Mouloud Hamrouche au congrès de Arab Iniative Reform

Mouloud Hamrouche au congrès de Arab Iniative Reform

Ceux qui veulent la réforme n’en ont pas le pouvoir ; ceux qui ont le pouvoir ne veulent pas de réforme

ARI’s second Annual Conference – Amman, April 18-19, 2007

Mouloud Hamrouche est intervenu, mercredi 18 avril, devant le congrès « Arab Initiative Reform », qui se tient à Amman. Voici les principaux extraits de sa déclaration.

Je vous remercie de cette invitation, et je vais essayer d’évoquer brièvement l’expérience des réformes menées en Algérie. Mais en réalité, ce que je dirai de l’Algérie que je connais le mieux s’applique à la plupart des pays arabes, car leurs pouvoirs se ressemblent dans une large mesure, malgré les divergences d’apparence.

Dans les débats menés depuis ce matin, on a eu parfois l’impression que les tentatives de réformes ont débouché sur des résultats négatifs. On parle comme si les réformes avaient été menées, et n’ont pas abouti. Mais on ne peut évoquer les réformes comme si on était dans un régime démocratique et un système pluraliste. On ne peut parler d’élections et débattre des résultats en occultant le fait que nous ne sommes ni dans des pays démocratiques, ni dans un véritable pluralisme. Nous sommes dans des pays où le pouvoir agit en dehors des règles légales, et où le comportement social est également dominé par le même phénomène de l’absence de règles.

L’aspiration à la réforme est-elle un objectif des partis qui luttent pour imposer des mécanismes d’exercice et d’alternance au pouvoir? Ou bien visent-ils à imposer leurs programme, sans changer les règles du jeu. Il y a une lacune dans la recherche de mécanismes devant amener à démocratiser les régimes en place.

En Algérie, avant les évènements d’octobre 1988, nous nous sommes engagés dans une réflexion pour changer les règles de gestion du pays, et notamment le fonctionnement du pouvoir. Nous avons engagé une réforme économique, en pensant que tôt ou tard, cela aura des répercussions sur le système politique.

Au lendemain des évènements d’octobre, beaucoup réclamaient le multipartisme. Quant à nous, nous avons proposé une autre formule. Nous voulions aller à un pluralisme politique et d’idées, dans un premier temps, pour aboutir ensuite au multipartisme, qui serait un aboutissement, parce qu‘il viendrait de la société et non d’appareils politiques sans substance. Je me rappelle d’une analyse d’alors, dans laquelle nous disions qu’aller au multipartisme tout de suite risquait de nous mener à un multipartisme de façade. Chaque groupe peut, dans ce cas, créer un parti, pour se transformer en groupe de pression en vue d’arriver au pouvoir, non pour régler les problèmes de citoyens.

Je note également que la question à laquelle je dois répondre, « comment aviver les réformes ? » relève d’un grand optimisme. Il y a en effet une difficulté de fond que je résumerai par cette formule : ceux qui veulent la réforme n’en ont pas le pouvoir ; ceux qui ont le pouvoir ne veulent pas de réforme.

La question centrale est donc la suivante : comment allier le pouvoir et la volonté politique pour engager des réformes ?
Quand j’ai exercé les fonctions de chef du Gouvernement, j’ai voulu mettre en place les mécanismes nécessaires pour démocratiser la société et le pouvoir. Nous n’étions pas en démocratie. Je voulais donc créer les moyens et les mécanismes de la démocratisation. La libération de la presse, qui a été évoquée, est l’un des mécanismes de cette démocratisation, aux côtés de la libération de la société et de l’économie. Mais pour moi, ce n’était que le début, l’objectif final étant de démocratiser le pouvoir.

D’autre part, nous avons un pouvoir, mais pas d’état au sens moderne du terme. Ceci est valable pour l’Algérie comme pour la plupart des pays arabes. Là où il y a état, il y a pouvoir, mais là où il y a pouvoir, cela ne signifie pas qu’il y a état.

Il faut donc que la loi devienne le véritable pouvoir, non les individus ou les groupes. Celui qui exerce le pouvoir doit l’exercer exclusivement au nom de la loi.

On parle également de l’islamisme comme une alternative aux pouvoirs en place, ou comme une menace. Je note que ce sont les systèmes en place qui ont généré l’islamisme, non la démocratie. Les élections ne sont qu’un mécanisme qui a permis à l’islamisme de se manifester d’une manière précise. Les élections n’ont pas créé l’islamisme.

L’islamisme ne vise pas à changer le système politique, mais à le remplacer. Cela permet d’ailleurs aux pouvoirs en place de s’allier aux islamistes, qu’on les appelle modérés ou radicaux, peu importe, car le résultat est le même : les islamistes participent à l’exercice du pouvoir.

Vous m’avez demandé de proposer des solutions pour faire avancer la réforme. Quelles solutions ? Ma réponse est simple : il n’y a pas de force politique qui peut mener au changement à part les pouvoirs en place. Je crois que la question centrale est de trouver comment assiéger les pouvoirs en place et les rendre prisonniers de règles juridiques, et des seules règles juridiques. C’est le respect de la norme, de la règle, qui fait défaut. Quand le citoyen viole la loi, il est sanctionné. Le problème, réside chez celui qui exerce le pouvoir. Qui le sanctionne ?

L’existence et le respect de règles légales permettent aux peuples de se défendre. Je crois qu’on ne se rend pas compte de l’ampleur du danger. Nos pays sont menacés de disparition par la violence et l’ingérence étrangère, mais aussi par le fossé entre le pouvoir et le peuple. Les peuples ne sont pas convaincus que les pouvoirs défendent le pays. Si les pouvoirs ne font pas l’effort nécessaire pour engager des réformes, ils pensent que la situation peut durer indéfiniment. C’est faux. Si la situation perdure, elle va s’aggraver jusqu’à l’écroulement.

