle insiste «non, ce sont des prêts, je lui prêtais, seulement, de l’argent, je ne peux pas fournir plus de détails, ça concerne l’affaire de Sotarach 2, dont l’instruction est en cours ».

L’avocat de Meliani intervient, en relevant, qu’il y a une certaine confusion entre les déclarations faites par sa cliente, devant le juge instructeur, dans l’affaire de Sonatrach 1 et l’affaire Sonatrach 2.

Le président de l’audience, Mohamed Reggad, insiste «non ce sont en fait, ses propos devant le juge instructeur, dans l’affaire de la Sonatrach1».

Le juge fait remarquer à Nouria Meliani qu’elle est poursuivie pour blanchiment d’argent, en faisant ressortir une longue liste des biens acquis en France, et une multitude de comptes bancaires avec plusieurs montants, certains provenant de ses entreprises et d’autres entreprises avec lesquelles, elle traitait, cela va des deux bureaux d’étude et d’architecture, à la vente et l’achat du sucre, jusqu’à la création d’une entreprise de cosmétiques, «de renommée mondiale» dit-elle. Nouria Meliani a affirmé qu’elle n’a pas de biens en Algérie, car elle avait programmé son départ définitif de l’Algérie pour s’installer en France, avant l’éclatement de cette affaire, pour des raisons de santé. «J’ai uniquement une maison que j’ai acquise en 1995, pour une somme de 3 millions de DA, car j’étais employé de la CNEP». Elle a indiqué, également, être propriétaire d’une villa à Oran.

Nouria Miliani a voulu disculper, lors de son audition, Mohamed Senhadji, ancien directeur des Activités centrales, en affirmant qu’il n’est intervenu qu’au bout de la chaîne, dans la signature du contrat. Et d’ajouter que «s’il y a eu une erreur, la responsabilité est partagée par les 50 cadres de la Sonatrach et non pas, seulement, par Senhadji».

Mohamed Reggad lui rappelle que le jugement revient au juge et non pas à elle. Mohamed Senhadji est appelé à la barre, et le juge lui demande «dans vos déclarations, devant le juge d’instruction, vous aviez affirmé que les contrats de gré à gré ont été accordés au bureau d’étude CAD, grâce à l’intervention de Réda Hemech».

Mohamed Senhadji dément et affirme «c’est le juge instructeur qui m’a dit que Nouria Meliani avait affirmé qu’elle a bénéficié de l’intervention de Hemech, pour remporter les contrats de gré à gré, j’ai tout simplement dit, peut-être».

La patronne de CAD continue à réclamer les factures non payées par Sonatrach, elle a affirmé qu’elle continuera à les réclamer, après la fin du procès en cours.

MAITRE BRAHIMI CONTESTE L’ABSENCE DE HEMECH A CE PROCES

Maitre Brahimi intervient, en pleine audition de la patronne du bureau d’étude CAD, pour demander au juge, pourquoi Hemech Mohamed Réda , supposé avoir perçu des cadeaux de la part de Nouria Meliani , en profitant de son poste et en intervenant, auprès des cadres de Sonatrach, en faveur de Meliani, n’est-il pas parmi les inculpés ?

«Monsieur le juge, cet ex-directeur de cabinet de l’ex P-DG de Sonotrach, en retraite actuellement, est à l’étranger. Il n’est pas du tout inquiété. Pourtant, vous avez bien évoqué son implication dans cette affaire, en le citant et en interrogeant Nouria Meliani, sur sa personne».

Il s’interroge «y a-t-il des super-citoyens et des sous- citoyens ?»

Maitre Brahimi, revient pour interpeller, directement, le procureur général en dénonçant «la politique de deux poids, deux mesures». Et de l’interroger «pourquoi n’avez-vous pas requis son inculpation ?»

L’ex directeur de cabinet de Mohamed Meziane, Hemech Mohamed Réda serait, apparemment, en Suisse, actuellement. Ce n’est pas le seul absent réclamé. L’accusé dans cette affaire, Mouloud Aït El-Hocine, directeur technique de l’activité de commercialisation, s’est interrogé sur l’absence de Mohamed Benabbès, son supérieur hiérarchique, qui occupait le poste de directeur de l’Administration et des Moyens généraux de l’activité commercialisation. Il a même indiqué, devant le juge, qu’il y a eu dissimulation des faits et des documents, dans cette affaire de Ghermoul. Sans pour autant citer, l’ex-ministre de l’Energie, plusieurs cadres impliqués, ont affirmé, qu’ils ont agi, suite à ses instructions, pratiquement dans les trois affaires.

