A Durban, les Brics se doteront d’une Banque pour changer la donne

A Durban, les Brics se doteront d’une Banque pour changer la donne

Saïd Mekki, Maghreb Emergent, 05 Mars 2013

La banque de développement du BRICS devrait être officiellement annoncée lors du cinquième sommet des BRICS, qui se tiendra à Durban, Afrique du Sud, à la fin du mois de mars. L’Algérie et le Venezuela pourraient être conviés à participer au capital de la banque.

Selon un banquier chinois impliqué dans le projet, les gouvernements du Brésil, de Russie, d’Inde, de Chine et d’Afrique du Sud devraient engager chacun une enveloppe de 10 milliards de dollars pour constituer le capital initial de la future banque. La décision a une forte charge symbolique : elle traduit la communauté de vues des dirigeants des cinq économies mondiales les plus dynamiques et exprime le rôle croissant des pays émergents dans la réalité financière globale. La nouvelle banque en tant que fondement institutionnel tangible de leur coopération devrait « cimenter » l’esprit BRICS, alternative ou réponse au G7 et contribuer concrètement au développement de liens plus étroits entre les membres du club des émergents. Et au-delà, car ses initiateurs entendent que la banque joue un rôle global pour «la mobilisation des ressources pour les infrastructures et les projets de développement durable dans les BRICS ainsi que dans d’autres économies émergentes et les pays en développement».
La banque aura pour mission principale le financement de projets d’infrastructure afin de créer les conditions préalables au développement économique. Tous les pays du groupe des BRICS seront concernés, y compris la Chine, pays le plus avancés dans le domaine où, malgré tout, les besoins de réalisation ou de mise à niveau des infrastructures sont très importants. Un portefeuille de projets, notamment en matière de centrales électriques, de réseaux d’assainissement, d’écoles, d’hôpitaux… est déjà identifié.

Un levier pour la réforme du système financier international

Afin d’assurer que son action ait l’impact le plus massif possible, notamment pour l’éradication de la pauvreté, la banque prêtera directement aux entreprises privées et publiques ainsi qu’à des gouvernements dans et en dehors du groupe BRICS. Les secteurs auxquels la banque s’intéressera en priorité sont ceux des technologies vertes, des biocarburants mais aussi les barrages et centrales nucléaires que la Banque mondiale ne finance pas pour des raisons environnementales où sociales.
Mais pour de nombreux experts, la banque sera également un des leviers opérationnels du BRICS pour imposer des réformes du système financier international. Les cinq pays du club sont les principaux emprunteurs de la Banque mondiale (BM), ainsi que les contributeurs les plus importants au Fonds monétaire international (FMI), mais ils sont mécontents de leur rôle marginal dans le processus de prise de décision des institutions financières multilatérales dominées par les occidentaux. C’était le message sous-jacent de la déclaration commune lors du quatrième sommet BRICS à New Delhi en Mars 2012 qui exprimait la volonté du groupe de «compléter les efforts existants des institutions financières multilatérales et régionales pour la croissance mondiale et le développement ».
De ce point de vue, et ce n’est pas la moindre de ses ambitions, la banque pourrait s’inscrire comme un acteur important dans la formation d’un nouvel ordre mondial défendu par les pays émergents et en développement. Mais pour exercer une réelle influence, une base de capital plus significative que le montant de départ de 50 milliards de dollars est nécessaire, ce qui peut être partiellement atteint en admettant certains pays disposant de ressources financières substantielles en tant qu’actionnaires minoritaires.

L’Algérie et le Venezuela prochain membres ?

L’Algérie, comme le Venezuela, pourrait être ainsi approchés pour servir d’ancrage sud-méditerranéen et caraïbe à la future banque. Seraient également invités des pays comme le Mexique, l’Indonésie ou le Nigéria. Mais ces évolutions et la liste des partenaires potentiels sont à ce stade encore imprécises. En effet, dans les futures augmentations de capital les cinq membres du BRICS devront ils injecter des fonds au prorata de leur participation initiale ou permettre un certain degré de variation? Puisque les États-fondateurs présentent des dimensions et caractéristiques économiques très différentes. Ainsi, la Chine avec ses réserves de change supérieures à trois mille milliards de dollars fin de 2012 présente évidemment un profil très spécifique. La question n’est pas anodine parce que l’apport égal en capital, dont le mérite est d’installer un mécanisme de partage des voix différent de la structure de la Banque mondiale, a pour effet de limiter l’expansion de la banque et, ipso facto, de l’importance du rôle qu’elle pourrait jouer.

La question du siège

A Durban sera tranchée la question – épineuse – du siège social de la Banque. Certains membres du BRICS souhaitent qu’il soit situé en Afrique du Sud, pays le moins avancé du groupe et situé à mi-distance géographique entre Asie et Amérique du sud et, également parce que la banque est appelée à devenir l’institution de référence pour le continent africain. La Chine entend faire de Shanghai le siège de la banque de développement et voudrait que ses transactions soient libellées en yuan, la monnaie chinoise. « Dans le cadre de son processus de développement, la Chine doit renforcer ses marchés financiers », souligne John Cairns, analyste des marchés de change à la Rand Merchant d’Afrique du Sud. Dans un entretien avec l’agence IPS, le banquier sud-africain estime que la poursuite d’un tel processus par Pékin implique que le taux de change de sa monnaie soit plus fort et plus souple, déterminé par les marchés. Ce qui suppose en bonne logique que le yuan puisse être négocié librement à l’instar de toutes les devises de premier rang et donc être internationalisé. Pour la banque, le yuan serait tout simplement la devise de référence. Mais en pratique, la devise chinoise devrait être convertie en dollars ou en une autre monnaie internationale lors de transactions avec des pays tiers.

Durban, étape cruciale

Le sommet de Durban, premier du genre en Afrique, qui se tiendra le 28 et 29 mars représente une étape cruciale dans l’institutionnalisation du groupe du BRICS et l’impulsion d’une dynamique de développement alternative à celles des institutions multilatérales. Dans la perspective de la réunion du G20 et de la redéfinition d’un rapport de forces global entre un Occident en crise et des pays qui entendent utiliser leur poids relatif comme levier pour la modification du système financier mondial. La banque devrait naturellement jouer un rôle moteur dans différentes arènes internationales en capitalisant sur le fait que les cinq membres du BRICS qui disposent de 26 pour cent des terres dans le monde, comptent 42 pour cent de la population mondiale, représentent 20 pour cent du PIB mondial, d5 pour cent du volume des échanges commerciaux, et contribuent pour environ 50 pour cent de la croissance économique dans le monde.