Les dessous de la ruée vers l’or

ILS SONT DES MILLIERS À S’Y ADONNER CLANDESTINEMENT AU SUD

Les dessous de la ruée vers l’or

Le Soir d’Algérie, 13 juin 2016

Le désert algérien regorge de filons d’or qui attirent inlassablement des chercheurs venus de toute l’Afrique subsaharienne. Souvent, leur méthode de travail artisanale massacre les gisements et les rend inexploitables. Nous avons cherché à en savoir plus.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – 28 avril 2016 : le ministre tchadien de la Justice adresse ses remerciements aux autorités algériennes pour la libération de 503 chercheurs d’or arrêtés dans le désert algérien. Une semaine auparavant, le ministre soudanais de la Justice publiait lui aussi un communiqué annonçant la libération de 289 Soudanais entrés illégalement dans le territoire algérien à la recherche du métal précieux.
En tout, 792 personnes graciées par le Président Bouteflika sont rapatriées dans leur pays au terme d’une année de prison. Partis pour ne plus revenir ? Pas si évident. Les filons d’or dont regorge le désert algérien attirent tel un aimant des chercheurs venus de toute l’Afrique subsaharienne. On les appelle les orpailleurs. Qui sont-ils ? Pour le compte de qui travaillent-ils ? De quelle manière est-il acheminé mais aussi et surtout quelle est la conséquence de cette exploitation anarchique sur les gisements ? Des experts en la matière ont accepté de nous éclairer sur toutes ces questions.
Au lieu de détailler le sujet, nos interlocuteurs s’accordent paradoxalement à entamer la discussion par la conclusion. Il s’agit en fait d’un constat établi au terme de très longues années d’activité au sein des entreprises nationales chargées de l’exploitation de ce métal. «Les orpailleurs causent d’énormes dégâts aux sites, ils massacrent tous les indices d’or causant ainsi des pertes considérables au pays». Les «indices» est un terme par lequel ces spécialistes désignent les points où a été détectée la présence de gisement d’or. D’où viennent ces orpailleurs ? «Vers 2013, des chercheurs d’or ont commencé à envahir le désert. Ils sont venus du Mali, du Niger, du Tchad, du Soudan et de bien d’autres pays africains parfois. Il est clair qu’ils étaient parfaitement informés puisqu’ils ont envahi uniquement les zones où a été détecté l’or (Tamanrasset et le sud-ouest de Djanet)». Les mêmes sources indiquent que ces chercheurs d’or constituent des bandes parfaitement organisées, informées et surtout équipées de tout le matériel nécessaire à ce genre d’opération. «Les groupes sont bien préparés. Après avoir traversé les frontières, ils sont accueillis par des bandes qui les ravitaillent en eau et en carburant. Ils possèdent tout le matériel nécessaire. Ce qui attire surtout l’attention, ce sont les véhicules dont ils disposent. Ils ont des motos et des 4×4 très puissants». Les orpailleurs peuvent parfois constituer des groupes allant de 200 à 300 personnes. Parmi eux, on détecte souvent la présence d’enfants ou de très jeunes personnes dont l’âge varie entre 14 et 16 ans. Leurs aînés n’hésitent pas à leur attribuer de rudes tâches.
Bien sûr, l’extraction s’effectue de manière traditionnelle. A l’aide d’un marteau-piqueur, ils perforent un point donné puis ils passent à l’explosion. «Auparavant, ils étaient équipés d’appareils qui détectent tous les minéraux magnétiques mais depuis un certain temps, ils ont acquis un matériel plus sophistiqué, ils détectent uniquement l’or». Une fois l’explosion opérée, l’or est récupéré dans des roches où le quartz se mêle au zinc, au fer… «C’est un massacre, cette manière d’agir rend le gisement inexploitable puisqu’ils le grignotent de bout en bout». Nos interlocuteurs insistent sur les pertes inestimables qu’engendre ce genre d’activités. «Une usine peut produire jusqu’à 200 tonnes d’or… Je vous laisse imaginer l’ampleur des pertes».
Après l’extraction des roches contenant le précieux métal, les orpailleurs opèrent en sens inverse. Une partie de la bande est chargée d’acheminer l’or vers le Niger car c’est là que s’effectuera l’opération de broyage, de lavage et enfin de récupération des pépites. «Le lavage s’effectue de manière traditionnelle, à la batée». Les femmes y prennent part en grand nombre. «Les orpailleurs qui envahissent le désert algérien savent parfaitement que les indices d’or ne sont pas protégés. Ils évoluent comme ils veulent». Ces chercheurs d’or travaillent-ils de manière autonome? Nos interlocuteurs sont catégoriques : «Dans la majorité des cas, ces éléments travaillent pour des magnats de l’or étrangers. On avance le nom de riches hommes d’affaires français ou d’autres encore établis à Dubaï». La solution : «Renforcer la législation algérienne et donner des exemples de manière à dissuader tous les autres aventuriers. Le désert algérien regorge d’or et une bonne exploitation permettrait au pays de remonter la crise. Ce métal est très coté en Bourse».
Des rapports du Conseil mondial de l’or ont classé à plusieurs reprises l’Algérie dans la liste des principaux détenteurs d’or à travers le monde. Avec un volume en or estimé à plus de 173,6 tonnes, le pays occupe la 21e place des pays détenteurs des réserves officielles en or sur les 107 nations répertoriées par ce conseil. Les principaux gisements aurifères se situent dans la région du Hoggar. Le gisement de Tiririne, à environ 450 km à l’est de Tamanrasset, était estimé, il y a quelques années encore, à près de 481,100 tonnes avec en moyenne une teneur d’or de 17g/t. D’autres gisements, celui de Tirek, Aïn Abegui et Amessmessa regorgent davantage de ce métal. Le gisement d’Amessmessa, le plus grand en Afrique, possédait au début des années 2000 une potentialité de production annuelle allant de 200 000 à 300 000 onces par an.
Ce gisement a été malheureusement exploité des années durant par une societé australienne (Gold Mines of Algeria) avant qu’elle ne décide de se retirer. A l’époque, GMA avait été accusée par Youcef Yousfi de societé «junior» en raison des mauvaises méthodes d’exploitation…
A. C.