L’Algérie cible d’une campagne mondiale d’évangélisation

L’Algérie cible d’une campagne mondiale d’évangélisation

Un phénomène et plusieurs explications

par Yassine Mohellebi, Le Jeune Indépendant, 6 février 2008

Une enquête sur l’évangélisation en Algérie, réalisée par la journaliste Djaouida Azzoug, a été diffusée hier sur les ondes de la Chaîne III de la radio nationale. Le phénomène qui suscite une grande polémique ces dernières années en Algérie a été retracé au bout d’un reportage de deux heures, en investissant le terrain local, à travers les quatre coins du pays.

De Tizi Ouzou, en passant par Constantine et Oran, des chrétiens algériens, des responsables d’église et d’institutions religieuses algériennes ont apporté leurs témoignages et contributions afin de mieux comprendre le phénomène. L’enquête se voulait un espace de compréhension concernant l’évangélisation, ses racines, ses méthodes et ses objectifs.

Le prosélytisme est-il une réalité chez les chrétiens algériens ? Le phénomène est-il contrôlé par un lobby international ? «Ces églises nouvellement créées, une vingtaine ici à Tizi Ouzou, et qui affichent leur indépendance et leur algérianité comme pour se soustraire des méfiances des uns et des autres (…) Leur point commun, c’est par les chants religieux, les cantiques qui suscitent la curiosité puis l’intérêt de ceux qui finissent par y succomber.

Un procédé commun à toutes les églises évangélistes de par le monde, dites églises transnationales avec lesquelles certains chrétiens algériens entretiennent des contacts», explique la consœur de la radio. «On a des contacts, des rencontres et des séminaires qui sont organisés avec des frères algériens et d’ailleurs», confie Djamel, responsable d’une église, située au centre-ville de Tizi Ouzou.

Ces conversions, de l’avis même des témoins chrétiens, ont dans la plupart des cas des motivations autres que celles religieuses : la perte de repères, la crise sociale et économique, le terrorisme, etc. «En toute franchise, il y a des gens qui viennent rien que pour un visa, et moi-même étant Algérien, j’ai besoin d’un visa», ajoute-t-il.

L’expansion de ces jeunes communautés chrétiennes dans certaines régions d’Algérie a de quoi étonner, en premier lieu l’église catholique d’Algérie car, en matière de pratique religieuse, beaucoup les séparent et très peu de contacts sont entretenus entre celle-ci et ces groupes évangéliques, avoue le Père Jean, qui les qualifie d’ailleurs d’»évangéliques».

En tant que membre de l’église catholique qui a un clergé et qui se refuse à tout prosélytisme, le Père Jean s’est senti interpellé par ce phénomène. «Jésus même n’a jamais imposé à quelqu’un d’embrasser la religion chrétienne», dit-il.

A Constantine, une poignée d’Algériens fréquente l’église. «Ils ont choisi l’église protestante parce que ça tient de l’évangélisme car, pour moi, l’église catholique est quelque chose d’institutionnel, pratiquement un Etat et qui est perçu comme étrangère, de l’avis même des nouveaux convertis.

Par contre, l’église protestante est beaucoup plus souple et simple», affirme Kader, le responsable de l’église. «Officiellement, je n’ai jamais entendu une conversion au christianisme publiquement», assure le directeur des affaires religieuses de Constantine, en poste depuis dix ans.

Sollicité, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs insiste sur le fait qu’il faille faire la part des choses entre la liberté de conscience, garantie par la Constitution et l’islam, et le prosélytisme qui «nuit à la cohésion sociale et nationale du pays».

Une stratégie à long terme, dit-il, en prenant l’exemple des conflits religieux nés dans des pays «après avoir reconverti des gens». Il reconnaît que l’Algérie «est visée» par cette campagne d’évangélisation, comme d’autre pays. Cheikh Bouamrane, président du Haut Conseil islamique (HCI), explique cette renaissance chrétienne dans un pays de religion musulmane en la situant dans un contexte historique.

Pour lui, cette campagne qui a été entamée avant l’indépendance reprend aujourd’hui d’une façon discrète. Il infirme, au passage, que cette campagne soit confinée à une seule région. En outre, l’action sibylline et clandestine menée à travers le prosélytisme par les évangélistes n’a rien à voir avec la liberté de conscience, estime-t-il.

