Le solide consensus droite-gauche sur l’Algérie

Le solide consensus droite-gauche sur l’Algérie

Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 10 février 2001

Des intellectuels français et algériens se sont livrés, dans le journal Le Monde, à la veille de la visite du ministre français des Affaires étrangères à Alger le 13 février, à un violent réquisitoire contre la politique française à l’égard de l’Algérie.

Double réquisitoire en fait, l’un contre les autorités algériennes accusées de violations massives des droits de l’homme, et l’autre contre le gouvernement français accusé de se faire systématiquement l’avocat des premiers devant les instances internationales.

Parmi les premiers signataires, on trouve le sociologue Pierre Bourdieu et François Gèse, directeur des éditions La Découverte, qui viennent de publier le témoignage d’un officier des forces spéciales, Habib Souadia, intitulé «La sale guerre», après avoir publié le livre de Nesrallah Yous «Qui a tué à Bentalha ?». Les deux livres servent d’argument principal aux auteurs de la pétition pour accuser le pouvoir algérien de violation massive des droits de l’homme au cours des ces neuf dernières années. Le livre de Habib Souadia est présenté comme étant une somme de «preuves directes et précises» de l’implication des autorités algériennes dans ces violations.

Dénonçant la visite du ministre des Affaires étrangères français, les auteurs du réquisitoire récusent le fait que le cas algérien soit spécifique et estime que, là aussi, il faut «appliquer les mêmes principes du droit international que ceux qui ont été mobilisés contre d’autres dictatures de ce type», au Chili, en Argentine… et en Serbie. «Comme pour ces pays, la démocratie et l’état de droit ne seront possibles en Algérie que si l’on arrive à une solution politique du conflit, passant par un dialogue selon des règles clairement établies, n’excluant aucun des courants politiques qui rejettent la violence», estiment les signataires, qui constatent que les politiques mises en oeuvre par le pouvoir algérien, y compris la «concorde civile», ont ajouté «à la confusion et à la l’opacité, entretenu les tensions et la violence et consacré l’impunité».

Même s’ils ne le disent pas ouvertement, les signataires de la lettre paraissent largement partager les options du «contrat de Rome», rejeté «globalement et dans le détail» par le pouvoir algérien.

Si le pouvoir algérien est accusé de mener une politique «d’éradication tant politique que physique de toute opposition», la France est violemment mise en cause pour son soutien à cette politique. Elle est accusée d’avoir joué «un rôle décisif dans la mise en place de la machine de guerre en Algérie» à travers son soutien au pouvoir algérien devant les instances financières internationales, la fourniture «d’armes sophistiquées» et la formation de «troupes d’élites». Pour eux, grâce au soutien français, l’Algérie «continue de bénéficier d’un traitement spécifique, en contradiction avec la déclaration de Barcelone». L’interpellation du gouvernement, dont l’administration et la diplomatie «ont joué un rôle actif et militant pour empêcher toute condamnation de l’Algérie et s’opposer à l’envoi de rapporteurs spéciaux», est violente.

Et à la veille d’une nouvelle session de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, la visite de Hubert Védrine est qualifiée d’une caution de plus aux autorités algériennes dans leur «politique d’éradication et de déni du droit». «Nous tenons à interpeller avec fermeté le gouvernement français pour lui dire que nous sommes nombreux en Algérie, en France et en Europe à considérer que sa politique algérienne ne relève plus des relations ordinaires entre deux Etas mais d’une véritable complicité des crimes contre l’humanité», concluent les signataires de la pétition.

Il est clair que le véritable objet de la pétition n’est pas une nouvelle mise en cause du pouvoir. La plupart des signataires de la pétition ont d’ailleurs une position tranchée sur la question. Le véritable objet est de soulever un débat en France sur la politique algérienne de la France qui est très souvent déterminante dans la définition de la politique européenne à l’égard d’Alger. La mise en cause du pouvoir français en cause est d’une rare violence, mais il semble peu probable qu’elle puisse ouvrir le chemin à une redéfinition de sa politique marquée par un soutien prudent et peu bruyant aux autorités algériennes. De ce point de vue, l’attitude de Lionel Jospin, une fois au gouvernement, a montré que le discours de l’opposant n’a pas beaucoup à voir avec celui qui se trouve en charge du pouvoir.

La lettre-réquisitoire alimentera, sans aucun doute, la polémique dans les médias et entre intellectuels français traversés également par la dichotomie entre «éradicateurs et réconciliateurs», mais elle a peu de chance d’influer sur la politique de l’Etat français.

Le consensus entre Chirac et Jospin sur la question algérienne en est la preuve. Les échéances électorales qui commencent à mettre à rude épreuve la cohabitation ne remettront sûrement pas en cause ce consensus fondé sur la prudence et l’attente des clarifications des enjeux en Algérie.

 

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