LE CONTRAT AVEC IMTEC ANNULE APRES «INSISTANCE» DU DRS

Chawki Rahal, l’ex vice-président du groupe Sonatrach, chargé des Activités commerciales, a affirmé au juge Mohamed Reggad, qu’il n’a subi aucune pression, dans les locaux du DRS, au cours de l’enquête, et au cours de son interrogatoire.

Mais, il a tenu à préciser, dès que j’étais informé, en août, par la police judiciaire qu’il y a malversations dans l’octroi du contrat accordé à l’entreprise allemande IMETC, pour la réhabilitation de l’ancien siège, pour un montant de 48 millions d’euros, après les négociations sur un prix initial de 71 millions d’euros, pour la partie réalisation, j’ai suspendu le contrat. Et de souligner qu’il avait informé ses supérieurs que ce soit le P-DG de Sonatarch ou le ministre de l’Energie. Il précise qu’il a été invité, à trois reprises, par les éléments de la DRS, pour l’annulation, pure et simple, du contrat, «j’ai, suite à ma visite des locaux de la DRS, informé, encore une fois, mes supérieurs, mais je n’ai pas eu de réponse. Il explique que les choses semblaient compliquées, car après l’ouverture de l’offre financière et après la signature du contrat, il est interdit de le rompre, car celui qui remporte le marché a le droit de demander d’aller vers l’arbitrage», a-t-il dit.

«J’ai fini par convaincre l’ex-PDG de la Sonatrach et l’ex-ministre d’annuler le contrat, suite à ma dernière convocation, par le DRS. «J’ai informé mes supérieurs que je ne suis pas le vice-président de Ghermoul, mais de l’activité commerciale, et que j’en ai ras-le-bol». Et de poursuivre «suite à cela, j’ai obtenu une décision écrite de la part de l’ex ministre, de l’ex P-DG de la Sonatrach, pour l’annulation du contrat». Et de conclure «mon seul souci était de préserver les intérêts de mon entreprise» conclut-il.

Le procès reprendra, demain dimanche, avec l’audition des entreprises étrangères, impliquées dans l’affaire Sonatrch 1 : Funkwerk, Saipem, IMTEC.


Tribunal criminel d’Alger : affaire Sonatrach 1

L’ombre de Réda Hemch…

El Watan, 9 janvier 2016

Le procès Sonatrach 1 s’est poursuivi jeudi dernier, au tribunal criminel d’Alger, avec l’audition de plusieurs accusés, poursuivis dans le cadre du dossier de réfection et de réalisation du bâtiment de Ghermoul à Alger.

Celle de Nouria Meliani, patronne du bureau d’études privé CAD, a le plus retenu l’attention de l’audience. Poursuivie pour les délits de «passation de contrat en violation de la réglementation pour bénéficier d’un pouvoir et d’une influence sur les agents de l’entreprise dans le but d’augmenter les prix», «complicité dans la dilapidation des deniers publics», «blanchiment d’argent» et «trafic d’influence», elle commence par «corriger» certains propos d’accusés relatifs au montant du contrat lié à l’étude de réfection du bâtiment de Ghermoul : «Des chiffres erronés ont été rapportés par la presse.

Nous utilisons des barêmes définis par un arrêté interministériel. Le montant du contrat est de 45 millions de dinars et non pas de milliards de dinars.» Le magistrat lui fait savoir que «la presse est libre d’écrire», avant de la faire revenir aux modes de soumission.

Elle explique qu’elle a obtenu de nombreux marchés, notamment auprès de BRC, une filiale de Sonatrach, avec de «petits» montant allant de 3 à 6 millions de dinars. «Ce n’est pas à moi de vérifier ou de remettre en cause un marché que m’attribue Sonatrach.» Le juge lui demande comment elle a obtenu le gré à gré. «Lorsque j’ai appris par mes confrères architectes que Sonatrach lançait un avis d’appel d’offres, j’ai été retiré le cahier des charges. Il comportait des vides et des articles contradictoires. J’ai soumissioné au nom de CAD. C’est la commission d’ouverture des plis qui a commis l’erreur de mentionner le nom de Promed.

