Plainte de KBR devant la cour internationale d’arbitrage

Plainte de KBR devant la cour internationale d’arbitrage

Sonatrach condamnée à payer les actions qu’elle a rachetées

El Watan, 13 juin 2011

Quatre ans après sa disparition, Brown & Root Condor (BRC), la filiale commune détenue à 51% des parts par Sonatrach et 49% par Kellogg Brown & Root (KBR) continue de faire parler d’elle.

Le 12 mai dernier, la Cour internationale d’arbitrage (CIA) a rendu son verdict relatif à la plainte déposée par KBR à l’encontre de Sonatrach, en octobre 2008, pour l’obliger à honorer le paiement des actions, d’un montant de 19,5 millions de dollars, avec intérêt et effet rétroactif (depuis octobre 2008), qu’elle lui a vendues une année auparavant en vertu d’un acte de cession.
Ce dernier stipule que la société de droit britannique cède l’ensemble de ses droits au sein de BRC, soit un capital de 49% des actions, ainsi que les créances au titre de prestations effectuées (pour BRC) par KBR International – une entreprise américaine appartenant au même groupe que KBR – estimés à 1 647 783 400 DA, payables en dollars américains, soit 24 millions de dollars. Le paiement de ce montant devait se faire dans un délai de six mois au plus tard, en précisant (toujours dans le contrat) que les parties doivent s’assurer que toutes les mesures nécessaires soient prises en temps utile pour que le transfert du montant soit effectué conformément à la réglementation algérienne en matière de contrôle des changes et que Sonatrach s’engage à procéder, sans délai, aux formalités pour transférer le prix de cession en dollars avant juin 2008.

Mais après avoir entrepris toutes les démarches, Sonatrach n’a pu honorer ses engagements faute d’autorisation de transfert du montant par la Banque d’Algérie. En octobre 2008, soit quatre mois après l’expiration du délai d’exécution du contrat, KBR saisit la Cour internationale d’arbitrage.
Elle exige deux options de condamnation : soit obliger Sonatrach à verser le solde du prix de cession (19,5 millions de dollars) à un taux d’intérêt de 6,4837% avec effet rétroactif à dater d’août 2007 et jusqu’à paiement de l’intégralité de la somme ; ou alors constater l’inexécution par Sonatrach de ses obligations du contrat, l’absence de circonstances constitutives de force majeure – qui fait que l’inexécution ne soit pas imputable à Sonatrach – et, de ce fait, condamner la compagnie à payer 19,5 millions de dollars avec le taux d’intérêt précité et à restituer les droits qui lui ont été cédés.

Dans son mémoire en réponse à la CIA, la compagnie explique qu’«en l’absence d’autorisation des autorités de change algériennes, elle n’a pu et ne peut, payer le prix de cession à l’étranger, que ce soit à partir de l’Algérie ou de l’étranger et qu’à ce titre, elle demande de donner effet aux réglementations des changes algériennes qui font partie de la loi algérienne applicable au fonds du litige et qui constituent des lois de police et sont d’ordre public international».
Elle souligne qu’il serait impossible, sous peine de violation de l’ordre public algérien, de la contraindre par voie de sentence à effectuer un transfert sans l’autorisation nécessaire.

Elle affirme n’avoir commis aucun dol lors de la conclusion du contrat et précise que le paiement du prix de cette cession à l’étranger ne présentait pas un caractère déterminant du consentement de KBR. Néanmoins, KBR rappelle que les clauses du contrat de cession stipulent «que dans le cas de non-perception de la totalité du dû, Sonatrach est obligée de payer les sommes restantes par les moyens financiers qu’elle détient hors de l’Algérie». Ce que Sonatrach a cherché à faire, précise-t-elle, en demandant une autorisation de transfert à la Banque d’Algérie. En vain. Pour lui éviter «l’exécution forcée» du contrat (sur ses comptes) à l’étranger, qui «pourrait attenter» à son image de marque et en même temps «l’aider plutôt à obtenir» l’autorisation de transfert auprès de la Banque d’Algérie, la Cour arbitrale décide, en se référant à l’article 176 du code civil algérien, de condamner la compagnie à payer à KBR les 19,5 millions de dollars au titre des dommages et intérêts, auquel des intérêts avec effet rétroactif depuis le 31 octobre 2008 sont ajoutés.

En tout état de cause, il est vraiment regrettable que Sonatrach se retrouve au banc des accusés, devant la Cour internationale d’arbitrage, parce que la Banque d’Algérie n’a pas autorisé le paiement d’une «facture» qu’elle s’est engagée à honorer. Peut-on croire qu’en décidant de racheter les parts que KBR détenait au sein de BRC, Sonatrach ne savait pas qu’elle ne pouvait payer qu’en dollars ?
Si c’est le cas, il y a là une grave violation de la réglementation qui met la Banque d’Algérie devant un fait accompli. Dans le cas contraire, c’est plutôt la Banque d’Algérie qui, par son refus d’autoriser le transfert, se retrouve aujourd’hui sommée par la force d’une décision de justice de procéder au transfert de la somme réclamée. Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’image de marque de la compagnie, et à travers elle l’Algérie, qui en pâtit.

Salima Tlemçani