BRC : Le rapport que vous n’avez jamais lu

BRC : Le rapport que vous n’avez jamais lu

El Watan, 5 mars 2010

L’affaire Sonatrach fait rouvrir un dossier gênant, qui avant d’être étouffé, avait défrayé la chronique il y a à peine quatre ans. Si les enquêteurs se replongent aujourd’hui dans les rapports 2006 de l’IGF sur B&RC, c’est que les chefs d’accusation portés contre Sonatrach rappellent ceux la société mixte à scandales. El Watan Week-end a pu se procurer le rapport de 2006 sur la gestion de B&RC et les conditions d’obtention des contrats en Algérie entre 2001 et 2005, et son rapport complémentaire. Des documents qui font notamment état d’un contrat signé avec l’entreprise CCIC. Dont un autre des contrats, passé avec Sonatrach, fait actuellement l’objet d’une instruction.

Recours abusif au marché de gré à gré, fuite fiscale, surfacturation… : l’affaire Sonatrach a un aire de déjà vu. Pour mieux comprendre l’engrenage des relations entre entreprises, les enquêteurs se sont replongés dans les rapports 2006 de l’IGF sur B&RC. Nous nous les sommes procurés. D’emblée, les deux rapport relèvent « le recours excessif et injustifié à la procédure de gré à gré pour la passation de contrats de réalisation de projets avec la société mixte B&RC ». Ainsi il est écrit que « le ministère de la Défense nationale ainsi que Sonatrach, ont anormalement érigé en règle, la procédure exceptionnelle de passation de contrat de gré à gré avec B&RC ». Ce qui constitue « une violation des dispositions régissant les procédures de passation de marchés publics », concluent les rédacteurs du document. L’examen de quelques contrats a permis selon le rapport de l’Inspection générale des finances, de relever l’absence de cahier des charges et le recours abusif à la procédure exceptionnelle de paiement dite « certificat administratif » alors que ce procédé est réservé aux dépenses frappées du sceau « secret-défense ».

Le directeur de Sonatrach a, d’après le document, émis plus de 10 dérogations de gré à gré, pour des contrats signées avec B&RC, qui malgré l’émission d’appels d’offres, les a remportés « dans des conditions jugées souvent contestables et non transparentes », parfois « dans une urgence que les projets ne justifiaient pas ». Les inspecteurs de l’IGF ont identifié cinq irrégularités : la violation du code des marchés publics, le recours systématique à la sous-traitance, la majoration des coûts, la fuite fiscale et enfin l’achat de mobilier et d’équipements coûteux auprès de fournisseurs étrangers. Il ressort de l’enquête que le recours à la sous-traitance a considérablement porté atteinte aux intérêts du MDN et de Sonatrach. Et ce, notamment en raison des écarts de prix entres les prix négociés avec les sous-traitants et ceux qu’elle facturait. Le recours à la sous-traitance ne conférait parfois à B&RC qu’un rôle d’« intermédiaire ». Et les exemples ne manquent pas.

Le projet de réalisation d’un parking-restaurant pour Sonatrach d’un montant de 3,5 milliards de dinars, sous-traité « clés en main » par le groupe libanais Consolidated Contractors Internationale Compagny (CCIC) pour un montant de 1,2 milliard de dollars. Soit un écart de 2,2 milliards de dinars, la marge étant estimée à 64% ! Autre exemple : un projet cette fois-ci sous-traité par l’entreprise américaine W. A Berry pour la construction d’un club de pétroliers pour la somme de 600 millions de dinars. B&RC l’a facturé à son client, Sonatrach, pour un montant de 1,2 milliard de dinars. Plus édifiant encore : la réalisation de la clôture de ce même club a coûté 4 millions de dinars alors que B&RC a facturé le double, soit 8 millions de dinars. Le réaménagement de l’immeuble Relex, situé à Ghermoul, a également coûté 491 millions de dinars à Sonatrach. De quoi construire un nouveau siège. Pour conclure cette liste exhaustive, le nettoyage de l’hôpital militaire d’Oran a été facturé au ministère de la Défense nationale au prix fort de 347 millions de dinars et a été effectué par l’entreprise Sarl Khelef, qui aujourd’hui n’existe plus. Les inspecteurs de l’IGF note que B&RC a réglé des quantités « fictives » à son sous-traitant, dont le surcoût est estimé à plus de 200 millions de dinars.