Je me réfère toujours au code des marchés publics», explique-t-elle avant que son avocat, Me Miloud Brahimi l’interrompe : «C’est ma cliente, mais je dois lui dire que Sonatrach n’obeit pas au code des marchés publics.» Le président demande à l’accusé de poursuivre. Elle revient sur la procédure des soumissions. «Nous avions déposé les offres techniques et commerciales en même temps.

Ce qui prouve notre honnêteté. Il y avait plusieurs soumissionnaires, dont des étrangers, alors que l’article 8 stipule qu’il faut être agréé auprès de l’ordre des architechtes», poursuit Mme Meliani. Elle affirme avoir recu, par la suite, un fax de Abdelaziz Abdelwahab, l’informant qu’elle était attributaire du projet.

Ce fax, dit-elle, constitue pour elle un bon de commande qui lui permet d’entamer la première étape de l’étude qui est la réalisation d’une esquisse. Le juge lui fait savoir que le marché lui a été attribué de gré à gré. L’accusé : «Je l’ignore.» Réponse qui fait bondir le magistrat : «C’est mentionné dans le contrat…» L’accusée reprend le contrat. Elle lit la mention «gré à gré». Le juge : «N’avez-vous pas lu ce contrat avant de le signer ? » L’accusée se tait.

Elle semble destabilisée mais se reprend : «Ce n’est pas moi qui l’ai signé. J’étais absente ce jour-là, pour des raisons de santé. Un de mes ingénieurs l’a signé à ma place.» Le juge l’accule. Elle déclare : «Pour moi, j’étais avec une grande entreprise. Si c’était une société privée j’aurais tout vérifié.» Le juge : «Qui a signé avec vous ?» L’accusée : « M. Senhadji. L’estimation du montant a été faite sur la base de ce qui se fait sur le marché. La liste des plans déposée en octobre 2008 était conforme au contrat.

Les ingénieurs ont émis des réserves formelles. J’ai vu Abdelaziz Abdelwahab, directeur chargé de la gestion du siège Ghermoul, auquel j’ai posé le problème, mais je n’ai pas eu de réponse.» Le juge lui fait savoir que certains cadres ont jugé son bureau d’études non qualifié pour le projet. L’accusée : «J’ai respecté toutes les clauses du cahier des charges. Aït El Hocine a saisi mon bureau par mail, nous demandant d’analyser l’offre de la société allemande Imtech pour la réalisation de Ghermoul. La conclusion lui a été transmise. Elle disait que les prix d’Imtech étaient très élevés.»

Le juge appelle Abdelaziz Abdelwahab qui dit ignorer totalement cette étude. Puis c’est au tour de Mouloud Aït El Hocine, président de la commission technique de la direction des activités commerciales, d’être confronté aux propos de Meliani. Il confirme avoir sollicité par mail deux bureaux ACT et CAD, pour leur demander une analyse des prix d’Imtech : «Leurs réponses disent que le montant paraît un peu fort.» Le juge lui précise : «La conclusion ne dit pas que les prix sont acceptable.» Il appelle Chawki Rahal, ex-vice-président des activités commerciales, qui confirme avoir reçu cette analyse.

Le juge revient à Nouria Meliani et lui précise qu’elle est «la seule à avoir cité ce document». Il rappelle à la barre les autres accusés. Abdelaziz Abdelwahab, persiste à affirmer que Mme Meliani «avait été informée officiellement» du gré à gré, Mouloud Aït El Hocine dit «ne pas être au courant», alors que Chawki Rahal indique qu’il ne pouvait le savoir, puisque le dossier était déjà transféré à la direction des activités centrales. Mme Meliani : «Nous avons reçu la lettre rattachée à un PV de réunion, un mois après la désignation de mon bureau. Ils évoquent tout sauf le mode de passation.»

Abdelaziz Abdelwahab : «La reunion s’est tenue au siège de la commission des marchés de l’activité commercialisation et non pas à celui des activités centrales. Mme Meliani était au courant à partir du moment où elle a présenté l’esquisse, et qu’il y a eu des modifications.»
Le juge passe aux contrats de gré à gré obtenus par l’accusée et le bureau CAD avec BRC et Sonatrach. Nouria Meliani tire de son cartable une liste qu’elle présente comme étant la plus conforme. Il s’agit de la villa d’hôte de Djanet 1, d’un montant de 2,5 millions de dinars, de la villa d’hôte d’Oran pour 21 millions de dinars, mais dont elle dit n’avoir perçu que 7 millions de dinars.

