GSPC: plaire à l’Amérique ou rechercher notre paix ?

GSPC: plaire à l’Amérique ou rechercher notre paix ?

Par El-Kadi Ihsane, Le Quotidien d’Oran, 28 novembre 2002

Les adversaires de la concorde civile se sont déchaînés cette semaine après l’annonce d’un lien yéménite entre le GSPC et Al-Qaïda. La perspective d’une négociation avec l’organisation de Hattab s’effondre. Cela vexerait l’Amérique. Et si le retour à la paix, avec une concorde bis, devait passer tout de même par un accord avec le GSPC ? A défaut de l’envisager, il est temps d’en dire plus sur la solution militaire.

Les conséquences de 10 années de guerre civile peuvent être des plus imprévisibles. Ainsi, par exemple, pour le sentiment anti-impérialiste des élites algériennes. Il a fondu à la vitesse de la libéralisation des marchés. Chez l’ancienne gauche communiste «officielle», il s’est même retourné en son contraire: une obséquieuse allégeance à l’Amérique, totem de la modernité qui protège la planète des gueux de l’intégrisme islamiste.

L’affaire du Yéménite de Batna en est la dernière illustration. Un sacrilège suprême vient coiffer toutes les exactions de la guérilla islamiste depuis tant d’années. Elle est anti-américaine. Le GSPC avait dans ses rangs un émissaire de Ben Laden, il était en liaison avec Al-Qaïda. Donc, le GSPC fait partie de la grande conspiration terroriste anti-occidentale. Il faut abandonner toute idée de négocier avec lui. On offenserait l’Amérique.

«Coups durs à la concorde nationale», titre, réjoui, un confrère, ancien ami de la classe ouvrière. Les plans réconciliateurs de Bouteflika – mais en a-t-il vraiment ? – sont définitivement par terre cette fois. Soulagement national.

Dans l’échelle des arguments contre un accord avec le GSPC, sur le modèle de l’accord avec l’AIS, se trouve désormais en tête non pas l’assassinat de centaines de militaires, de patriotes et de gardes communaux, de dizaines de civils depuis 1998 et la naissance de cette organisation; non pas le harcèlement permanent des populations rackettées en Kabylie ou les sabotages successifs de l’oléoduc de Béni Mansour. Non, il y a un argument transcendant, plus haut que tous les autres: «lien avec Al-Qaïda».

Pourtant, le GSPC peut-il être réduit militairement ? Il est urgent de se poser la question pour tous les esprits intègres qui se sont horrifiés depuis qu’un confrère a laissé courir l’idée du soupçon d’un début de contact entre le pouvoir et l’organisation terroriste de Hassan Hattab. «La source militaire haut placée» qui a attribué «aux ambassades à Alger» la responsabilité d’avoir soufflé cette histoire de négociations avec le GSPC n’a peut-être pas totalement tort. Le point de vue dominant dans les chancelleries de la capitale est bel et bien qu’il n’existe pas de solution militaire contre tous les groupes armés qui restent. Pas dans les délais de temps admis par les sociétés modernes. Il s’en déduit que, «d’une manière ou d’une autre, il faudra un jour en arriver à une solution avec une partie des insurgés», selon l’expression très diplomatique de l’ambassadeur d’un des pays influents de l’Union européenne.

Cette partie organisée qui tente de donner un sens politique à ses actes de violence, c’est, bien sûr, le GSPC. A l’inverse des GIA du centre-ouest et de l’ouest du pays, l’organisation de Hassan Hattab cible presque exclusivement – mais pas exclusivement – les forces de sécurité et les représentants armés de la population. Elle est, de ce point de vue, bien plus proche de l’AIS de Madani Mezrag et de Ahmed Benaïcha que du GIA de Djamel Zitouni. Les sources militaires «haut placées» d’aujourd’hui, qui jurent ne pas libérer Ali Benhadj même au-delà du mois de juin prochain et ne jamais discuter avec le GSPC, comme si elles ne l’avaient pas déjà fait une première fois à la fin de l’année 2000, sont discrètes lorsqu’il s’agit de dire comment elles comptent le réduire.

