L’Algérie guettée, à terme, par un nouvel ajustement structurel

L’Algérie guettée, à terme, par un nouvel ajustement structurel

Yazid Taleb , Maghreb Emergent, 12 Mars 2013

Le gouverneur de la Banque d’Algérie a fait de manière presque routinière une lecture optimiste des indicateurs macro-économiques. Aux antipodes des projections qui voient dans l’Algérie, à terme, en situation d’emprunteur. Voire allant doucement mais surement vers l’iceberg d’un nouvel ajustement structurel.

Abderrahmane Hadj Nacer a la conviction que le prêt de l’Algérie au FMI pourrait à terme s’avérer une décision judicieuse car, selon lui, « un jour ou l’autre, on sera de nouveau, emprunteur ». Le sombre pronostic de l’ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie semble paradoxal à un moment où les indicateurs macroéconomiques sont réputés excellents et les réserves de change au plus haut. Il tranche en tout cas avec l’optimisme affiché par son successeur à la villa Joly (siège de la Banque d’Algérie), M.Mohamed Laksaci, qui a présenté récemment les grandes tendances financières de l’année écoulée. « La progression des réserves de change et celle des crédits à l’économie constituent les points forts de l’année 2012 » a résumé M. Laksaci. Avec 190 milliards de dollars de réserves de change, soit 39 mois d’importations, l’Algérie « récolte le fruit de sa gestion macroéconomique prudente des surcroîts de ressources financières » s’est-il félicité.

Les mauvaises nouvelles de 2012

Ce que ne dit pas le Gouverneur est qu’en matière de paiements extérieurs, les performances de l’Algérie en 2012 sont au moins décevantes et éventuellement inquiétantes. Décevantes car on est très loin des 205 milliards de dollars de réserves à fin 2012 évoquées par les dernières prévisions du Fonds monétaire international. Les raisons de cette relative contre performance sont multiples. Des recettes d’exportations en baisse (70,6 milliards de dollars), non pas à cause de la baisse des prix du baril (111 dollars en moyenne en 2012), mais à cause de la réduction des volumes d’hydrocarbures exportés (-3%). En même temps les exportations hors hydrocarbures restent désespérément stables et n’ont pas dépassé 1,2 milliards de dollars. A comme, les importations sont encore en hausse sensible de prés de 8% et ont atteint le nouveau record historique de 48,3 milliards de dollars, l’excédent commercial s’est réduit sensiblement l’année dernière. Si on ajoute des importations de services de près de 11 milliards de dollars et des exportations de capitaux qui ne cessent de gonfler, principalement à cause des transferts réalisés par les associés de Sonatrach, le solde de la balance des paiements (environ 12 milliards de dollars) a été pratiquement divisé par deux par rapport à 2011. Résultat des courses, les excédents accumulés en 2012 sont beaucoup moins importants que prévus et représentent à peine un peu plus de 8 milliards de dollars alors qu’on s’attendait encore voici quelques mois à près de 20 milliards comme en 2011.

Le scénario inquiétant de NABNI

Plus qu’une déception conjoncturelle, l’optimisme désormais coutumier du gouverneur de la Banque d’Algérie masque surtout des tendances inquiétantes. Depuis 2012, on est peut être déjà entré dans un processus de tassement de nos réserves de change qui pourrait, selon beaucoup d’experts, précéder leur réduction voire leur disparition complète dans un horizon à peine supérieur à une décennie. Dans un travail, en tous points remarquable, publié à la fin du mois de janvier, les experts du groupe NABNI explicitaient ce scénario. Les réserves de change de l’Algérie « commencerons à baisser à partir de 2016 et risquent de s’épuiser autours de 2024, ce qui à partir de cette date l’obligera à s’endetter pour financer ses déficits commerciaux ». Un scénario qui, en dépit de l’euphorie ambiante et de l’autosatisfaction affichée par la plupart de nos responsables économiques, est actuellement très probable en l’absence d’un hypothétique renouveau de notre potentiel pétrolier.

Le Fonds souverain, de nouveau !

Comment tenter de sauver les réserves de change algériennes de cet épuisement annoncé ? La période la plus récente a été surtout marquée dans ce domaine par des pressions croissantes en faveur de la diversification des réserves et leur utilisation plus active au service du développement économique du pays .M. Hadj Nacer fustige de longue date la gestion des réserves de change par les autorités algériennes qu’il qualifie de « gestion de court terme » animée par le seul souci de « disposer de liquidités permettant de couvrir trois années d’importation ».Il plaidait de nouveau, la semaine dernière en faveur de l’option évoquée périodiquement d’un investissement des réserves dans des actifs privés à travers la création d’un Fonds souverain . « On aurait pu prendre, des participations dans Peugeot. On a raté Volvo, mais on aurait pu acquérir Saab pour la somme de deux milliards de dollars. » affirme l’ancien gouverneur de la BA. Les prises de position récentes des autorités algériennes sur ce chapitre n’ont manifestement pas suffit pour clore le débat. Jusqu’au très prudent Mustapha Mékidèche, vice-président du Conseil national économique et social (CNES) qui résume une vision très largement partagée en considérant la création éventuelle d’un tel fonds comme « un moyen pour l’économie algérienne de se moderniser et de s’internationaliser à travers l’acquisition d’actifs industriels et technologiques à l’étranger » .Des propositions qui n’ont pas retenus jusqu’ici l’attention des pouvoirs publics et ne semblent pas être à la mesure des problèmes que l’Algérie va devoir affronter au cours des années à venir. L’approche la plus complète et les propositions les plus audacieuses sont encore à mettre à l’actif du groupe NABNI. Le groupe a souhaité que soient consacrées « 10 à 20 % des réserves de change actuelles du pays à la création d’un Fonds souverain international ». Il vient surtout de formuler, dans un travail d’une qualité saluée, des propositions pour un changement de cap complet de la politique économique de l’Algérie et il en a détaillé les étapes et les principaux aspects. L’objectif étant de rompre avec la dépendance à l’égard des hydrocarbures et éviter l’ « iceberg » d’un nouvel ajustement structurel qui se profile dangereusement avant la fin de la prochaine décennie.