Les amendements de la nouvelle-ancienne loi sur les hydrocarbures

Les amendements de la nouvelle-ancienne loi sur les hydrocarbures

Une loi à contre-courant des fondamentaux du marché pétrolier international

El Watan, 8 octobre 2006

« Etre dans le vent, c’est avoir le destin de feuille morte »
Jean Guitton, philosophe

Au-delà des nombreux arguments (inefficacité du monopole, nécessité de la concurrence, amélioration de l’attractivité du secteur, récupération par l’Etat de ses prérogatives…) qui justifiaient, selon ses promoteurs, la réforme du régime juridique et contractuel des investissements instauré par la loi sur les hydrocarbures de 1986 et les amendements de 1991, la thèse centrale qui sous-tendait la loi sur les hydrocarbures n° 05/07 adoptée en avril 2006 et amendée aussitôt par ordonnance du président de la République du 30 juillet 2006, était que les ressources de pétrole étaient abondantes dans le monde, que la concurrence était vive entre les pays exportateurs, et que, pour défendre sa part de marché, l’Algérie se devait d’améliorer son attractivité, en ouvrant davantage son domaine minier aux investisseurs étrangers(1) Le pétrole aurait perdu donc son rôle stratégique de matière énergétique, limité et non renouvelable ; Il serait devenu une banale marchandise reproductible, subissant comme toutes les autres marchandises reproductibles, les lois « neutres » du marché et de la concurrence, que ce marché serait en mesure d’ajuster automatiquement l’offre et la demande et régler pacifiquement les conflits qui pourraient surgir périodiquement entre producteurs et consommateurs, voire entre pays producteurs eux-mêmes. Exit donc la nationalisation du secteur et le monopole de ses activités . Cette manière de poser le problème nous semblait contre-productive et nous l’avions critiquée en son temps(2). Les événements intervenus depuis ont montré qu’elle s’inscrivait surtout à contre-courant des fondamentaux du marché pétrolier international. La hausse vertigineuse des prix, qui s’est amorcée depuis l’année 2004 – et dont personne ne s’en est réellement offusqué, même l’Opep, bouc émissaire traditionnel dans ces circonstances, s’en sort presque glorifiée ! -, est venue en effet balayer sans ménagements ces certitudes en démontrant, s’il en était besoin, l’incapacité du marché, malgré la très bonne volonté des pays producteurs d’ajuster l’offre à la demande. Elle est venue surtout souligner avec force l’existence d’un déséquilibre structurel durable : l’envolée de la demande face à une offre pétrolière qui se raréfie et se renchérit. Aujourd’hui, le consensus est en effet quasi-unanime : nous vivons une époque de raréfaction de pétrole. : le ratio global réserves sur production (R/P) de cette ressource baisse depuis quelques années, alors même que la production s’essouffle et que les besoins s’envolent. Les progrès techniques (par ailleurs appréciables) et l’effondrement des frontières, notamment de l’ex-URSS, ont donné un moment l’illusion de l’abondance en suscitant l’espoir de développement de zones nouvelles aux ressources potentielles supposées immenses : mer Caspienne, Afrique de l’Ouest, Offshore profond… La désillusion est aujourd’hui à la mesure de l’espoir, particulièrement pour ce qui concerne la mer Caspienne. Au début des années 1990, les réserves situées dans cette région paraissaient constituer une véritable alternative au pétrole du Moyen-Orient. A relire la littérature spécialisée de cette époque, l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan allaient émerger comme de nouveaux eldorados. En 2001, sur les vingt-cinq puits forés dans la zone off-shore et on-shore (en mer et sur terre), vingt se sont révélés négatifs. En 2002, les compagnies BP et Statoil se sont retirées des gisements du Kazakhstan, suivies un an plus tard d’autres compagnies. L’optimisme du début des années 1990 a dû céder trop vite la place aux interrogations. Selon de nombreux géologues reconnus mondialement pour leur compétence (C.Campbell et J.Laherrère notamment), une pénurie sérieuse de l’offre de pétrole conventionnel(3) menace désormais les approvisionnements à l’horizon des 15-20 prochaines années et l’hypothèse d’une envolée durable des prix de pétrole et de gaz naturel s’impose comme le plus probable des scénarii. C’est dans ce contexte de doutes, de tensions sur les ressources, de concentrations gigantesques, d’échafaudage de stratégies pour sécuriser, par tous les moyens, les approvisionnements futurs, tous éléments qui concourent à mettre les pays producteurs détenteurs de ces mêmes ressources dans une situation extrêmement favorable, que la loi d’avril 2006 est venue concéder le contrôle majoritaire, et dans certains cas, le contrôle total, des futures découvertes d’hydrocarbures aux opérateurs étrangers, prenant ainsi, sans détour, le contre-pied de ces tendances fondamentales du marché pétrolier international.