Le contrat de la villa d’hôte de Djanet 2, passé avec Sonatrach, d’un montant de 3,9 millions de dinars, signé avec Mohamed Senhadji, le contrat du Village touareg à Zéralda, pour 44,430 millions de dinars, le contrat de la restauration du club des pétroliers à Zéralda pour 2,403 millions de dinars, le contrat d’aménagement d’un jardin à Hydra, 1,4 million de dinars avec un avenant de 1,4 million de dinars, le contrat de restauration de la villa d’hôte de Timimoun pour 31,343 millions de dinars….

«Hemch est un ami de la famille»

Gêné par le parasitage du micro, le juge lance : «Ce micro est étourdi par les montants.» L’accusée : «Je n’ai pas été payée pour ces marchés à part celui lié à la réfection du jardin de Hydra. La pratique à Sonatrach est de verser 50% du montant au lancement des travaux et le reste à la réception. Je n’ai recu que la première tranche.» Le juge : «Vous aviez parlé aussi du contrat relatif à la villa d’hôte de Tamanrasset d’un montant de 10 millions de dinars, signé le 24 janvier 2009 et affirmé que c’était sur instruction du ministre ; pourquoi ?»

L’accusée : «L’objet du contrat était la préparation du cahier des charges. Je l’ai signé avec le directeur général des mines. Le maître de l’ouvrage est le ministère de l’Energie.» Le juge confirme avec Abdelaziz Abdelwahab qui déclare : «Elle a signé avec le secrétaire général des mines, et il y avait ma signature en tant qu’ordonateur des opérations de sponsoring.» Le juge demande à l’accusée si Réda Hemch, (le chef de cabinet du PDG de Sonatrach et homme de confiance de Chakib Khelil) l’a aidée à obtenir tous ces marchés. Meliani : «C’est un ami de mon défunt père.» Le juge : «Quel poste occupait-il à Sonatrach ?» L’accusée : «Je l’ignore. Je sais juste qu’il était cadre à Sonatrcah. Il n’a aucun lien avec les contrats. Ces derniers ont été hérités de BRC.»

Après une suspension d’audience d’une heure, l’accusée revient à la barre. Elle déclare : «S’il y a erreur, c’est à Sonatrach de l’assumer. Je ne peux être responsable de cette situation.» Le président lui rappelle ses aveux au juge d’instruction, selon lesquels c’est grâce à Réda Hemch qu’elle a obtenu ces marchés. L’accusée : «Hemch était un diplomate. Il avait travaillé avec un oncle paternel et est ami de mon défunt père. Je l’ai connu en 2001. Je l’ai revu lorsque la filiale BRC a été créée. Si j’avais l’aide de Hemch, il m’aurait aidée à récupérer mon argent auprès de Sonatrach.» Le magistrat lui rappelle que c’est elle qui a évoqué Réda Hemch lors de l’instruction. Elle répond : «J’ai dit qu’il m’aidait quand j’allais me plaindre pour non-paiement des créances.» Le président : «Hemch n’est pas n’importe quel cadre.» L’accusée : «Malgré cela, Sonatrach ne m’a pas payée. Je sais qu’il était au cabinet. Je l’ai sollicité pour qu’on me paie les 110 millions de dinars que me doit Sonatrach et qui ne m’ont pas été donnés à ce jour.»
Le juge appelle Chawki Rahal et l’interroge sur les déclarations de Nouria Meliani à propos de Réda Hemch. Il déclare : «Lorsque j’ai été nommé vice-président, Hemch était au 10e étage, avec le PDG. D’après ce que je sais, il était chef de cabinet de Mohamed Meziane.» Il précise néanmoins qu’il ne s’est jamais réuni avec le bureau CAD et que Hemch ne l’a jamais appelé pour les contrats.

Mercedes et milliers d’euros

Le juge insiste avec Mme Meliani sur le rôle de Réda Hemch, elle conteste. Il la confronte à une longue liste de biens immobiliers et de fonds en devise qu’elle détient en France, dont des appartements avec sous-sol et parking, d’une valeur de 1,5 million d’euros, 820 000 euros et 720 000 euros, en plus des comptes bancaires avec plusieurs centaines de milliers d’euros, ainsi que des actions dans une société en France, dissoute en 2011. L’accusée confirme. Le juge : «Pourquoi avoir transféré à deux reprises 5000 euros vers le compte de Hemch en France ?» L’accusée : «Il était en préretraite. Il était en France et avait besoin d’argent pour obtenir une résidence.

