Quels pouvoirs pour le Président ?

OLIGARCHIE – DÉMOCRATIE – ABSOLUTISME

Quels pouvoirs pour le Président ?

El Watan, 15 juillet 2006

Du fait des dérives qu’elle risque d’entraîner sur le devenir du pays, le « projet » de révision constitutionnelle que les « romains » du FLN veulent imposer au reste des Algériens interpelle classe politique, intellectuels, personnalités, presse et institutions. La loi suprême n’étant point un « machin » comme disait de Gaulle, tant elle engage le devenir de la nation.

Il est tout à fait clair que la reprise en main du FLN « version dobermans », préféré au RND, son clone créé la veille des élections législatives de juin1997 qu’il remporta par le jeu du trucage des urnes — a mis à nu la stratégie des vases communiquants que le pouvoir fait jouer tant au profit de l’un tantôt au profit de l’autre, selon un schéma bien défini par les tenants du pouvoir. La maladie — subite — du président n’a fait qu’accélérer la cadence de liquidation de Ouyahia, encombrant et par trop dangereux, éjecté au profit d’un homme aux apparences paisibles, et dont les prétentions n’ont pas de limites. Tout le monde se rappelle comment il était devenu président de l’APN, et comment il a pris la direction du FLN ; « belbared ». Désormais, il ne lui reste plus qu’à s’inscrire dans le tard président de l’Algérie. En s’installant à la vice-présidence, l’homme de confiance de Bouteflika, tout jeune qu’il est ne perdra rien à attendre. Tous les indicateurs lui sont favorables. Un président fatigué acquis à 100%, une confortable majorité parlementaire, plus des 3/4 des APC et APW, une administration aux ordres, l’absence totale des libertés politiques confisquées, une presse muselée, enfin un climat politique marqué par l’autoritarisme sous couvert de l’état d’urgence. Fort du poste de vice président, que lui offrira son chef, fort de l’avance que lui donnera le poste et enfin assuré de l’intervention ad hoc de la main céleste de Fatima qui interviendra le moment venu pour lui offrir le jour du vote ses 80-90 % de voix favorables. A propos de main céleste, l’on se rappelle la visite nocturne du vent marin qui avait entrouvert le palais des Nations et chiper les bulletins de A. Taleb Ibrahimi ! Il est bien loin le souffle de liberté qui avait balayé le pays après octobre 1988. Ses enthousiasmes initiaux ne sont plus que désillusions, larmes, sang, chômage, misère, suicides… Les citoyens, qui avaient cru un moment, ont vite déchanté. Ils ont compris qu’ils ne sont qu’un « ghachi » comme disait l’auto-expatrié, que le terme citoyen exhibé fièrement dans la Constitution n’est qu’un abus de langage ; ce terme « mouwatin » (traduction usuelle du mot citoyen) recèle en vérité pour les « quelqu’uns » une connotation tronquée, tant elle désigne des sujets politiques dont la subordination à l’Etat est jugée acquise, la loyauté suspecte et pour qui la liberté est à la fois octroyée et provisoire. C’est ça la citoyenneté made in bladi ! Ils ont parfaitement raison, tous ceux qui ne sont pas satisfaits de la Constitution de 1996. Comme toutes Constitutions, celle-ci de 1996 doit subir des toilettages périodiques, l’agresser, la torsader, l’insulter, la congeler n’est ni juste ni intelligent. Si l’Algérie a pu retrouver sa voie, sur les plans politique, économique et sécuritaire et s’imposer sur la scène internationale, c’est grâce à cette Constitution. Elle a surtout permis au pays de se relever, de sortir de la transition (1994-1997). Il y eut les législatives de 1997 et 2002, les présidentielles de 1999 et 2004. Du temps du président Zeroual, le Parlement avait une certaine autonomie. De 1994 à 1999, il n’y eut aucune ordonnance. Tout passait par la voie réglementaire. Le CNT a eu à voter plus de 93 lois. Ce n’est plus le cas depuis avril 1999. La démission de Benbitour en est la meilleure illustration. Pour mal faite qu’elle soit, cette Constitution a vaincu le terrorisme, a permis à l’Algérie d’honorer ses créances avec seulement 8,75 dollars le prix du baril de pétrole — fin 1996. Elle lui a surtout permis de préserver haut sa dignité — incident de New-york, Zeroual-Chirac. Parmi les griefs retenus contre cette Constitution, qu’elle avait été préparée sans leur présence. Sur ce point-là, ils ont parfaitement raison. C’est qu’au moment où des Algériens de toutes tendances dont des patriotes de la direction du FLN se