1. Les ressources de pétrole conventionnel se raréfient et se renchérissent

Sur la scène pétrolière mondiale, des certitudes commencent à émerger.
– Du côté de la demande : toutes les analyses s’accordent à souligner que la demande d’énergie est appelée à croître de façon durable et régulière pour accompagner le développement économique. L’ensemble des énergies sera mobilisé, principalement le pétrole brut en vertu de ses commodités et de ses usages captifs, particulièrement dans le transport, et de son caractère quasi irremplaçable dans de nombreux autres usages, pétrochimie notamment ( malgré des politiques agressives de substitution, sa part dans la demande énergétique mondiale s’est stabilisée autour de 52% et son recul a profité d’ailleurs essentiellement au gaz naturel ) mais également le gaz naturel en vertu de ses qualités intrinsèques et de sa disponibilité. L’accélération du rythme des consommations pétrolières observée au cours des cinq dernières années en témoigne. Après une croissance moyenne de 1,54% par an au cours de la période 1992-2002, la demande mondiale de pétrole a progressé de 1,93% en 2003 et de 3,7% en 2004, pour atteindre un record de 82,1 millions barils/jour (mbj) en 2004, puis 83,1 millions de barils/jour en 2005. Au total et en l’espace de 3 ans seulement, les besoins pétroliers ont augmenté de 5,5 millions barils/jour. Ce sont surtout les consommations de la Chine qui ont augmenté de manière encore plus spectaculaire avec un bond de 7,6% en 2003 et de 15,8% en 2004. Plus préoccupant encore, les estimations disponibles, notamment celles de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – qu’ on ne peut soupçonner de pessimisme, ce n’est pas l’intérêt de ses membres – indiquent que la consommation mondiale augmenterait de près de 50% au cours des 20-25 prochaines années, passant de 83,2 mbj en 2005 à 115,4 mbj en 2030. Le Département américain de l’énergie (DOE) est moins optimiste, il annonce, dans son rapport annuel 2005, le chiffre record de 131 mbj en 2025 !
– Du côté de l’offre : la réponse à la montée en puissance des besoins dépend avant tout de l’état des réserves mobilisables et de la fiabilité des chiffres qui circulent à leur propos. Nerf de la guerre de l’industrie pétrolière, la notion de réserves d’hydrocarbures est complexe. D’une façon générale, on peut considérer que les réserves dites « prouvées », qui nous intéressent ici, constituent l’ensemble des ressources disponibles pour couvrir les besoins présents et futurs. Afin d’anticiper la demande, il est indispensable donc de connaître le volume de ces réserves. Très grossièrement, on estime (World Petrleum Congress, 2000) que les réserves prouvées de pétrole (c’est-à-dire celles qui sont géologiquement identifiées, technologiquement exploitables, à un coût économiquement rentable) s’élèvent à 1000 milliards de barils, soit au jour d’aujourd’hui un ratio réserves sur production (R/P) de 35 ans. (Les réserves prouvées de gaz, s’élèvent, elles, à 140 000 milliards de mètres cubes, soit un ratio réserves sur production de 65 ans). Ce ratio n’a cessé de régresser : en 1965, il égalait 60 ans avant de retomber à 46 ans en 1980, puis à 42 ans en 1995. Son évolution reflète bien celle des découvertes : les découvertes ont atteint leur pic mondial en 1965 avec 66 milliards de barils découverts, contre à peine 4 milliards de barils aujourd’hui. La taille des gisements découverts connaît également une courbe de plus en plus décroissante : en 2000, treize gisements contenant plus de 500 millions de barils/jour (soit l’équivalent aujourd’hui d’une semaine de consommation mondiale) ont été découverts contre six en 2001, deux en 2002 et pour la première fois, aucun depuis 2003, en dépit de l’augmentation du rythme des recherches et de la remarquable sophistication des technologies utilisées pour l’exploration et les forages. Il faut souligner à ce stade une remarque très importante : un ratio réserves sur production de 35 ans ne signifie pas que l’on va continuer à produire au même rythme pendant 35 ans, ensuite tomber brutalement à un niveau zéro de la production. Bien au contraire, comme la production de chaque gisement connaît une montée en puissance, une stabilisation (un plateau) et une période plus ou moins longue de déclin, la courbe globale d’offre possible de l’ensemble des gisements dans le monde se présente sous la forme d’une courbe en cloche qui, à un moment donné, fera que l’offre pétrolière mondiale décrochera de la demande mondiale bien avant l’achèvement de la durée de vie supposée (c’est précisément ce que les spécialistes appellent le « pic de production » ou « peak oil »), le calcul arithmétique de la durée de vie qui est la méthode courante (division du volume total des réserves prouvées par le volume de la production annuelle, sans référence à la spécificité du cycle de la production pétrolière, est souvent source de malentendu. C’est justement, ce que prévoient, en précisant parfois les dates, certains organismes et experts indépendants réputés pour le sérieux de leurs analyses et la pertinence de leurs informations. De nombreux géologues estiment que la période de décrochage pourrait se situer entre 2015 et 2020, même avec des estimations « plancher » de l’évolution de la demande pétrolière.