Il devait faire soigner son épouse malade. Je l’ai fait sans aucune contrepartie.» L’accusée persiste à dire que Hemch n’était plus en Algérie en 2008, alors qu’il était encore en poste à Sonatrach qu’il a quitté en septembre 2010. Le juge : «Vous avez effectué un virement de 16 000 euros pour l’achat d’une Mercedes en France au nom de Hemch. Pourquoi ? » L’accusée : «Il avait besoin d’une voiture. Je l’ai dépanné en lui en achetant une. Où est le problème ? Si on veut faire un cadeau à un homme de son statut, on ne lui achète pas un véhicule d’occasion.» Le juge : «Reconnaissez-vous que c’est un cadeau ?»

L’accusée : «Pour moi, c’est un ami qui avait besoin d’aide. Je l’ai aidé.» Le juge lui demande si c’est Hemch qui lui en a fait la demande. L’accusée déclare : «C’est lui qui me le demandait. Il m’a toujours remboursé. Ces faits sont dans le dossier de Sonatrach 2. Je ne peux donner les détails.» Le juge : «C’est vrai que Hemch n’est pas dans le dossier. Mais nous voulons juste savoir qui vous a aidée à avoir ces contrats.» L’accusée : «Quand je veux offrir un cadeau à une personne d’un statut important, je ne lui achète pas un parfum de mauvaise qualité.» Son avocat, Me Brahimi, explose : «Ce Réda Hemch n’a pas été inquiété par la justice.

Et vous venez demander à ma cliente s’il l’a aidée. C’est honteux.» Le juge tente de calmer l’avocat, qui revient à la charge : «Je ne vois pas pourquoi le tribunal veut trouver des liens entre une personne qui n’est pas inquiétée avec l’accusée. Pourquoi n’a-t-il pas été inculpé ? Y a-t-il des supercitoyens et des sous-citoyens dans ce pays ? Si je dis cela, c’est pour vous aider. Vous savez très bien de quoi je parle Monsieur le président.» Le juge : «Nous voulons voir s’il y a des liens avec les contrats.» Me Brahimi : «Il faut convoquer la personne et lui poser la question.» Le juge : «Je suis lié au code de prodécure pénale.» Il lève l’audience pour quelques minutes, avant de revenir sur Réda Hemch. L’accusée : «Ce point a été soulevé dans le dossier Sonatrach 2 et j’ai donné les preuves.»

Le juge : «Ce point se trouve dans le dossier Sonatrach 1. Il est mentionné dans les déclarations de l’accusée que j’ai entre les mains.» Meliani : «Il ne m’a pas aidée pour l’obtention des contrats. Il est un ami de la famille. Il était déjà parti de Sonatrach quand je lui ai transféré l’argent.» Elle affirme avoir quitté l’Algérie en 2009 pour s’installer en France, où elle a obtenu des contrats de travail qui font l’objet d’enquête dans le cadre de Sonatrach 2.
Salima Tlemçani


Florilège d’accusations

El Watan, 9 janvier 2016

Dès l’ouverture de l’audience de jeudi dernier, le juge rappelle à la barre Chawki Rahal, vice- président de l’activité comercialisation. Il commence par les offres commerciales de la consultation restreinte pour la construction du bâtiment de Ghermoul, à Alger.

Les offres sont celles des sociétés américaine Berry et allemande Imtech. «J’ai eu l’autorisation écrite du ministre et du PDG, pour l’ouverture des plis relatifs aux offres commerciales. La commission a déclaré Imtech attributaire de ce marché, parce qu’elle était la moins-disante», dit-il.

Selon lui, le montant était important, 73 millions d’euros, soit près de 7 milliards de dinars, raison pour laquelle il a demandé une estimation du projet avant de signer le contrat. Le maître d’ouvrage a fait des observations, mais, souligne-t-il, il voulait approfondir l’évaluation : «Nous avons pris attache avec la société espagnole OHL, qui réalisait le Centre de conférences d’Oran, pour nous faire une première estimation.