5 millions d’euros dilués dans l’achat d’équipements pour échapper à l’IBS. Concernant le volet de la fuite fiscale. B&RC a bénéficié, dans le cadre de ses activités, « de plus de 80 milliards de dinars de privilèges fiscaux lui permettant d’acquérir des biens en franchise (sans le paiement des impôts). Ces privilèges ont été détournés à son profit, peut-on lire, pour l’achat de véhicules, de cabines sahariennes et du matériel ainsi que des outils pour un montant s’élevant à plus de 60 millions de dinars ». Aussi BRC avait obtenu « indûment une attestation de franchise » pour la réalisation de bureaux au profit de Sonatrach en exonération d’impôts d’un montant de 420 millions de dinars « alors que ce projet n’a aucun lien direct avec les activités éligibles à ces franchise » remarque les inspecteurs. Même fait constaté dans ses contrats passés avec le ministère de la Défense. Le cas de l’hôpital d’Oran est cité, avec des montants fixés au forfait.

Des anomalies ont été détectées, liées notamment à l’absence de précisions des quantités et des prix unitaires des fournitures à livrer. Le MDN après avoir soldé ses comptes avec BRC, cette dernière continuait de recevoir de son fournisseur W.A Berry des fournitures en dépassant des seuils contractuels. « Le montant de ces fournitures dont on ignore la destination, s’élève à 3 428 668 millions de dollars ». Pourquoi ? Ces fournitures ont servi pour « bénéficier de la franchise fiscale ». Mieux encore, 5 millions d’euros ont été dilués dans l’achat d’équipements pour échapper au paiement de l’IBS, dans le cadre du contrat de réalisation de l’hôpital militaire de Tamanrasset, liant B&RC avec Krebs und Kleiber (KUK), une transaction faite « avant même le démarrage du chantier ».

Une poubelle à 40 000 DA ! Au chapitre d’achat d’ameublement et d’équipements couteaux, BRC a acheté à son fournisseur CAPMG des équipements de cuisine pour plus de 3 millions de dinars « qui résulteraient selon les services de BRC des choix du client Sonatrach ». Les dépenses de luxe et de choix n’en finissent pas là. Ainsi BRC a « décoré une salle de conférence pour un montant total de 2,4 millions d’euros ». Entre autres frais, a acheté un salon pour 6 239 euros et une poubelle à papier à 410 euros soit 40 000 dinars. Autre acquisition qui a suscité l’interrogation des inspecteurs, toujours pour Sonatrach : la pose et la fourniture d’un plancher et d’une estrade pour la somme de 164 275 euros. Le cas le plus étrange et significatif est celui de la réalisation des 300 logements de l’hôpital de Constantine attribué à BRC, qui l’a sous traité chez Batigec. Qui, à son tour, l’a sous traitée « dans des conditions non réglementaires du contrat avec la société Coffor Algérie, qui n’a ni statut de droit algérien, ni registre de commerce, ni siège social », note la mission d’enquête. Cette dernière a encore sous traité le projet à la société égyptienne Egypt Speed Construction « qui a ramené d’Egypte 80 ouvriers et deux ingénieurs, ces ouvriers n’étant en réalité que des cultivateurs sans aucune formation ».

170% de majoration pour finir les deux tours du ministère. Concernant l’achèvement des deux tours du ministère de l’Energie et des Mines, les inspecteurs ont constaté que le montant contractuel de 3 milliards de dinars a été revu à la hausse. Son coût définitif : plus de 6 milliards de dinars, soit 170 % de majoration. Le comité du suivi de ce projet, notamment concernant le contrôle de conformité et de l’exécution des travaux en matière de qualité et de coût, s’est déclaré dans l’impossibilité d’assumer sa tache. « Difficile et approximatif de valider les états d’avancement des travaux sur la base d’un pourcentage mensuel tel avancé par B&R C », précise le comité de suivi.

Une piscine de 620 millions de DA. Le document révèle aussi qu’un budget « de 620 millions de dinars a été alloué pour le projet de la réalisation de la piscine olympique de Sonatrach, dont une partie en devises, d’un montant de 16 millions d’euros ». Ce qui constitue une singularité dans un contrat qui lie deux entreprises installées en Algérie. Les agissements de BRC ne se sont pas arrêtés à ce stade puisque le rapport ajoute que l’entreprise « a eu recours parfois à l’augmentation du prix contractuel sans justification remarquée notamment dans la réalisation de la piscine olympique de Sonatrach. »

Par Zouheir Aït Mouhoub