Une accusation que rejettent Youg Jonson, responsable de l’église protestante d’Algérie et Mgr Tessier, qui parlent d’un phénomène d’évangélisation mondial venant des Etats-Unis et qui tend à se développer dans le monde entier. «Il s’agit d’un phénomène né au Etats-Unis et qui a pris une ampleur particulière en Amérique latine.

Il se trouve que le phénomène devient visible spécialement en Algérie», expliquent-ils. Ces églises aménagées dans des garages et des villas sont-elles légales ? Les autorités ont-elles un droit de regard sur elles ? «C’est illégal !» répond sèchement Bouabdallah Ghlamallah.

Toute construction de lieu de culte doit avoir le consentement du ministère, fussent-elles des mosquées ou des églises. Ces gens agissent hors la loi», clame-t-il. En conclusion, l’évangélisation en Algérie s’est développée dans un contexte favorable d’ouverture et d’épreuves difficiles, comme la décennie du terrorisme et la crise politique et économique.

Cependant, elle est loin de devenir un phénomène de masse pouvant se transformer, à terme, en un problème religieux, avec tout ce que cela sous-entend comme implication à différents niveaux. «L’Algérie, forte de son héritage culturel et musulman, sait comment défendre, dans la sérénité, ses croyances et ses convictions», conclut Djaouida Azzoug.

Y. M.


Entre dits et non-dits

L’évangélisation, parlons-en!

par Djamel B., Le Quotidien d’Oran, 6 février 2008

Qu’est-ce qui pousse les Algériens à se convertir au christianisme? Quelle est l’ampleur réelle de la campagne d’évangélisation? Pourquoi les nombreuses «églises» clandestines fonctionnent en vase clos? La raison de leur sectarisme, leur relation avec les églises étrangères? Que prévoit la loi algérienne? Le prosélytisme est-il toléré? Ces églises sont-elles légales? Certains groupes obéissent-ils à des influences externes? C’est à toutes ces questions et d’autres, qu’a tenté de répondre notre confrère Djaouida Azzoug de la chaîne III, de la radio nationale, à travers un long reportage diffusé, hier, sur les ondes de cette chaîne.

Le travail d’investigation de notre confrère, accompagné de nombreux témoignages d’Algériens convertis et d’interventions d’éminentes personnalités algériennes et étrangères dont les missions ou la fonction gravitent autour du thème traité, a permis d’avoir un large aperçu sur ce qui s’apparente, pour beaucoup d’Algériens, à un phénomène qui tend à prendre de l’ampleur. Dans la première partie de son reportage, la journaliste de la chaîne III, est allé à la rencontre de jeunes Algériens, hommes et femmes convertis au christianisme, à travers les régions de la Kabylie, à Oran et à Constantine.

Premier constat sur le terrain, même si le phénomène semble toucher des gens de couches sociales différentes, il n’y a pas de chiffres disponibles pour connaître le nombre exact des convertis. Cela est directement lié au fait que les «groupes ou communautés de convertis» agissent généralement dans la clandestinité. Les garages, les sous-sols, les villas, etc. font office d’églises. A Draâ Ben-Khedda, Said, la cinquantaine responsable de la communauté chrétienne, assure assumer ses convictions et réfute l’idée que sa «communauté» fait du prosélytisme.

«Nous sommes une église méthodiste, nous n’évangélisons pas». Et d’ajouter: «qu’en chantant les louanges du Christ, les gens sont poussés vers nous par curiosité. Nous avons des églises à Oran, Constantine Annaba, etc. Nous essayons d’inculquer un enseignement chrétien», souligne Saïd qui précise que la communauté chrétienne à Draâ Ben-Khedda compte 500 à 600 personnes. «On ne veut pas s’exposer parce que nous n’avons pas de protection», ajoute-t-il. D’autres témoignages sont recueillis, ceux de femmes converties, à l’image de Djouher l’épouse de Saïd ou de Ouiza récemment convertie. Les deux femmes affirment avoir suivi la voix du Christ par conviction. «C’est mon guérisseur», dira Djouher, alors que Ouiza, boudée par sa famille, déclare avoir eu une vision dans son rêve. «Je suis venue à l’église et on m’a dit qu’il s’agit d’un appel du Christ».