2-La raréfaction des ressources est aggravée par la suspicion sur la fiabilité des estimations connues

A l’inquiétude sur le tassement des réserves et le rétrécissement de leur durée de vie s’ajoute d’autres motifs de doute que les spécialistes attribuent à l’opacité des chiffres et des méthodologies d’estimation de ces réserves. Les méthodes d’estimation sont en effet de plus en plus critiquées non seulement par les experts indépendants, mais également par les compagnies pétrolières elles-mêmes, dont certaines, et non des moindres, ont procédé récemment à une révision sensible de leurs propres réserves, ce qui a renforcé les suspicions (qui ne sont pas nouvelles) au sujet du volume réel des réserves. L’exemple illustrant le mieux ces doutes sur la réalité des chiffres est la récente révision, proprement spectaculaire, du volume des ses réserves annoncée par la compagnie Shell. Deuxième compagnie pétrolière mondiale, la Shell a dû reconnaître en janvier 2004 – malgré le fait qu’elle soit cotée en Bourse et soumise donc au contrôle de commissaires aux comptes et d’audit – que ses réserves prouvées étaient surestimées de 25%. Cela a évidemment affecté l’image de la compagnie et, surtout, il lui a valu une avalanche d’actions en justice de la part de ses propres actionnaires qui l’accusent de tromperie. Ces suspicions relatives à la fiabilité des chiffres des réserves ne concernent pas que les compagnies pétrolières. Elles s’étendent également à certains pays de l’OPEP et à d’autres pays producteurs. Pour ce qui concerne tout particulièrement les pays membres de l’OPEP, les interrogations suscitées par les estimations officielles ne datent pas d’aujourd’hui, elles remontent à la deuxième moitié des années 1980. Entre 1985 et 1986, les Emirats arabes unis ont porté l’estimation officielle de leurs réserves de 33,9 à 97,2 milliards de barils, l’Arabie Saoudite a pour sa part augmenté la sienne de 50% en portant ses réserves de 169,6 à 254,9 milliards de barils entre 1987 et 1988, tandis que l’Irak procédait à un doublement de 32 milliards en 1981 à 65 milliards à partir de 1983 (puis à 115 milliards de barils à partir de 2001). Ce surdimensionnement des réserves est intervenu au moment où les pays membres mettaient en place le nouveau mécanisme de régulation de leur propre offre qui reposait sur le plafonnement de la production globale et l’attribution de quotas nationaux de production aux pays membres. Ces quotas ont été fixés en fonction essentiellement des réserves prouvées de chaque pays. Ainsi, entre 1983 et 1988, le volume de ses réserves prouvées estimées par l’OPEP a augmenté de 62%, bondissant de 470 milliards à 761 milliards de barils au 1er janvier 2006. Certaines de ces révisions ont certes été la conséquence de nouvelles découvertes ou de progrès technologiques portant sur l’ amélioration des taux de récupération, ou tout simplement de réévaluations des réserves liées à la hausse des prix. D’autres sont restées sujettes à discussion, d’autant plus que la quasi-totalité de ces réserves est détenue par des sociétés publiques peu favorables à l’ouverture de leur domaine minier aux organismes indépendants… Ces organismes indépendants ne se privent pas d’ailleurs d’afficher leurs propres estimations.

