Impact de l’urbanisme sur le tourisme au maghreb

Impact de l’urbanisme sur le tourisme au maghreb

«Les villes, des lieux de concentration de populations»

El Watan, 16 mai 2016

Très attendu, le renouveau du tourisme urbain auquel aspirent les pays du Maghreb n’est, semble-t-il, pas pour demain.

Les principaux agrégats macroéconomiques, exhaustivement analysés lors de la conférence internationale sur «L’impact de l’urbanisme et la gestion des villes sur le développement du tourisme dans les pays du Maghreb», tenue à Annaba les 11et 12 mai, ont fait ressortir la relation complexe et conflictuelle entre la ville et le tourisme.

Les deux jours de débats intenses qui ont réuni, à l’initiative de la faculté de droit de l’université Badji Mokhtar de Annaba et de la fondation allemande Hanns Seidel, une centaine de juristes, architectes, urbanistes, aménagistes, sociologues et écologistes venus des quatre coins du pays, de France, d’Angleterre, du Maroc et de Tunisie, ont marqué un tournant dans la réflexion scientifique sur le rapport entre le processus d’urbanisation et le tourisme.

Des différentes exposés où n’a été occulté aucun aspect de cette dernière problématique, a également émergé un autre enjeu, celui de revoir les outils conceptuels et d’inciter les pouvoirs publics à se libérer de l’approche disciplinaire, qui a de tout temps prévalu dans les politiques publiques visant à promouvoir le tourisme régional de développement, pour adopter une démarche plutôt transdisciplinaire.

Que ce soit en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, le constat, à en croire les hôtes de Annaba, est presque le même : Industrialisation galopante et forte urbanisation aidant, les villes maghrébines ont été réduites à des lieux de concentration de populations, d’activités industrielles et de pouvoirs. Alors que « la bonne gestion des villes et le développement du tourisme dans la région, sont, aujourd’hui plus que jamais, une exigence démocratique, politique et économique.

La prépondérance du secteur du tourisme s’explique par son rôle de catalyseur et de générateur d’une activité globale », a insisté Jamil Hayder, chef de projet Tunisie/Algérie à la fondation Hanns Seidel. Pour lui, l’attractivité des villes maghrébines repose, avant tout, sur leur capacité à mettre en valeur les potentialités touristiques et la manière de les exploiter à des fins de développement.

Et, « le cadre maghrébin constitue une opportunité incontestable compte tenu de leur proximité ainsi que des similitudes du patrimoine », ajoute-il, mettant particulièrement l’accent sur les ressources archéologiques et culturelles, d’une extrême richesse, dont regorgent les villes algériennes et qui peuvent être optimisées afin de « mobiliser les capacités illimitées de création de valeurs et de richesses».

L’Algérie a investi beaucoup plus dans le bâtiment que dans l’architecture

« Le touriste, lorsqu’il visite une ville, s’intéresse tout d’abord à l’urbanisme et à l’architecture de la cité. Or, dans notre pays, nous avons l’impression que tout est fait pour offrir à ce touriste un paysage des plus agressifs et répulsifs. Il est certain que l’Algérie a investi beaucoup plus dans le bâtiment que dans l’architecture. Il y a très peu de constructions qui ont une véritable empreinte architecturale, à travers laquelle peut se distinguer une culture d’une autre.

La situation a trop duré et ne doit pas en principe exister surtout lorsqu’on sait que l’université forme chaque année des milliers de diplômés en architecture », déplore le Pr Messaoud Mentri, maître de conférences à la faculté de droit (Annaba). Mieux, ce n’est que tout récemment que les pouvoirs publics ont admis que le voile épais destiné à couvrir les ravages occasionnés par le « tout-logement » s’était, au fil du temps, effiloché : « Il est certain que la décennie noire qu’a vécue l’Algérie a compromis toute urbanisation rationnelle et entraîné des lotissements informels.

La crise de logement, constamment mise en avant, ne peut justifier le désintéressement des pouvoirs publics à l’aspect architectural. Il faut également signaler que les villes algériennes sont envahies par des constructions inachevées et dont le nombre, d’après des statistiques officielles, dépasse les 500 000 unités.

En principe, si l’on se réfère à la loi N° 08-15, toutes les constructions inachevées ou encore non conformes aux règles d’urbanisation, seront démolies si le propriétaire ne se met pas en conformité avant août 2016 », a déclaré à El Watan-Economie le Pr Mentri. Les autorités compétentes auront-elles le courage de passer à l’acte ? « Je pense que la loi 08-15 vient un peu en retard car il fallait agir plus tôt. Aussi, l’Etat n’a pas toujours donné le bon exemple.