D’autres témoignages sont recueillis auprès de Djamel responsable de «l’assemblée de dieu».

Précisant que leur église s’est implantée, il y a deux ans, Djamel affirme entretenir des contacts avec des prêtres étrangers. «Nous invitons parfois des pasteurs pour partager nos expériences. Nous avons aussi des contacts avec les chrétiens d’Oran avec qui nous échangeons aussi nos expériences. Mais généralement, c’est à travers la lecture de l’Evangile et nos propres témoignages qu’on essaye d’apporter des réponses à ceux qui viennent vers nous», dit Djamel. Aux Ouadhias, l’église la plus ancienne, et qui, selon la journaliste de la chaîne III, compte un nombre important de convertis, est dirigée, actuellement, par des chrétiens nouvellement convertis. Au total, la région compte une vingtaine d’églises nouvellement nées et qui affichent leur indépendance. Leur point commun, les chants et les cantiques.

Les témoignages de Hocine ou de Nadia, parlent surtout de conviction et de notions de partage. Hocine reconnaît, lui aussi, que son église entretient des relations amicales avec des églises étrangères mais nie toute influence de ces dernières sur son église. «Nous partons du principe que la communauté chrétienne des Ouadhias est algérienne et doit être prise en charge par des Algériens».

«Des gens viennent spécialement pour le visa»

Dans d’autres témoignages à Tizi-Ouzou, Rachid indique que les conversions ne sont généralement pas, par conviction. «Des gens viennent spécialement pour le visa». A l’instar des précédents témoins, Rachid aussi confirme les contacts avec des églises de l’étranger. «Nous recevons des dons de l’étranger et de l’intérieur. Mais je tiens à souligner qu’il y a des gens qui donnent beaucoup en Algérie», indique le même témoin qui souligne en passant le manque latent de documentation. « Actuellement les gens achètent des bibles librement et la demande dépasse l’offre. Le témoignage de Fatima, a la particularité de dévoiler le traitement réservé à toute personne convertie, qui décide un jour de quitter ces communautés.

«Le prêtre a voulu m’imposer un mari, et j’ai dû quitter cette communauté. Depuis on ne cesse de me harceler» déclare Fatima.

A Constantine d’autres témoins racontent les raisons de leurs conversion. Visions, rêves, ou quête de la vérité… sont autant de motivations citées par les témoins.

Les Algériens seraient plus intéressés par l’église protestante que par l’église catholique, pour bon nombre de raisons. Contrairement aux conversion vers l’Islam qui sont généralement médiatisées, les conversions vers le catholicisme sont plutôt très discrètes. Cela s’est confirmé, d’ailleurs, à travers les déclarations du directeur des Affaires religieuses de Constantine. «Officiellement je n’ai pas entendu de conversion annoncée au grand jour. Si effectivement cela existe, il faudrait comprendre les raisons», dit le même responsable. C’est à Oran que la journaliste a achevé la première partie de son reportage.

Amina affirme connaître beaucoup d’Oranais qui se sont convertis. «C’est à cause de la misère, la situation sociale qu’ils sont attirés vers le christianisme. C’est pour eux une opportunité pour un visa», assure Amina, elle-même convertie.

A Oran, la journaliste indique que deux églises ont été créées ces dernières années, dont l’une se trouve à Aïn El-Turck et où active une association non agréée. Cette église n’a rien de conventionnel et a fait l’objet d’un rappel à l’ordre.

A l’évêché d’Oran, le père Alphonse a souligné qu’il y a des gens qui veulent devenir chrétien ou catholique pour un visa, mais confondent l’église avec le consulat de France.

Sur la question de savoir si ces groupes sont affiliés au mouvement mondial d’évangélisation, le père Alphonse a indiqué que parfois des gens sont embrigadés. «J’ai su qu’il y a eu des missionnaires étrangers venus en Algérie, et on m’a dit qu’ils inculquaient la haine contre les musulmans et les catholiques» dit le père Alphonse.

«Ce que nous reprochons à ces églises, c’est le prosélytisme»

Dans la seconde partie du reportage l’ensemble des questions liées au phénomène ont été abordées avec le ministre des Affaires religieuses M. Bouabdallah Ghlamallah, le président du Haut Conseil islamique Cheikh Bouamrane, l’évêque principal de l’église catholique d’Alger Msr Tessier, et le responsable de l’église protestante d’Algérie Young Johnson.