(A suivre)

Notes

(1) La loi sur les hydrocarbures de1986 comme les amendements de 1991 ont également ouvert l’amont pétrolier, puis gazier aux investisseurs étrangers, avec cependant deux différences fondamentales : la préservation du monopole de Sonatrach et l’obligation de sa participation majoritaire (51% au minimum) dans toute association avec les partenaires étrangers.

(2) Amor Khelif Le nouveau projet de loi sur les hydrocarbures. Les illusions et les réalités. Document dactylographié, 15 mars 2001. Une version écourtée de ce texte a été publiée par le quotidien La Tribune du 10 octobre 2003

(3) Le pétrole conventionnel (ou classique) désigne le pétrole brut qui fait l’objet d’une exploration et d’une exploitation courantes et répondant aux standards courants de rentabilité dans les conditions économiques présentes. Par opposition, le pétrole dit non conventionnel (ou nouveau pétrole) correspond aux pétroles d’accès difficile et à coûts d’exploitation élevés, voire très élevés (50 à 100 dollars par baril), il comprend les huiles lourdes et extra-lourdes, l’offshore profond, le pétrole des zones arctiques, les sables asphaltiques, les scistes bitumineux, etc.


Les amendements de la nouvelle-ancienne loi sur les hydrocarbures

Une loi à contre-courant des fondamentaux du marché pétrolier international

El Watan, 9 octobre 2006

Ainsi, selon l’Association for the Study of Peakoil (ASPO), les réserves de l’OPEP seraient surestimées à 400 milliards de barils, ce qui correspond à 44% du total des estimations officielles.

En janvier 2006, l’hebdomadaire américain Petroleum Intelligence Weekly avançait que les réserves prouvées du Koweït ne dépassaient guère les 48 milliards de barils, alors que l’estimation officielle avance le chiffre de 96,5 milliards de barils. L’hebdomadaire tirait la même conclusion pour ce qui concerne la Russie : le volume réel des réserves de pétrole de ce pays serait de 30 à 40% inférieur au chiffre officiel de 72,2 milliards de barils. Bien évidemment, le rappel de ces quelques estimations indépendantes ne pourrait signifier que les chiffres affichés par les organismes indépendants seraient plus fiables ou plus crédibles que ceux avancés par les pays eux-mêmes. En indiquant des énormes différences dans les estimations, ces chiffres soulignent aussi bien la complexité des critères techniques et économiques retenus que les interrogations qui subsistent au sujet des données disponibles. A ces doutes sur le volume réel des réserves, il faut ajouter d’autres motifs d’inquiétude qui abondent dans le même sens :
– Parallèlement au ralentissement des découvertes et la baisse régulière du ratio réserve sur production (R/P), la production a dû faire face à un renchérissement des coûts qui est lié au déclin des grands gisements et le recours de plus en plus, à l’exploitation de gisements de taille plus petite, ce qui affecte négativement la structure des coûts.
– Un autre motif d’inquiétude est représenté par le déclin de la production dans de nombreux pays producteurs et l’insuffisance des investissements domestiques dédiés au développement de nouvelles capacités de production. A cela s’ajoute, naturellement, la hausse des besoins énergétiques nationaux des pays jusqu’ici exportateurs. Aussi, plusieurs pays, hier encore exportateurs nets de pétrole brut, sont devenus importateurs nets (Indonésie, Egypte et Tunisie, sans oublier évidemment les Etats-Unis) ou risquent de le devenir dans peu d’années (Gabon, Oman, Syrie, Royaume-uni, Mexique…). Corrélativement, la dépendance des grands centres de consommation pétrolière devrait sensiblement progresser vis-à-vis du pétrole du Moyen-Orient. Malgré les interrogations sur l’état réel de ses réserves, la région du Moyen-Orient est la seule région qui dispose encore de ressources significatives et surtout de capacités de production appréciables qui lui permettent de dégager des excédents importants pour l’exportation. Cependant, doubler la production, comme il est attendu de cette région au cours des 15-20 prochaines années, n’est ni possible physiquement ni soutenable politiquement en raison des risques techniques et politiques que cet effort fera peser sur les gisements et sur la stabilité de toute la région.