Elle a avancé un montant d’une différence de 3 millions d’euros par rapport au prix de Imtech. Lorsqu’elle a été présentée au comité exécutif, nous avons remarqué que le canevas utilisé ne pouvait pas donner des résultats fiables. Le ministre a été saisi par courrier comportant tous les détails de la comparaison. Il répond en nous disant : Imtech a été attributaire du marché, il ne vous reste qu’à négocier 12% de rabais. Le PDG a recu une lettre officielle d’OHL, qui disait qu’elle a utilisé des informations d’un immeuble réalisé à Madrid. Ce qui confirme la différence de prix. Il nous restait une semaine avant le délai de la signature. Nous avons entamé les négociations avec Imtech.»

Interrogé sur les dispositions de la R15, l’accusé est formel : cette procédure, explique-t-il, interdit la négociation, dans ce cas de figure, ajoutant plus loin avoir réduit le prix à 64 millions d’euros. «Nous avions obtenu l’accord pour signer le contrat. Mais comme le montant dépasse le seuil de ma signature, le ministre m’a donné une délégation.» Le juge : «Ne trouvez-vous pas le prix un peu exagéré ?»

L’accusé : «Le cahier des charges avait prévu des produits haut de gamme. Raison pour laquelle, nous avions trouvé l’estimation très crédible. J’ai signé le 28 juillet 2009, dès que la délégation de signature m’a été accordée…» L’accusé revient sur cette journée du 28 juillet 2009. «J’étais PDG par intérim. Il y a eu un grave incendie à Arzew, dans un institut de formation de Sonatrach, qui a fait des morts. Je me suis déplacé sur les lieux. Le directeur de la sécurité interne m’appelle par téléphone. Il m’annonce que des agents de la sécurité veulent me rencontrer.

J’ai expliqué que je ne pouvais rentrer sur Alger vu la gravité de l’incident et de prévoir un rendez-vous dans mon bureau dans deux jours. C’était un samedi. Ils sont venus. Ils m’ont demandé de les suivre jusqu’au siège de la police judiciaire où ils m’ont posé des questions sur le projet de Ghermoul.» Le juge : «Ils ne vous ont pas dicté des choses ?» L’accusé : «Je ne peux dire ni oui ni non à cause de la langue. Je parlais en français et eux écrivaient en arabe. J’ai lu le PV, mais je ne sais pas s’ils ont bien interprété mes propos.» Le juge lui fait savoir que les déclarations contenues dans les PV sont identiques à celles qu’il vient de faire à l’audience. «Vous dites que le contrat est légal, pourqoi l’avoir suspendu dès que la police judiciaire vous a convoqué ? » demande le magistrat.

L’accusé : «En fait dès que j’ai été entendu par le DRS, le PDG m’a saisi par écrit, le jour même, pour me demander la suspension du contrat, sans me donner les raisons. C’est à lui, qu’il faut poser la question.» Le juge : «Et l’ODS qu’est-il advenu ? » L’accusé : «J’ai appelé Mouloud Aït El Hocine qui était toujours l’intérimaire de Benabbes, le président de la commission technique, pour lui dire de le suspendre. Les agents du DRS m’ont convoqué quatre fois pour le même projet. Ils m’ont demandé brutalement, lors de la deuxième audition, s’il y a eu résiliation ou non du contrat. Je leur ai expliqué qu’après les offres commerciales, la loi n’autorise pas la résiliation. J’ai précisé que cette demande est exceptionnelle.

C’était trop pour moi. J’ai saisi par mail le PDG et le ministre les informant de la situation et en leur disant que je ne voulais plus de ce siège et qu’il fallalit trouver une solution. Je subissais trop de pression et je n’avais aucune réponse. J’ai écrit une lettre officielle au ministre lui demandant d’annuler le contrat. C’était au mois de novembre 2009. Il m’a envoyé son accord, qui m’a permis de faire un courrier à Imtech, avec l’aide du service juridique et du maître de l’ouvrage, pour lui annoncer la décision. Imtech a accepté le fait sans problème.»
Le juge appelle à la barre Mohamed Senhadji, ex-vice-président des activités centrales, poursuivi pour le délit de «participation à passation de contrat en violation avec la réglementation pour octroyer d’indus avantages à autrui». Il explique qu’en décembre 2007, alors qu’il était directeur des activités centrales, le ministre de l’Energie le contacte pour l’informer qu’un ministère voulait prendre le siège de Ghermoul. Il lui a demandé d’occuper les lieux et de vite entamer les travaux de réféction. Pour lui, tout a été fait au niveau de la base, qui lui a proposé deux bureaux d’études CAD et CTC, précisant n’avoir jamais entendu parler de l’appel d’offres. «Vous êtes le responsable de cette base…», lui lance le juge. L’accusé : «Leur responsable c’est le directeur de la gestion du siège, Abdelaziz Abdelwahab. J’ai juste signé le contrat…»

