Chakib Khelil rattrapé par « Sonatrach 2 » ?

Des commissions rogatoires en Italie, Suisse et Emirats vont «accélérer la cadence», selon le parquet

Chakib Khelil rattrapé par « Sonatrach 2 » ?

par Salem Ferdi, Le Quotidien d’Oran, 9 mars 2013

La justice algérienne ne met pas en cause des personnes avant leur inculpation officielle.

Le parquet a décidé de « communiquer » pour expliquer ce qu’il fait et pour annoncer une accélération de la « cadence » avec l’arrivée des résultats des commissions rogatoires internationales auprès de la justice en Italie, Suisse et aux Emirats.

Les informations en provenance d’Italie sur des pots-de-vin versés par l’entreprise ‘Saipem’, une filiale du pétrolier ENI, pour obtenir des contrats en Algérie, sont suffisamment détaillées et nominatives pour créer un embarras politique à Alger. Près de 200 millions d’euros de pots-de-vin versés, via Farid Bedjaoui (qu’il est impossible de ne pas associer à l’ancien ministre des Affaires étrangères), pour l’obtention de contrats, probablement surfacturés, et qui mettent en cause l’ancien ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil. Le parquet, qui est, il faut le rappeler en liaison directe avec le ministère de la Justice, avait annoncé que le dossier était pris en charge, dans le cadre d’une affaire dite « Sonatrach 2 ». Cela avait suscité – comme c’est toujours le cas dans les affaires de corruption à dimension politique – un vent de scepticisme. Le président Bouteflika avait dû réagir à ces informations qui mettent en cause un homme réputé du « cercle présidentiel », en indiquant, dans une déclaration faite à l’occasion de la nationalisation des hydrocarbures, qu’il ne laisserait pas « passer sous silence les scandales récemment relevés par la presse et qui touchent la gestion de Sonatrach.». Tout en disant sa « révolte » et sa « réprobation », le président a indiqué faire confiance à la justice « pour tirer au clair l’écheveau de ces informations, pour situer les responsabilités et appliquer, avec rigueur et fermeté, les sanctions prévues par notre législation».

«L’AMAN» EST-IL DEVENU INTENABLE ?

Etait-ce un signal à la justice qu’elle devait faire son travail, sans tenir compte de la présumée proximité des protagonistes avec le président ? C’est une lecture. Dans l’affaire « Sonatrach 1 » qui avait entraîné la décapitation du ‘top management’ du groupe public, Chakib Khelil n’a pas été entendu, ni poursuivi par la justice, certains évoquant une sorte « d’Aman » accordé à l’ancien ministre. Mais cette garantie de non-poursuite risque d’être indéfendable avec les informations, assez détaillées, publiées dans la presse italienne et reprises dans les journaux algériens. Chakib Khelil qui a échappé à « Sonatrach 1 » va-t-il être rattrapé par « Sonatrach 2 » ? C’est la question politico-juridique qui se pose dans le tout-Alger. Et c’est pour essayer d’y répondre que le parquet, dérogeant à ses habitudes, a décidé de communiquer, sur « Sonatrach 2 », en annonçant même une accélération de la procédure avec la réception des résultats des commissions rogatoires demandées par le juge d’instruction. Le procureur général près la Cour d’Alger, M. Belkacem Zeghmati, a indiqué dans un communiqué, que l’information judiciaire dans cette affaire « connaîtra, sans nul doute, une cadence accélérée, dès réception des résultats des commissions rogatoires internationales par le juge d’instruction et la convocation ou l’émission de mandats de justice, à l’encontre de toute personne impliquée, sera requise». Il a précisé que l’affaire « Sonatrach 2 » est le «prolongement de celle de « Sonatrach 1 », dont l’information judiciaire vient d’être achevée avec le renvoi des prévenus devant le tribunal criminel, selon l’arrêt rendu par la chambre d’accusation de la Cour d’Alger, en date du 30 janvier 2013″.

DELITS DE CORRUPTION, TRAFIC D’INFLUENCE, ABUS DE FONCTION ET BLANCHIMENT

«Les faits dont est saisi le juge d’instruction, a-t-il poursuivi, consistent en les délits de corruption, trafic d’influence, abus de la fonction et blanchiment d’argent, conformément aux dispositions de la loi 06/01relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et celles du Code pénal» a-t-il indiqué. Le procureur général confirme, contrairement à certaines assertions, que l’origine de l’affaire réside bien dans des affaires déclenchées à l’étranger. Ce sont bien des commissions rogatoires internationales, parvenues aux autorités algériennes, qui sont à l’origine de l’action judiciaire en Algérie. « En raison de l’origine des informations sur la base desquelles l’action publique fut mise en mouvement quant aux faits suscités, en l’occurrence les diverses commissions rogatoires internationales parvenues aux autorités judiciaires algériennes, de la part de ses homologues étrangères (…), le juge d’instruction, en charge du dossier, devait, en premier lieu, s’assurer du bien-fondé de ces informations, de leur exactitude et de leur crédibilité». Le juge d’instruction algérien a, à son tour, déclenché plusieurs commissions rogatoires internationales à destination des autorités judiciaires suisses, italiennes et émiraties».

PAS DE NOMS AVANT UNE INCULPATION OFFICIELLE

Le communiqué révèle que le juge d’instruction a demandé l’accord des autorités judiciaires pour se rendre à Milan « dans le but de rencontrer ses collègues italiens, en charge du dossier ouvert à leur niveau pour des faits similaires», a ajouté le procureur général. L’étape actuelle étant celle de « la collecte d’informations, d’indices et de preuves, le juge en charge du dossier «, a «accompli toute une série d’actes au niveau national, avec le concours de la police judiciaire saisie par commissions rogatoires dont certaines furent exécutées et d’autres en phase de l’être». Le procureur a surtout expliqué la retenue dont fait preuve la justice algérienne, alors que les noms des personnes sont ouvertement mentionnés par la presse par des considérations légales. Si « l’identité des personnalités algériennes, ministre ou cadres de la Sonatrach, visées dans cette affaire, a été clairement portée à la connaissance de l’opinion publique par les organes d’information nationaux et étrangers, la loi algérienne n’autorise pas l’autorité judiciaire à le faire avant leur inculpation officielle». Il faudra attendre donc « l’accélération » de la cadence pour savoir si les noms cités seront poursuivis. Et si des « explications » seront demandées à Chakib Khelil…