3-Tous les acteurs pétroliers ont pris la mesure de cette crise potentielle

Les acteurs pétroliers — pays producteurs, compagnies internationales, pays consommateurs — sont plus que jamais confrontés à la perspective de raréfaction du pétrole et au renchérissement de ses coûts. Chaque groupe d’acteurs entend affiner sa stratégie pour y faire face. Pour les pays exportateurs, membres de l’OPEP, la préoccupation de l’heure, pour la majorité d’entre eux, est à la préservation des ressources et à la résistance aux pressions extérieures visant la libéralisation des investissements dans l’amont pétrolier. Pour ce qui concerne notamment les pays du Golfe, la réouverture du secteur pétrolier amont au capital étranger n’est pas du tout à l’ordre du jour. Ces pays qui n’ont pas souffert des mêmes contraintes financières et politiques que les autres pays membres, plus peuplés, avaient, pourtant, commencé par récuser les politiques de nationalisation lancées dans les années 1970 avant de procéder, à leur corps défendant, à des accords de prise de contrôle à 100 % des actifs des anciennes compagnies concessionnaires. C’est le cas notamment du Koweït où le seul projet qui prévoit une participation étrangère dans le cadre d’un contrat de services se heurte depuis plusieurs années à de multiples obstacles politiques, dont notamment une vive opposition au sein de l’Assemblée nationale. Il s’agit du « Projet Koweït » qui porte sur l’accroissement de 900 000 barils/jour de la capacité de production de 5 gisements dans le Nord du pays. Pour l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial, aucun signe de remise en cause du monopole de la Saudi Aramco n’a encore été manifesté à ce jour. Même la fameuse « Initiative du gaz », qui a été lancée en 1998 et qui a porté sur trois grands projets gaziers impliquant des investissements de 25 milliards de dollars, est aujourd’hui dans l’impasse. Elle avait été perçue à l’époque par les compagnies comme un premier pas devant mener à la réouverture du secteur pétrolier amont. Cette résistance à la libéralisation des investissements dans le secteur pétrolier est interprétée par de nombreux analystes comme la victoire de l’encadrement saoudien de la Saudi Aramco et de ses soutiens parmi les membres de la famille royale, qui estiment que de simples contrats de services et d’assistance technique, qui excluent évidemment l’accès des compagnies aux gisements, suffisent à assurer le développement du secteur. La question reste toutefois posée de savoir jusqu’où et jusqu’à quand les réticences saoudiennes (et koweitiennes) pourraient se maintenir. Aux pressions extérieures s’ajoute, en effet, depuis l’invasion de l’Irak, la menace de privatisation totale du secteur pétrolier de ce pays (le gouvernement irakien actuel, soutenu par la majorité chiite, y est farouchement opposée) ce qui pourrait avoir, si elle venait à se produire, un effet contagieux pour toute la région. D’autres pays membres ont adopté des politiques différentes. En effet, aussi surprenant que cela puisse paraître, les trois pays membres qui ont été les premiers à nationaliser leur industrie pétrolière dans les années 1970 : Algérie, Irak et Libye ont également été les premiers à tenter de libéraliser, à un degré ou à un autre, la même industrie et à rouvrir le secteur amont aux compagnies internationales. Cette ouverture a reposé, pour ce qui concerne l’Irak et la Libye, sur l’adoption d’une législation assez proche de la loi sur les hydrocarbures adoptée en 1986 en Algérie ; l’instauration du régime de partage de production, en vigueur aujourd’hui dans ces pays, a continué à cohabiter avec un régime de contrats de service. Autre pays, l’Iran qui applique, depuis le début des années 1990, la formule dite de « buy-back » (une variante de contrats de services) au terme de laquelle une compagnie étrangère ne pourra pas être propriétaire du pétrole qu’elle produit, de nombreux arrangements sont cependant pratiqués, mais ces arrangements doivent rester conformes à la constitution du pays qui énonce que les accords de participation (tels que les concessions ou les contrats de partage de production) sont strictement interdits. Aussi, jusqu’à ce jour, aucun pays membre de l’Opep, à l’exception de l’Algérie (loi d’avril 2006) n’a franchi le pas en concédant la majorité aux compagnies dans les gisements à découvrir. Plus paradoxal encore, ce sont les pays du Golfe (auxquels il faut ajouter l’Iran), pourtant qualifiés de « colombes » qui offrent la moindre prise au capital étranger sur leur industrie pétrolière, en pérennisant quasi-exclusivement des contrats