Rappelant que des étrangers qui se sont installés en Algérie ont mis à leur profit la liberté qu’offre la constitution algérienne, le ministre algérien a qualifié les agissements de «ces étrangers» de tentative d’atteinte à l’unité nationale. «Un étranger qui demande à un Algérien de changer de religion, c’est une atteinte à sa dignité», souligne M. Ghlamallah. Cheikh Bouamrane a, pour sa part, insisté sur la nécessité de revenir à l’activité missionnaire d’avant l’indépendance pour mieux comprendre cette campagne. «Avant c’étaient des actions plutôt portées sur le social, mais pas des actions ouvertes à proprement dit, qui font du prosélytisme. Actuellement on a l’impression d’une renaissance du prosélytisme du 19e siècle. Nous ne reprochons à personne la liberté du culte.

Ce que nous reprochons à ces églises, c’est le prosélytisme», déclare M. Bouamrane. Pour sa part, le père Youg Jhonson a rejeté toutes les accusations selon lesquelles l’église protestante encourage l’évangélisation. «Nous n’avons jamais engagé une campagne d’évangélisation, les gens viennent individuellement, après ils cherchent à intégrer les communautés. Je ne pense pas que le fait de ramener la bible en grand nombre puisse pousser les gens à abandonner leur foi. Il y a des évangéliques en Algérie mais cela ne sous-entend pas qu’il y a une mainmise sur les Algériens», souligne le père Young qui précise, en passant, qu’une dizaine d’églises en Kabylie, deux en Oranie et une à Constantine sont rattachées à l’église protestante d’Algérie.

Le père Tessier a, pour sa part, rappelé que la naissance de ces nouveaux groupes n’est pas un phénomène propre à l’Algérie, il s’agit, dira t-il, d’un phénomène né aux USA et qui s’est étendu à d’autres pays. «Il faut le voir sous l ‘angle de l’évolution du monde. Je tiens à préciser que les premiers à être marqués par ce phénomène sont les fidèles de l’église catholique».

Le ministre des Affaires religieuses a aussi confirmé le caractère illégal de ces églises «clandestines». «C’est illégal, ces lieux sont créés sans l’aval du ministère. Ces gens méprisent la législation, ils sont hors-la-loi», affirme M. Ghlamallah qui souligne que des étrangers utilisent, aujourd’hui, les Algériens convertis pour le prosélytisme.

Cheikh Bouamrane a affirmé que le mouvement tend à devenir très agressif, précisant qu’il ne s’agit, nullement, de conversions par conviction. «Il n’y a pas de convictions, mais plutôt un intérêt qui s’explique par la misère et le chômage. L’intérêt étant, bien sûr, l’obtention d’un visa et la fuite vers l’étranger», déclare le président du Haut Conseil islamique qui exhorte l’Etat à faire plus d’efforts, car dira t-il, «nous sommes agressés chez nous».

Le même interlocuteur clôturera son intervention, en affirmant que la nouvelle loi qui régit la politique du culte est venue à points nommés. «Nous avons suggéré de traiter le problème par la réciprocité. Il s’agit aussi d’empêcher la clandestinité. Nous ne voulons plus que l’Islam soit agressé chez nous. Ils sont hostiles à cette loi, mais c’est de la légitime défense», dit cheikh Bouamrane. «Il est clair que la société algérienne a subi beaucoup d’épreuves, mais elle a tous les moyens de défendre ses croyances et ses convictions», a conclu notre confrère Djaouida Azzoug.


La population de tizi ouzou choquée par les débats sur l’évangélisation

Qui veut mettre une croix sur la Kabylie ?

Par : Samir LESLOUS, Liberté, 6 février 2008

En Kabylie, mariages et enterrements, pour ne citer que ces deux pratiques les plus courantes, sont toujours organisés suivant les rituels musulmans. Une quelconque célébration “à la chrétienne” fera sans nul doute le tour de la région dans les heures qui suivent. Rien de cela n’a jamais été enregistré.