réunissaient ici à Alger, d’autres — ils se reconnaîtront — faisaient le tour des capitales étrangères, armés d’un torchon appelé « pacte national » préparé chez un curé à Rome, suppliant la communauté internationale à liquider le peuple algérien. Il leur fallait juste refuser de travailler sous son ombre. Nos vieilles mères disaient « harrem tchetchi ouahssi l’marka », tandis que Nietzsche disaient que les principes sont des prisons. Acteur et témoin de la rédaction de celle-ci, je m’inscris en faux contre ces allégations mensongères. Côte à côte, des « patriotes » du FLN et d’autres formations politiques, intellectuels, société civile avaient bel et bien participé à la rédaction de cette Constitution. Ils nt pour nom Dr Laâcheb, Pr Bouzidi Lazhari — devenu sénateur 1/3 présidentiel —, A. Belayat —bureau politique — M. L. Lakhdari (UGTA) et bien d’autres… Il y avait bien sûr d’autres personnalités, dont l’ex-ministre de la justice Mekamcha, Ali Haroun, Dr Derbal (Nahda), Menasra (HMS), Touati (FNA). Pouvoir présidentiel américain et pouvoir présidentialiste français. Lequel choisir ? Et puisqu’il plaît aux acteurs de cette modification, voire cette refondation de l’Algérie, en faisant chaque fois que l’occasion leur est donnée de faire référence au pouvoir présidentiel américain,— « complexés », disait l’inspecteur Tahar— voyons ensemble ce qu’est ce pouvoir. Produit d’une histoire politique et constitutionnelle particulière, marqué par une transition entre les régimes monarchiques de l’ancien régime et les régimes parlementaires (XVIIIe-XIXe) siècles, les constituants américains s’inspirant des institutions anglaises voulaient à tout prix s’en débarrasser. Ils se sont mis à copier les régimes politiques les plus ouverts à la philosophie politique née de la théorie de la séparation des pouvoirs professée par Montesquieu. Dans leur esprit, les pouvoirs exécutif et législatif ne devraient en aucun cas exercer une quelconque influence sur leurs prérogatives réciproques. Au nom de la préservation de l’exercice des libertés fondamentales, ils avaient décidé d’annihiler toute influence de l’un sur l’autre. Malheureusement, et comme l’affirme Montesquieu avec force, détail et conviction que « si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Construit autour d’une séparation stricte entre les pouvoirs législatif et exécutif, ce régime présidentiel continue de nos jours d’opposer de nombreux constitutionnalistes, du fait des prérogatives dévolues au chef de l’exécutif, qui donne la prééminence de l’organisation politique et administrative de l’Etat, au détriment du pouvoir législatif ; cette forme d’organisation politique des pouvoirs est jugée comme étant la plus nommée qui soit. Pour des raisons qui leur sont donc propres, seuls les Etats-Unis pratiquent ce type de régime qui n’a cours dans aucun autre pays au monde. Aux USA, le Président, bien qu’il soit entouré d’un cabinet — secrétaires d’Etat — exerce seul les fonctions dévolues au pouvoir exécutif. Ce cabinet n’est doté d’aucun pouvoir politique constitutionnellement reconnu. Le cabinet n’existe pas en dehors de la volonté présidentielle : les ministres ne sont en fait que des fonctionnaires qui exécutent les décisions du chef, dont ils sont les assistants. Par les pouvoirs que lui attribue la Constitution, le Président peut nommer qui il veut aux postes qu’il veut, sans que le pouvoir législatif puisse s’y opposer. Détenteur du pouvoir réglementaire, il est premier responsable de l’administration, chef suprême des forces armées, responsable de l’action diplomatique. Sommes-nous aptes réellement à ce genre d’exercice ? Sommes- nous dans la situation des Etats-Unis d’Amérique ? Quant à la France, parce que de Gaulle voulait un pouvoir sans partage, il avait imposé un régime inédit. Le pouvoir présidentialiste, tel que défini par la Constitution de 1958 est unique dans les démocraties occidentales. « Il ne saurait y avoir de dyarchie au sommet de l’Etat », prétendait le général mais seulement une monarchie républicaine. Le président cumule ainsi les avantages d’un mandat renouvelable, avec les pouvoirs du président américain, ceux du Premier ministre britannique ou du Chancelier allemand. D’ailleurs, le constituant algérien s’est largement inspiré de cette Constitution pour ne pas dire la copier. Arrêtons donc de cauchemarder ! Chez eux, le citoyen choisit ses