de services, sans aucun droit sur la production pour les compagnies. Pour les pays consommateurs : dans un contexte marqué par une demande pétrolière de plus en plus croissante pour une ressource qui se raréfie, toutes les politiques des grands pays consommateurs comportent désormais un objectif absolument prioritaire : sécuriser les approvisionnements pétroliers à moyen et à long terme, à tout prix et quel qu’en soit le coût. Cette logique a induit une situation totalement inédite : les conflits traditionnels opposant pays producteurs et pays consommateurs sont en train de s’estomper progressivement pour laisser place à des conflits et des rivalités entre grands pays consommateurs, engagés dans des luttes serrées pour contrôler les ressources de pétrole et de gaz … Ceci explique la course à laquelle se livrent, depuis une quinzaine d’années, les Etats-Unis, les pays européens, la Chine ou le Japon pour prendre pied dans les pays détenteurs de réserves et contrôler les routes de transit, terrestres et maritimes, entre les centres de production et les grandes zones de consommation. Avec le bras de fer entre Américains, Russes et Chinois pour le contrôle des ressources de la mer Caspienne, la guerre de l’Irak en 2003 a permis aux Américains d’évincer Russes, Chinois, Italiens et Français de ce pays. La concurrence effrénée pour redessiner la carte des grands réseaux internationaux de transport des hydrocarbures (oléoducs et gazoducs) sont autant d’exemples des grandes manœuvres géo-politiques, dont l’objectif ultime vise à sécuriser les approvisionnements pétroliers des pays concernés (et, dans le cas des Etats-Unis, en faire aussi un formidable levier de pression sur ses concurrents européens et asiatiques). Les compagnies internationales : profitant de la déréglementation des marchés, les grandes compagnies ont conduit, d’abord dans les années 1980 (aux dépens notamment de petites et moyennes sociétés pétrolières, qui étaient étranglées par l’effondrement des prix) et surtout depuis le milieu des années 1990, un mouvement de concentration, sans précédent dans l’histoire pétrolière. En août 1998, BP, qui venait de se relever d’une crise financière aiguë, a déclenché ces grandes manœuvres en rachetant Amoco, puis Arco, deux des principales compagnies indépendantes américaines, possédant de larges actifs en gaz naturel et en pétrole, en Algérie notamment. De 1998 à 2005, BP a réalisé des fusions acquisitions de 125 milliards de dollars… En novembre 1998, deux autres fusions géantes sont réalisées : Exxon, le premier groupe pétrolier américain et mondial, prit le contrôle de Mobil, le 3e groupe mondial et le 2e américain, la même année, le groupe français Total acheta le groupe belge Fina, avant d’absorber l’autre concurrent français, Elf. En octobre 2000, Chevron prit le contrôle de l’autre géant américain, Texaco. Ce dernier groupe a dû payer le prix fort pour acquérir en 2005 la société indépendante américaine Unical, qui était convoitée également par l’entreprise publique chinoise Cnocc. Cette acquisition a été suffisamment médiatisée parce qu’elle a opposé, durant des mois, autorités américaines et chinoises, révélant l’étendue des rivalités qui existent à propos du contrôle des réserves pétrolières. Et c’est à coup de pressions et de promesses des pouvoirs publics américains qu’Unical est restée dans le giron de Chevron Texaco. Au-delà de la réduction formelle du nombre des grands acteurs (les « sept sœurs » qui avaient si longtemps dominé le paysage pétrolier, sont réduites à cinq), cette stratégie de concentration a eu pour effet de déboucher sur une véritable flambée du cours des actions, mais elle n’a réglé aucun problème de fond. Les nouveaux groupes sont toujours confrontés, en dépit de leur nouvelle puissance financière, à la baisse des découvertes et à la stagnation de la production. Entre 1999 et 2002, le groupe des « cinq sœurs » a investi, à lui seul, 150 milliards de dollars pour augmenter modestement son niveau de production de 16 millions à 16,6 millions de barils/jour. En 2003, malgré un investissement de 40 milliards de dollars, ce groupe a enregistré un recul journalier de la production de 67 000 barils. Dans ces conditions, le retour des compagnies dans les pays producteurs, avec l’appui très actif de leurs Etats respectifs, et surtout l’accès à de nouveaux gisements, est devenu, pour elles, une question de survie : leur taux d’auto-approvisionnement (livraison à leurs propres raffineries) n’en finit pas de se dégrader, à peine 40% aujourd’hui contre 50% en 1990. (A suivre) L’auteur est : Professeur d’économie