«Le siège devait être à la hauteur du rang de Sonatrach»

L’accusé est formel. «C’est la direction du siège qui a arrêté le montant», dit-il en insistant sur le fait que le ministère des Transports voulait accaparer le siège, et une lettre dans ce sens a été transmise au ministre de l’Energie, par le Premier ministre. Sur la question de «l’urgence » qui a précipité le gré à gré, l’accusé déclare : «Mon souci était de préserver les biens de l’entreprise. Si nous avions lancé un appel d’offres, nous aurions attendu plus d’une année.» A propos des autres contrats de gré à gré attribués à CAD, il affirme qu’il s’agit d’une régularisation des contrats de BRC, après sa dissolution.

«C’étaient des gré à gré forcés. Parmi eux, il y avait ceux de CAD», souligne-t-il. Le juge : «Vous aviez déclaré être convaincu que Hemch était derrière les contrats.» L’accusé : «Pas dans ce sens. J’ai dit que le juge m’a posé des questions sur Meliani, que je connaissais sous le nom Mme Mihoubi, qui m’a été présentée par Réda Hemch. Le juge m’a révélé qu’elle aurait dit avoir été aidée par Hemch. J’ai répondu si elle le dit, c’est que c’est vrai.» Le juge lui fait savoir qu’il vient de changer sa version des faits. «Vous avez été entendu en tant que témoin. Pourquoi le juge va-t-il changer vos propos ?» lance le président. Il lit à haute voix le PV d’audition de l’accusé lors de l’instruction, il dit que «c’est Réda Hemch qui est intervenu en faveur du CAD et que tous les contrats que CAD a obtenus auprès de Sonatrach portaient son accord écrit». L’accusé conteste en disant que CAD n’a pas obtenu de contrat avec Sonatrach mais avec BRC, et qui, selon lui, ont été régularisés par Sonatrach.

Le président appelle Abdelaziz Abdelwahab, directeur chargé de la gestion du siège Ghermoul, et Chawki Rahal, ex-vice-président de l’activité commerciale. Le premier est catégorique : «Senhadji a été informé par écrit et verbalement.» Mouloud Aït El Hocine, qui présidait la commission technique des activités commerciales, précise que le dossier était au niveau des activités commerciales, puis transféré vers les activités centrales, que présidait Senhadji, avec tous les documents y afférents, notamment la consultation.

Chawki Rahal précise : «J’ai envoyé un PV du président de la commission, Mohamed Benaabas, avec pour objet le transfert du dossier technique et tous les documents y afférents y compris les offres des huit soumissionnaires.» Senhadji persiste à affirmer n’avoir pas été informé. Abdelaziz Abdelwahab exhibe des documents et déclare : «Rahal a transmis une lettre au PDG lui demandant l’accord pour un lancement d’un avis d’appel d’offres et le PDG a rédigé un ‘soit-transmis’ envoyé à Senhadji pour l’en informer.» L’accusé continue à nier en indiquant ne pas l’avoir lu. Abdelaziz Abdelwahab revient à la charge : «Il m’a dit d’aller occuper le bâtiment, de ramener une société de démolition et de chercher un bureau d’études. S’il ne savait pas, pourquoi m’appelle-t-il, moi qui étais chargé du siège et non pas un responsable de la commerciale ?» Mohamed Senhadji perd la voix. Le juge donne la parole aux avocats et au procureur général pour les questions. Interrogé sur le montant du contrat d’Imtech, Chawki Rahal, en parfait connaisseur du dossier, déclare au juge : «En 2009, le chiffre d’affaires de Sonatrach a atteint 62 milliards de dollars.

Elle était classée 11e compagnie au monde. C’est tout à fait normal que les cadres qui travaillent aux activités commerciales y bénéficient des meilleures conditions. Le siège de Ghermoul était une honte. Il nous fallait un bâtiment à la hauteur du rang de la compagnie.»
Salima Tlemçani