représentants, chez nous il n’est mouwatin que lorsqu’il se plie aux exigences du maître. Notre Constitution devrait être revisitée, non pas pour accorder plus de pouvoirs à un homme mais bien pour lui en soutirer. La meilleure des constitutions ne pouvant être que celle qui organise et assure une limitation de la prépondérance que chacun des pouvoirs — exécutif, législatif et judiciaire — est susceptible d’exercer l’un vis-à-vis de l’autre. Donner les pleins pouvoirs à un seul homme, aussi intègre et aussi intelligent soit-il, constitue un dépassement des structures royales d’exercice du pouvoir. Dans les faits, c’est plutôt un président qui succède au roi — faussement légitimé par l’élection — et non plus du jeu des règles de descendances familiales. Imposer la désignation d’un vice-président non élu, qui remplacera le président en cas de vacance provisoire ou définitive, y a-t-il plus machiavélique ? L’actuelle Constitution gagnerait plus si elle donnait plus de prérogatives au chef du gouvernement, qui devrait sortir des rangs de la majorité parlementaire, donner plus d’autonomie aux députés, une réelle indépendance du juge, la liberté et l’égalité entre les citoyens, plus d’équité et de démocratie aux partis politiques, enfin bannir toutes formes de fraudes légales : électives, fiscales, bancaires, éducatives…. Bâtir un véritable Etat de droit ; pas des slogans creux. Gérer, c’est d’abord prévoir. Si l’on s’en tient aux formes modernes d’exercice du pouvoir, gouverner — exécutif —, c’est d’abord légiférer — parlement — sous le contrôle direct du juge — pouvoir judiciaire à travers le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel. Les initiateurs du projet en cours, aveuglés par les pouvoirs qu’ils détiennent, n’appréhendent pas les cas de figure où le président se trouverait confronté à une famille politique autre que la sienne, majoritaire au Parlement. Le président interdit de dissoudre l’Assemblée, en cas de manque ou d’absence de collaboration du couple président/Parlement, faute d’entente entre les deux acteurs, l’un ne pouvant contraindre l’autre à se soumettre à ses vues —, c’est la paralysie politique totale de l’Etat — le budget ne pouvant être approuvé. Si un tel régime — présidentiel — est réellement envisagé, il ne fera que tracer la voie à de graves troubles et crises politiques futures et on entrera de plain-pied au pays du radieux pouvoir absolutiste. Pour terminer, je voudrais inviter les auto-proclamés tuteurs du peuple, de méditer le coup d’Etat permanent de Mitterrand et d’en tirer les conclusions. A ceux qui prétendent se sacraliser, il répond en ces termes : […] Le gaullisme vit sans lois. Il avance au flair. D’un coup d’Etat à l’autre, il prétend construire un Etat ignorant dont il n’a réussi qu’à sacraliser l’aventure. […] Un dictateur […] n’a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi. Imaginer qu’un dictateur n’a d’appétit que pour le sang et n’aime que la terreur serait une sottise. Mais il sait que s’il abandonne ou néglige les moyens de son pouvoir, il tombe dans la trappe d’Ubu. Il lui faut sa police, sa justice, son officine de propagande, ses armes de séduction et de répression. Privé d’elles, un jour ou l’autre il verra le peuple sortir de sa torpeur, hurler à la tyrannie, brûler les palais officiels. Même s’il pense qu’il n’a pas opprimé les citoyens, qu’il n’a pas bafoué les lois, qu’il n’a pas moqué les mœurs, qu’il a favorisé le progrès, qu’il a aidé les arts, qu’il a respecté les coutumes, le cri qui montera vers lui sera le cri de la vengeance. Il s’en étonnera. Peut-être en souffrira-t-il comme d’une injustice. Peut-être en sera-ce une. Peut-être préférera-t-il la mort à ce qu’il appellera l’ingratitude. Mais il ne comprendra pas ce qu’il n’est pas apte à comprendre : que le pouvoir d’un seul, même consacré pour un temps par le consentement général, insulte le peuple des citoyens, que l’abus ne réside pas dans l’usage qu’il fait de son pouvoir mais dans la nature même de ce pouvoir. […] Au régime vieillot, qui s’applique à perpétuer une société agonisante, ils peuvent opposer la promesse féconde d’un monde nouveau où la loi, sage et hardie, fera du peuple son propre maître. Ils ont de leur côté la liberté et la justice. S’ils l’osent, ils auront l’espérance.

L’auteur est ancien député Membre du comité de rédaction de la Constitution de 1996

Smaïl Saïdani