Amor Khelif


Les amendements de la nouvelle-ancienne loi sur les hydrocarbures

Une loi à contre-courant des fondamentaux du marché pétrolier international (3e partie et fin)

El Watan, 10 octobre 2006

– 4 Quelle politique ? Pour quel avenir ?

Aux termes des développements précédents, il est important de souligner les trois observations suivantes :
– 1 En premier lieu, un épuisement physique des réserves de pétrole conventionnel n’a rien d’exceptionnel si tous les partenaires du marché pétrolier (pays exportateurs, pays importateurs, compagnies) acceptent dès maintenant un ajustement progressif du prix de ce même pétrole qui le conduirait, selon une logique d’augmentations régulières et négociées, à égaliser, dans les 15-20 années à venir, les coûts de mise en valeur du pétrole non conventionnel de remplacement, dont les ressources sont gigantesques et les coûts très élevés (pétrole lourd <20 API, pétrole extra-lourd <10 API, schistes bitumineux, ; sables asphaltiques…) et des autres produits énergétiques substituts (énergies nouvelles et renouvelables). Autrement dit, il s’agit, notamment pour les pays consommateurs, de choisir entre deux politiques alternatives ; absorber par doses graduelles et prévisibles cette hausse des prix ou la recevoir immanquablement comme un ajustement brutal. Une telle démarche permettra d’éloigner l’horizon de la pénurie, une pénurie physique de pétrole est en effet une situation où les prix internationaux de pétrole ne s’élèvent pas assez ou pas assez rapidement pour rendre possible la mise en valeur des ressources alternatives à coût cher. Il faut reconnaître que jusqu’à maintenant, et en dépit des nombreuses initiatives(dialogue producteurs/consommateurs, propositions de la commission de stratégie à long terme de l’Opep…), c’est un autre choix qui a prévalu, reposant sur le gel artificiel des prix pétroliers, notamment ceux de l’Opep, d’où la confrontation récurrente, tous les 8-10 ans, à une flambée des prix.
– 2 La deuxième observation, dont il faut tenir compte, a trait aux conséquences de prix pétroliers élevés dans le futur et leurs implications institutionnelles pour un pays exportateur comme l’Algérie. Si comme le soulignent de nombreux spécialistes, la poursuite de la hausse des prix est devant nous (ceci n’exclut pas évidemment des périodes de corrections provisoires vers la baisse), l’enjeu dans les années à venir pour les pays producteurs, spécialement pour l’Algérie, n’est pas d’entraver ou de contrer cette tendance (l’opération n’est du reste pas aisée : l’échec des tentatives de neutraliser la flambée actuelle des prix en est l’exemple), mais de choisir entre les différentes politiques possibles, celle qui permet de maximiser ses revenus. Si on laisse de côté les considérations d’ordre politique ou idéologique et que l’on s’attache uniquement aux facteurs économiques, la meilleure des politiques est celle qui assure le partage le plus favorable de la rente dans un contexte de rapport de force donné. Ceci implique, comme le prouve l’histoire pétrolière des 35 dernières années, la préservation des formes de contrôle majoritaire sur les activités du secteur pour réguler le rythme des productions et des exportations, encadrer les négociations commerciales sur les prix et les volumes, notamment pour le gaz. Bref, pouvoir concevoir une politique commerciale, à moyen et long terme, en toute indépendance. Tel n’était pas le cas dans le régime juridique édicté par la loi d’avril 2006, où le contrôle majoritaire en matière de nouvelles découvertes était concédé à l’investisseur étranger à hauteur de 70% au minimum. La restauration de l’obligation de participation majoritaire (51% minimum) qui a été confirmée par l’ordonnance du 30 juillet du président de République au bénéfice de l’entreprise publique Sonatrach apparaît alors comme une décision pleine de sagesse, parce que, entre autres, elle rend possible une politique indépendante de préservation de ressources énergétiques non renouvelables, faciles d’exploitation et peu coûteuses, qui, de surcroît, appartiennent solidairement non seulement à notre génération, mais également aux générations futures (quel prix payeront nos petits-enfants, une fois épuisés les hydrocarbures, pour acquérir les technologies du nucléaire par exemple, à supposer que ce choix soit politiquement faisable ?). Le retour, d’ailleurs, sur ce point précis, aux anciennes dispositions de la loi sur le partage de production de 1986 est le signe que cette loi n’a pas démérité.