Le général Mohamed Lamari a trop vite déclaré – il est vrai devant un parterre de journalistes fort complaisants – que le terrorisme avait été vaincu (entendre par l’ANP) et que seul demeurait l’intégrisme (entendre: c’est l’affaire des politiques).

Les chiffres apportent un épais démenti au communiqué de victoire sur les groupes armés. Ceux de ce seul mois de Ramadhan sont tout à fait dignes d’une guerre de basse intensité d’un des nombreux conflits oubliés de l’Afrique de l’Ouest ou de la Corne du même continent.

Il y a eu des dizaines d’opérations militaires de «grande envergure», largement médiatisées, contre les fiefs GSPC de Sid Ali Bounab, de Mizrana, de l’Akfadou, du Belezma, non loin de Batna, du cap Bougaroun, des monts de l’Edough, près de Annaba. Bref des Tora Bora à la pelle. Pour un résultat presque dérisoire. Il n’est même pas nécessaire d’évoquer ici le ridicule des efforts militaires déployés depuis trois ans dans le Titteri, l’Ouarsenis, la Dahra et la vallée du Chélif contre l’autre partie de la guérilla, celle des GIA, plus sanglante, totalement aveugle et surtout irréductible autrement que par la force.

Les faiseurs de guerre médiatiques à effet rétroactif contre la concorde civile et à effet préventif contre la concorde nationale ne disent pas tout. Ils affectent le débat politique national qu’ils souhaitent imprimer d’un strident non dit. Si un accord avec le GSPC sur le modèle de celui avec l’AIS est une trahison à combattre jusqu’au bout, alors il faut afficher le plan de bataille militaire qui viendra à bout de la guérilla islamiste en Algérie. De quoi sera-t-il fait ? De nouveaux équipements fournis par nos nouveaux amis de l’Otan ? D’une aide en encadrement de conseillers militaires comme dans le Vietnam de Saïgon ? D’un redéploiement des effectifs de l’ANP et de ses forces d’appoint parmi les civils armés, ou d’une révolution dans sa doctrine de la lutte antiterroriste ?

Personne ne souffle mot à ce sujet. Comme si la perpétuation dans le temps d’une guérilla islamiste de faible intensité était opportune. Parce que, avantage inavouable, elle permet toujours de criminaliser tous les islamistes. Même les plus modérés en politique.

La campagne contre la concorde civile est, de ce point de vue, un chef d’oeuvre d’inconséquence. Il faut s’arrêter un moment ici et tenter de s’imaginer l’état sécuritaire du pays si, en plus du GSPC au centre et à l’est, les GIA au centre-ouest et à l’ouest, l’armée et les civils devaient continuer à subir les assauts des 4.000 hommes armés de l’AIS et des autres organisations qui ont accepté d’abord la trêve, ensuite la concorde civile.

Bien sûr, les Algériens ont le droit de déplorer le procédé de l’amnistie qui échappe à la justice et empêche la vérité de précéder le pardon. Cependant, la concorde civile n’a pas renforcé les maquis islamistes, comme cela est suggéré tous les jours par les ultras de la «modernité». Elle ne les a pas suffisamment dégarnis pour permettre des victoires militaires décisives d’en finir avec les irréductibles de la guerre sainte. Si une concorde civile bis avec, cette fois, le GSPC dans le rôle de l’AIS et Hassan Hattab dans celui de Madani Mezrag, est cycliquement évoquée depuis deux ans, c’est bien parce qu’elle est perçue, ici et là, comme la voie la plus réaliste pour obtenir ce qui n’a pas pu l’être par la concorde civile première: l’isolement définitif des derniers maquis extrémistes et leur traitement par la force.

Encore faut-il avoir le souci d’en finir définitivement avec le langage des armes en Algérie. Pas celui d’entretenir un alibi contre l’expression islamiste légale ou un atout pour plaire aux Américains en les aidant à combattre Al-Qaïda au détriment du retour à la paix chez nous.