Beaucoup de bâtisses ont été construites par des établissements publics sans permis et sans certificat de conformité. La démolition de ces constructions risque d’aggraver davantage la crise du logement. Comme elle risque d’impacter sérieusement la paix sociale qui est au cœur des préoccupations de nos dirigeants. Il est fort à parier que ces constructions feront, encore longtemps, partie du tissu urbain », tranche notre interlocuteur. C’est pourquoi, recommande-il, une réflexion sur les solutions à proposer sera d’un grand intérêt compte tenu de la gravité de la situation.

Les pouvoirs publics sont, par ailleurs, confrontés à un autre défi et non des moindres : La maintenance et la réhabilitation du vieux bâti. « Leur préservation est devenue une nécessité absolue non seulement pour améliorer l’image de la ville mais aussi pour préserver les styles architecturaux adaptés à chaque époque.

Il est urgent de lancer une vaste opération de réhabilitation du vieux bâti notamment dans les grandes villes. Hautement délicate car nécessitant des techniques très précises, l’opération est également très coûteuse surtout dans un contexte caractérisé par une sévère contraction des ressources publiques», a-t-on insisté lors des débats. Mais, c’était la problématique de la préservation du patrimoine culturel et historique, à laquelle ont été consacrés une dizaine d’exposés, qui était au cœur des longs échanges ayant marqué les deux jours.

Et pour cause, « le patrimoine matériel et immatériel est étroitement lié à la promotion du tourisme pour aboutir à une économie d’échelle et d’efficacité. Il peut avoir plusieurs effets multiplicateurs, directs et indirects, de la demande touristique. Les pays de la région, notamment l’Algérie, devraient valoriser cette activité afin de compléter les offres traditionnelles essentiellement axées sur l’exploitation des avantages naturels», a souligné Mohand Ali Rachid, ancien cadre supérieur au ministère de l’intérieur algérien.

Tourisme culturel

A ce titre, le prestigieux label que peut offrir le classement sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, constitue un avantage déterminant en termes de flux touristiques et de revenus. D’où la tendance haussière des inscriptions dont ont bénéficié plusieurs pays, l’Europe surtout. En témoigne : En 2016, 491 à l’actif du vieux continent et l’Amérique du Nord contre 238 en Asie-Pacifique, 134 en Amérique latine-Caraïbes, 89 en Afrique et 79 dans les pays arabes.

La Chine pour qui « le label du patrimoine mondial est un facteur promotionnel avéré car à même de multiplier indéfiniment les flux de visiteurs », demeure à la tête du peloton. Ce géant asiatique se distingue par la croissance la plus importante avec six inscription avant 1990 et 42 autres intervenues depuis cette date.

Toutefois, « le lien actuellement très étroit entre la demande d’inscription et l’ambition de développer le tourisme urbain dissimulent deux évolutions qui en compliquent la mise en œuvre », a soulevé le Pr André Canabis de l’université Toulouse Capitole3, lorsqu’il est intervenu sur la « Gestion des villes et développement du tourisme : Les ambiguïtés du classement Unesco ». La première évolution, explique t-il, tient à des motivations qui ont changé depuis la convention de 1972, créant la liste onusienne.

La seconde, quant à elle, a trait aux contraintes découlant du processus d’inscription. « la principale contrainte affichée par l’Unesco consiste à veiller à la préservation des monuments et des sites classés, notamment contre toutes les décisions liées à une volonté d’aménagement du territoire et de développement économique constituant une menace pour l’intégrité et l’authenticité de l’espace reconnu ». Le Pr Canabis, a rappelé, à ce sujet, le cas du site archéologique de Delphes (Grèce) ou encore celui des Pyramides de Gizeh (Egypte) : « en 1987, lorsque le site fut proposé pour la liste mondiale, les experts de l’Unesco eurent opposé un niet à un projet d’usine d’aluminium prévu à proximité des éléments archéologiques. Finalement, ils obtinrent du gouvernement grec le changement de l’emplacement. Idem pour les pyramides de Gizeh.

L’Unesco avait réussi à bloquer un projet d’axe autoroutier prévu à proximité du site». Pour lui, les sites en situation de péril prouvé, sont nombreux. En effet, s’appuyant sur les résultats d’un un rapport réalisé, en 2007, sous l’égide des Etats ayant bénéficié de classements, l’Organisation onusienne estime que le tourisme est susceptible d’être émetteur de richesses mais aussi de menaces pour les éléments du patrimoine mondial.