– 3 La confirmation de ce choix stratégique, et c’est là notre dernière observation, ne doit pas masquer le fait que le secteur des hydrocarbures fait face depuis des années à d’autres défis tout aussi stratégiques. Citons brièvement au moins trois d’entre eux :
– 1 Le débat sur la sécurité à long terme de nos propres approvisionnements énergétiques doit être rouvert. La politique du « tout gaz », définie dans les années 1970 qui a consacré le gaz naturel comme source majeure pour couvrir les besoins du marché intérieur, est maintenant passablement bousculée par, d’une part, l’amplification des projets d’exportation (l’engouement international pour le gaz devient une formidable source de pression sur notre politique d’exportation) et, d’autre part, la perspective de croissance de la demande domestique (outre les usages traditionnels qui croissent, citons le projet d’exportation d’électricité fabriquée à partir du gaz, le projet de développement d’une industrie pétrochimique à base de gaz…). L’arbitrage entre couverture des besoins à long terme du marché intérieur et exportations devient urgent. Pour ne pas s’arrêter à des objectifs très vagues comme dans le passé (profession de foi récurrente de sécuriser 35/40 ans de demande intérieure, sans dispositif réel de mise en œuvre de cet objectif), ne faut-il pas franchir le pas et inscrire dans ce débat la question de dédier des gisements précis à la satisfaction exclusive de la demande à moyen et long terme, du marché intérieur ? Ce choix se trouve plus facilité après les récents amendements : en récupérant une majorité de décision sur la production, l’Etat peut aisément mettre en place une politique de préservation des ressources, ce qui serait inconcevable dans un contexte de contrôle majoritaire étranger sur cette même production.
– 2 Le régime juridique de « partage de production » a débouché sur des résultats très satisfaisants (croissance des réserves, des productions, des exportations, drainage substantiel d’investissements…). Il a produit aussi des effets pervers. Un de ces effets le plus visible est le recul de la position de Sonatrach dans la production (près de la moitié de la production pétrolière totale a été assurée par les compagnies étrangères en 2005). Ce résultat peut être interprété comme le signe du succès incontestable de cette formule de partenariat, mais il traduit aussi un manque à gagner évident pour Sonatrach et surtout une régression du niveau de la maîtrise du processus de production par l’entreprise publique. Sur un autre plan, si ce déséquilibre devait se poursuivre, voire s’élargir (ce qui n’est pas exclu), il pourrait déboucher sur une déqualification substantielle des compétences techniques de l’entreprise publique (sans parler de la fuite de personnel qualifié vers les compagnies). Ne faut-il pas, là aussi, songer à des garde-fous qui permettraient à Sonatrach de réaliser un seuil minimum de la production totale du pays ?
– 3 Si l’on admet, ce qui est une évidence, que le pays dépend encore grandement, après des décennies d’« investissements », de la rente pétrolière (qui a représenté en 2005, près de la moitié du PIB, deux tiers de la fiscalité publique, la quasi-totalité des exportations), la tentation est grande, dans une perspective de hausse des prix internationaux, de reconduire, à l’identique, la politique peu rigoureuse que nous avons connue dans le passé, qui consistait à se reposer presque exclusivement sur la croissance des exportations de pétrole et de gaz pour augmenter la richesse nationale. Dans ces conditions, le défi majeur qui confronte le pays est de rompre avec cette logique de fuite en avant. L’instauration de fonds de stabilisation des recettes est un pas dans cette direction, mais elle ne saurait suffire, d’autres pays, confrontés au même risque de dépendance vis-à-vis des recettes faciles du pétrole, ont pris la décision radicale et courageuse, de plafonner la part de la rente dans le revenu national (l’excédent éventuel de recettes, étant gelé dans des fonds de solidarité entre les générations). L’enjeu, qui importe le plus, n’est donc pas de savoir comment dépenser l’argent du pétrole et du gaz, mais comment faire pour se passer progressivement de ces revenus. Cette question, qui demeure centrale, est donc toujours au cœur de la problématique des hydrocarbures, depuis… 30 ans !

– N. B. :

Les données statistiques citées dans ce texte ont été, pour l’essentiel, regroupées à partir de l’exploitation de différents numéros des periodiques et rapport suivants : Pétrole et gaz arabes-PGA, Oil and gas Journal, raport annuel de l’Agence internationale de l’énergie-AIE.

L’auteur est Professeur d’économie

Amor Khelif