Il faut donc que les pouvoirs en place respectent la loi, et s’engagent dans la voie du changement. Ensemble, on peut entrer en démocratie, et mettre en place les mécanismes nécessaires. Mais le pouvoir peut se comporter de manière démocratique, en premier lieu envers les institutions. Vous savez, en Algérie, nous avons un Parlement dont 99 pour cent de la composante est avalisée par le pouvoir. Mais même ce parlement n’est pas respecté. Le pouvoir refuse aux députés de débattre. Cela leur permettrait pourtant d’apprendre à fonctionner de manière institutionnelle, et de ne plus fonctionner par des règles de l’allégeance. L’agent responsable de la sécurité doit se mettre au service de la loi, non au service du puissant ou du système en place. Face au citoyen, il affirme faire respecter la loi, mais face au puissant, il protège le régime. Le résultat de ce refus de respecter les institutions est que le pays est dans le même enfermement que celui était en vigueur sous le système du parti unique, à l’exception d’une devanture légèrement différente.

Les instruments de la démocratie moderne sont utilisés pour favoriser la déliquescence et cacher l’état réel de la situation. Ainsi, les élections ne sont pas un moyen de choisir des programmes portés par des candidats différents, mais pour organiser l’accès au pouvoir de gens préalablement choisis.
Par ailleurs, les partis islamistes souffrent d’une grave ignorance, celle de l’importance et du fonctionnement de l’état. Ceci a été bien expliqué par notre ami palestinien, qui a relaté comment le Hamas, une fois arrivé au pouvoir, n’a pas su comment gérer l’état, comment l’état doit être au service de tous, et concilier des intérêts contradictoires. Les islamistes donnent l’impression d’être seulement intéressés par l’idée d’arriver au pouvoir, et de vouloir gérer ensuite sans l’état, ce qui est une aberration.

Enfin, je voudrais aborder un autre point, celui de la démocratie, considérée comme un produit étranger, occidental. Mais le véritable défi, c’est celui de la liberté. La démocratie est une conséquence de la liberté. C’est un ensemble de mécanismes dont la finalité est de faire respecter la liberté de chacun, notamment celle du faible face au puissant.
Je vous remercie.

A la fin de son intervention, Mouloud Hamrouche a répondu à quelques questions

1. A une question sur les réformes, Mouloud Hamrouche a déclaré :

Il est facile de poser des questions théoriques, et se demander ce qu’il faut faire. La différence fondamentale réside dans ce qu’on peut dire et ce qu’on peut faire. C’est agir qui pose problème.

De par mon itinéraire, je penchais vers l’état et pouvoir en place, car je me base sur ma propre expérience. J’appartiens aussi à la génération de lutte pour l’indépendance, qui a cruellement souffert de l’absence d’état souverain, une génération nourrie par l’idée de l’état central. Nous avons une sensibilité particulière pour l’état. Nous avons la conviction que nous devons mener la guerre contre celui qui fait la guerre à l’état. Mais comment lui faire la guerre sans toucher les libertés des gens ?

D’un autre côté, la réforme, et celui qui la mène, ne peuvent occulter les questions de sécurité et la gestion des affaires économiques du pays. L’équation est délicate. Ma conviction est que le système démocratique est la meilleure réponse pour relever défis de sécurité et régler les problèmes économiques et sociaux.
Nous devons trouver ce cadre qui engage le débat et assure la bonne gestion des affaires du pays.

Je voudrais également souligner un fait. Dans le monde arabe et musulman, toutes les réformes et tentatives de réformes ont été menées de l’intérieur. Aucune n’a été engagée de l’extérieur du pouvoir. Mais celui qui mène la réforme peut-il aller jusqu’à remettre en cause ses intérêts ? s’il a la conscience que les intérêts du pays sont en jeu, oui. Je pense qu’il y a souvent mauvaise appréciation, plutôt que mauvaise intention. Beaucoup de dirigeants veulent l’efficacité du pouvoir, mais ils n’arrivent pas à se rendre compte que le pouvoir le plus efficace, c’est le pouvoir démocratique.
On a en face de nous une civilisation, qui a généré la démocratie. Nous avons importé l’organisation de l’armée, de l’industrie, de l’université, de l’école, mais après tout cela, nous disons que nous refusons d’importer le système démocratique, qui nous serait étranger. Pourtant, ce système a permis aux autres de nous dépasser, et c’est le produit de la civilisation humaine.

2. Pensez-vous que l’Europe doit imposer des conditions de démocratisation dans ses relations avec les pays arabes? Les réformes sont-elles une nouvelle démarche occidentale pour imposée aux pays arabes ?

Mouloud Hamrouche :
Il est difficile de répondre brutalement par oui ou par non pour savoir si les occidentaux doivent poser des conditions. On ne peut trancher ainsi. Les pays influents devraient au moins ne pas nous encourager à commettre des erreurs.

Nous avons engagé des réformes en 1986. Je n’ai donc aucune gêne sur ce terrain . Je ne suis pas gêné par le discours sur les réformes importées, pas même par le discours américain. Mais je dois dire que les réformes en Algérie n’ont pas trouvé le soutien nécessaire de la part de l’Europe. Les Européens avaient émis de doutes sur la nécessité même des réformes. Ils disaient qu’on n’était pas capables de les mener, mais nous n’avons trouvé auprès d’eux aucun soutien.