En la matière, la proportion la plus édifiante est, d’après Pr Canabis, est perceptible dans la zone Asie-Pacifique. Ainsi, sur 40 sites connaissant des problèmes d’aménagement entre 1986 et 2004, 25 sont imputables au tourisme, soit 25 % des sites de la région, a-t-il détaillé, Viennent ensuite les pays arabes puisque 10 sur les 21 sites menacés pendant la même période, 10 le doivent au même secteur, soit 26% des sites inscrits. Idem pour la zone Amérique latine-Caraïbes où l1 sur les 24 sites en danger incombent à l’activité touristique (21%). Cette dernière est également à l’origine des menaces auxquelles sont exposés, en Europe-Amérique du nord, 18 sur un total de 74 sites compromis, soit 14 %.

Enfin, en Afrique, sur 16 sites, les périls planant autour de 6 proviennent du même secteur, soit 13%.

Outre les lourds impacts environnemental, physique et sociaux (consommation de masse), la sauvegarde des sites classés demeure aléatoire du fait des aménagements locaux, parcs de stationnement, boutiques de souvenirs, hôtels, routes, des aéroports…etc., prévient le conférencier. Tant de facteurs aux effets pervers auxquels se greffent la mise en valeur intrusive ou excessive ainsi que « les travaux associés, y compris les travaux inconsidérés de reconstruction », renchérit le Pr Canabis.

C’est justement dans le souci d’encourager et de sensibiliser les pays candidats au classement à la prise en compte de la dimension protectrice de la procédure que fut créée en 1993, à Fès, l’Organisation des Villes du Patrimoine Mondial (OVPM). A ce jour, y ont adhéré 203 villes dont, notamment, 120 en Europe, 36 en Amérique latine-Caraïbes, et 20 pour l’ensemble monde arabe-Asie pacifique.

Par cette initiative, l’opportunité est offerte pour « comparer les expériences, échanger les savoir-faire et conjuguer les efforts pour la défense du patrimoine mondial », se réjouit le représentant de l’université de Toulouse.

Et si au Maroc où est, justement, basée cette Organisation transcontinentale des villes, les 9 sites classés patrimoine mondial de l’Unesco, ne posent pas de problèmes notables en termes de menaces, le foncier touristique y étant, à en croire le Pr Ahmed Maliki (Université de Marrakech), la contrainte la plus prégnante, en Tunisie, les sites distingués (08) du label onusien seraient, aux yeux de Jean Mehdi Chapoutot (ancien cadre au ministère du tourisme tunisien), d’aucun impact réellement positif sur le développement des zones les abritant.

Qu’en est-il alors de l’Algérie ?

Avec ses 07 sites déjà inscrits à l’Unesco et 06 autres soumis à la liste indicative, une sorte d’inventaire des biens que chaque État-partie projette de proposer à l’inscription, « nombre de polémiques, toutes récentes, ont fait ressortir que les villes ayant obtenu le classement rencontrent de sérieux problèmes qu’ils n’ont pas anticipés. Il convient que les responsables municipaux aient conscience des exigences du classement Unesco au patrimoine mondial.

Le nombre de sites y étant ainsi distingués n’est pas très important et les projets figurant sur la liste indicative sont peu nombreux », rétorque le Pr Canabis, ajoutant : « si les autorités algériennes souhaitent, dans l’avenir, encourager une politique touristique au profit des villes, fondée sur leur longue histoire et leurs exceptionnelles richesses culturelles, il conviendra de recourir à la procédure Unesco et ce, en pesant les avantages mais aussi les contraintes liées au classement au titre de patrimoine mondial ». Son collègue de l’université d’Annaba, le Pr Mentri, a abondé dans ce sens, se félicitant, de la création, en 2007, de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés, plus de 470.

Cette démarche, même tardive, s’inscrit dans la logique de veiller à la protection du patrimoine culturel et à réglementer les opérations de fouilles, en plus de l’établissement d’inventaires des sites archéologiques. Pour sa part, Dr Kamel Ramaoui (Université d’El Tarf), estime que beaucoup reste encore à faire. Car en l’absence de véritables stratégies de sauvegarde et de mise en valeur, notre patrimoine culturel, cultuel, historique et archéologique est et restera voué au pillage et à la dégradation, sous toutes ses formes, avec la bienveillance de ceux présidant aux destinées de nos villes.
Naima Benouaret