Aussi curieux que cela puisse paraître, des voix ne cessent de s’élever, l’une après l’autre, pour s’attaquer, dans des discours aussi violents qu’étonnants, parfois même choquants, à une Kabylie devenue, à leurs yeux, une région quasi chrétienne dans un pays musulman. Des cas tels que celui du directeur d’une école primaire relevé de ses fonctions dans la région des Ouadhias pour avoir utilisé une école publique pour les besoins d’une campagne d’évangélisation, celui de la traduction de cinq personnes devant la justice pour la même raison, ou encore l’existence d’églises en Kabylie sont souvent exploités par certains responsables comme arguments dans la confection de cette image chrétienne de la Kabylie. Mais ces discours reflètent-ils la réalité du terrain en Kabylie ? Où bien laissent-ils comprendre tout simplement que ces responsables veulent lancer une polémique dont l’objectif reste encore inavoué ? Autrement, la Kabylie est-elle aussi chrétienne qu’on tente de le faire croire ?
Selon une source au fait de ce dossier, le nombre de chrétiens dans la wilaya de Tizi Ouzou avoisine le chiffre de 2 500 personnes, alors que la population totale de la wilaya de Tizi Ouzou est de 1 249 000 habitants, soit même pas un taux de 0,5% de la population locale qui reste donc fortement attachée à la religion musulmane et ses valeurs. Un attachement d’ailleurs facilement observable au quotidien. En Kabylie, mariages et enterrements, pour ne citer que ces deux pratiques les plus courantes, sont toujours organisés suivant les rituels musulmans. Une quelconque célébration “à la chrétienne” fera sans nul doute le tour de la région dans les heures qui suivent. Rien de cela n’a jamais été enregistré. Sur le plan toujours de la pratique de l’islam, il serait utile de souligner que la wilaya de Tizi Ouzou compte pas moins de 1 500 villages et chaque village est doté d’une mosquée. Soit donc au moins 1 500 mosquées sur le territoire de la wilaya. Même plus, puisque, comme l’on sait, les grands villages et les centres urbains comptent toujours plus d’une mosquée. La ville de Tizi Ouzou compte, à elle seule, cinq mosquées fonctionnelles et trois autres en voie de réalisation. Des mosquées parfois réalisées grâce aux cotisations des citoyens lorsque l’État ne daigne pas répondre à leur demande en ce sens. Quant à la fréquentation de ces lieux de culte, il suffirait de se rendre dans n’importe quelle mosquée de Kabylie un vendredi. Elles sont tellement toujours pleines à craquer que de nombreux fidèles se voient contraints de faire leur prière sur la chaussée. Dans les villages kabyles, la mosquée, qui ne réunissait autrefois que les vieux du village, attire de plus en plus de jeunes depuis quelques années. Il est, aussi, facilement remarquable que le village kabyle n’a jamais connu auparavant un nombre aussi important de kamis et de hidjabs dans ses ruelles que ces dernières années. En plus des mosquées, la wilaya de Tizi Ouzou compte 16 zaouïas, réparties sur les quatre coins de la wilaya et fréquentées par des centaines de personnes. Elle compte aussi au moins deux écoles coraniques, à savoir celle de Sidi Mansour, à Timizart, et Taleb-Abderrahmane, à Illoula, qui sont fréquentées par plusieurs centaines de talebs.
Avec un tel état des lieux, où est donc la place à l’évangélisation massive en Kabylie, sachant que cette région compte deux églises, la première dans la nouvelle ville de Tizi Ouzou et l’autre dans la région des Ouadhias, auxquelles s’ajoutent quelques bâtisses de fortune transformées en lieux de culte dans certaines localités, telles que Larbaâ Nath Irathen et Ouaguenoun où est concentrée cette quasi invisible communauté chrétienne. Une communauté tellement invisible et surtout peu importante qu’en Kabylie, le commun des citoyens se montre étonné à chaque fois que la polémique sur une campagne massive d’évangélisation dans la région est relancée.
Ce qui laisse à chaque fois plus d’un perplexe c’est le fait que les sorties de certains responsables de l’État prennent des allures d’accusation alors que la liberté du culte est consacrée par la Constitution. “Sommes-nous dans un État théocratique ou bien dans une république démocratique ?” ne cesse, à chaque fois, de s’interroger le citoyen. Ce citoyen même qui ne comprend toujours pas pourquoi une loi stipulant la fermeture des lieux de culte clandestins a été promulguée pour qu’elle reste sans application et de voir, au même moment, des personnages de l’État défiler devant les médias pour montrer du doigt toute une région et aussi certaines personnes et organisations telles que le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, MAK, dirigé par Ferhat Mehenni. Ce dernier, interrogé justement à ce sujet d’évangélisation de la Kabylie, rétorquera que “la laïcité kabyle continue d’être la cible du pouvoir. Celui-ci encourage et finance l’envoi d’imams intégristes chez nous tout en jetant la suspicion et l’opprobre sur notre région au prétexte qu’elle serait le fief des évangélistes. Or, la Kabylie n’est pas plus évangéliste que n’importe quelle autre région d’Algérie, mais pour les besoins de la propagande du régime, pointer du doigt cet abcès de fixation est plus commode”. Pour Mehenni, “il est dans sa stratégie de livrer les Kabyles au lynchage médiatique national”. “Le MAK, fidèle à ses valeurs, défend la liberté de conscience et de culte et s’insurge contre la chasse aux sorcières que les islamo-baâthistes du régime veulent orchestrer contre les chrétiens de Kabylie”, conclura-t-il.
À Tizi Ouzou en tout cas, le citoyen estime que s’il doit s’inquiéter d’une montée du christianisme, il devrait aussi s’inquiéter de la montée du salafisme.

Samir LESLOUS

 


Prosélytisme évangélique

“Le phénomène n’est pas propre à l’Algérie”

Par :Hamid Saïdani, Liberté, 6 février 2008

“L’église évangélique est actuellement la doctrine qui progresse le plus dans le monde parce qu’elle s’adresse à des individus souvent livrés à eux-mêmes et qui vivent dans des conditions sociales précaires”, a expliqué, hier, le journaliste Slimane Zeghidour, interrogé dans le cadre de l’enquête diffusée par la Chaîne III de la Radio nationale et consacrée à la problématique du prosélytisme en Algérie. Le phénomène n’est donc pas propre à l’Algérie puisque même les pays traditionnellement catholiques se plaignent actuellement de cette poussée mondiale de l’action des églises évangéliques. Un constat que partage Mgr Teissier, archevêque d’Alger, qui note d’ailleurs que “ceux qui ont été le plus visés par ce phénomène ce sont les adeptes de l’église catholique”. L’Amérique du Sud, le Proche-Orient et l’Afrique sont les régions visées par cette stratégie mondiale des évangélistes. Certes, en Algérie, le phénomène est toujours considéré comme marginal et la Constitution garantie la liberté de conscience, mais le ministre des Affaires religieuses, Bouabdellah Ghoulamallah, martèle qu’“il faut veiller à ce qu’il ne devienne pas une menace pour l’unité de la nation”. Pour le président du Haut Conseil islamique, M. Cheikh Bouamrane, “l’action du prosélytisme existe depuis très longtemps en Algérie, mais ces dernières années, elle est seulement devenue plus visible et les gens ont tendance à s’assumer au grand jour”. Le président du HCI se souvient, en effet, des actions menées par les missionnaires dans les régions d’Oran, Aflou, Aïn Sefra et Ouargla, mais, pour lui, “c’est surtout la misère, le chômage et les problèmes sociaux qui attirent les gens vers la conversion” et non pas “la conviction religieuse”. Ce qui dérange surtout dans l’action des églises évangélistes, d’après M. Bouamrane, c’est le discours adopté à l’égard de l’islam. “Le problème c’est que leur action est basée sur le dénigrement de l’islam, du Prophète et du Coran. Celui qui veut devenir chrétien est libre, mais on ne veut pas d’une action clandestine qui dévalorise l’islam”. Cependant, relève M. Ghoulamallah, “ces gens méprisent la loi et créent des lieux de culte sans autorisation des autorités compétentes”, alors que “même pour la création d’une mosquée, il faut une autorisation du ministre lui-même”. M. Bouamrane qui plaide pour le dialogue des religions relève que l’activité cultuelle des musulmans dans les pays occidentaux “est toujours suspectées”. “Alors on demande la réciprocité. Que les choses se fassent au grand jour. On ne peut pas les empêcher de faire leurs prières, mais que cela se fasse dans le respect des lois du pays”, clame-t-il.

H. S.